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Les non-dits du sommet Etats-Unis/Afrique

par Tewfik Hamel *

La marginalisation de l'Afrique par les Etats-Unis continue jusqu'à ce que les ressources naturelles du continent soient définies comme stratégiques.

Leur engagement dans une guerre globale contre le terrorisme, l'accès aux marchés africains en pleine croissance et l'émergence de la Chine ont à leur tour renforcé la place de l'Afrique dans les affaires mondiales. Il est donc obsolète de supposer que l'Afrique est simplement l'objet de préoccupations d'ordre humanitaire ou une cause de charité. L'Afrique c'est l'avenir ; certes, il y a l'instabilité mais aussi de grandes opportunités alors que la crise secoue l'économie mondiale. L'approche du président Obama n'est si pas si différente de ses prédécesseurs. C'est pourquoi l'article ne s'attardera pas sur le récent sommet Etats-Unis/Afrique, à travers lequel les Américains veulent saisir les opportunités notamment économiques qu'offre le continent.

PERSPECTIVES HISTORIQUES :

L'intérêt du gouvernement américain pour l'Afrique a varié depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les deux constantes dans la perspective des Etats-Unis ont été que l'Afrique a toujours été considérée comme moins importante pour les intérêts américains que les autres régions, et que l'Europe devrait prendre les devants en s'engageant dans la région. Cette approche a abouti à des politiques incompatibles, temporaires, réactives et axées sur les crises. Mais la fin de la guerre froide a signifie que les lignes directrices traditionnelles pour faire face aux défis des pays en développement de manière générale ne s'appliquent plus et que de nouveaux critères doivent être établis. C'est-à-dire la fin des rivalités dans le tiers-monde entre les deux superpuissances a fourni l'opportunité d'initier de nouvelles approches en direction du Sud. Ainsi, la politique africaine des Etats-Unis était alimenté par la vision du président Georges Bush du « nouvel ordre mondial », et plus tard par la politique du président Clinton du « multilatéralisme affirmé » et, ensuite, de l' « engagement et de l'élargissement ». Globalement, la tendance était à reléguer l'Afrique à la périphérie de la stratégie américaine pour lui accorder peu d'efforts ou l'ignorer complètement. Si le programme de l'administration Clinton était vaste c'est parce que dans la nouvelle ère les Américains voyaient peu d'intérêts en jeu en Afrique.

Comme conséquence, non seulement l'aide américaine au développement a baissé d'environ 52% en passant de 1,93 milliards de dollars en 1992 à 933 milliards de dollars en 2000, mais aussi que les dirigeants américains ne percevaient aucune raison impérieuse de mobiliser la communauté internationale pour une véritable renaissance du continent. Au niveau des chambres des représentants et du Congres non seulement il y a un désintérêt mais aussi l'instrumentalisation de l'Afrique à des fins politiciennes. L'un des exemples de cette tendance a été l'instrumentalisation par les Républicains de l'insatisfaction de l'opinion publique américain au sujet du rôle des États-Unis à l'ONU dans le but d'appuyer leurs demandes de coupes dans la participation financière américaine à celle-ci et la réduction des activités de maintien de la paix de l'ONU en Afrique et dans d'autres régions du monde. C'est justement cette logique qui a permet le blocage pendant plusieurs années du financement des Nations Unies, jusqu'à ce que l'ONU accepte la réduction des contributions américaines au budget total (22% au lieu de 25%) et au budget des opérations de paix (27% au lieu de 30%), avec des conséquences préjudiciables pour les activités des Nations Unies en Afrique. Sous cet angle, il apparait clairement que la création d'Africom représente la reconnaissance du rôle important que l'Afrique joue dans les affaires mondiales et il y a l'idée d'éviter d'avoir affaire autant aux trois commandements autant aux Européens pour traiter avec l'Afrique.

Le continent n'a pas été inclus dans la structure de commandement militaire américain qu'en 1952, lorsque plusieurs pays d'Afrique du Nord ont été ajoutés aux responsabilités de l'U.S. European Command (EUCOM) en raison de leur relation historique avec l'Europe. Le reste du continent est resté en dehors de la responsabilité de tous les commandements jusqu'en 1960, quand les préoccupations de la guerre froide sur l'influence soviétique dans les pays africains récemment indépendants ont conduit le Pentagone à inclure l'Afrique subsaharienne sous la responsabilité du Commandement de l'Atlantique (LANTCOM), laissant l'Afrique du Nord à l'EUCOM. Le Plan de Commandement unifié a été révisé à nouveau en 1962 sous Kennedy et la responsabilité de l'Afrique subsaharienne à été transférée à STRICOM nouvellement crée, qui était responsable des opérations au Moyen-Orient, en Afrique subsaharienne et en Asie de Sud. En 1971, STRICOM fut renommé « Readiness Command » (REDCOM), et sa responsabilité sur l'Afrique a été dissoute, laissant l'Afrique subsaharienne en dehors de la structure de commandement jusqu'en 1983. Sous l'administration Reagan, l'engagement militaire américain en Afrique a été dominé par les priorités de la guerre froide, et la politique de l' « endiguement » de l'administration a conduit le Département de la Défense à un partage des responsabilités en Afrique qui est à l'origine de la configuration géographique des trois commandements jusqu'à la création de l'AFRICOM.

En 1958, la naissance du Ghana, le premier Etat d'Afrique subsaharienne à obtenir son indépendance, a coïncidé avec la création, au niveau du Département d'Etat, du bureau des affaires africaines, et dès le départ, les priorités de la guerre froide prédominaient l'agenda américain envers l'Afrique, comme vers d'autres régions. Le continent n'a jamais était une priorité stratégique ni pour les Etats-Unis en tant que tels ni pour aucun des trois commandements. Jusqu'à la création d'Africom, les activités militaires américaines en Afrique relevaient de trois Commandements : l'EUCOM, le CENTCOM et le PACOM. Chacun focalisait son attention principalement sur ses zones de responsabilités respectives et disposait de peu de moyens matériels et humains consacrés à l'Afrique. Chacun considérait que son impératif stratégique est ailleurs. Ainsi, le 1er Octobre 2008, se sont au total 172 missions, activités, programmes et exercices qui ont été transféré à l'AFRICOM à partir de des trois commandements. Les 52 Etats faisant partie de la zone de responsabilité d'Africom représentent près de 3.000 groupes culturellement distincts, plus de 2.000 langues différentes, et souvent des populations chrétiennes, musulmanes, etc. Sous cet angle, on peut d'or et déjà dire que non seulement l'Africom n'est (et ne sera) pas en mesure faire face à l'ampleur des problèmes du continent, mais il reste à voir s'il sera même faire plus de mal que de bien. A vrai dire, la création de l'Africom (à l'instar de l'intervention américaine en Irak) est un cas d'école de la militarisation de la sécurité énergétique des Etats-Unis.

PETROLE: AFRIQUE VERSUS MOYEN-ORIENT :

Depuis plus de cinq décennies, la carte mondiale de pétrole a été centrée sur le Moyen-Orient. Peu importe que de nouvelles ressources énergétiques aient été découvertes et développées ailleurs. Pratiquement toutes les prévisions indiquent une dépendance croissante des Etats-Unis du Moyen-Orient. Cette réalité irréversible a non seulement façonné la politique énergétique américaine, mais aussi la géopolitique et l'ensemble de l'économie mondiale. En effet, la région de l'Afrique de Nord et Moyen-Orient (MENA) comprend les plus grands exportateurs de pétrole au monde et les goulots d'étranglement maritimes les plus importants. La région produit 29,1 Million de Barils par jour (mb/j), un tiers de l'approvisionnement pétrolier mondial, et ses exportations de pétrole sont égales à environ 40% du commerce mondial du pétrole. La région est la plus critique car elle est à la fois instable et restera le centre du pétrole mondial au-delà de 2030. Les projections futures révèlent que les pays de MENA fourniront conjointement environ 43% de l'approvisionnement mondiale en pétrole brut en 2035 (contre 37% en 2007), et produiront une part encore plus grande du pétrole exportable dans le monde. Dans ses prévisions, le Département américain de l'Énergie a souligné l'importance du pétrole de l'OPEP et la nécessité d'augmenter sa production de 28 mb/j en 1998 à 60 mb/j en 2020, avec la majorité de l'offre devant provenir du Moyen-Orient.

Le marché mondial du pétrole, en raison de la convergence d'un certain nombre de facteurs, a connu une étanchéité significative depuis la fin de 2003. Certains des facteurs qui influencent le marché pourraient être temporaires, certains peuvent être cycliques et d'autres peuvent éventuellement être permanents. Bien que de nombreuses situations d'instabilité et de conflit au Moyen-Orient restent à une échelle limitée, toute crise intérieure ou régionale concernant la sécurité des approvisionnements pétroliers du Moyen-Orient aux marchés mondiaux est immédiatement considérée comme une menace à la paix internationale. Le plus inquiétant reste une déstabilisation à grande échelle de la région. Dans son témoignage le 27 juillet 2005 devant le Congrès sur les risques de la dépendance pétrolière des Etats-Unis, le président de Securing America's Future Energy, Robbie Diamond, a démontré les conséquences sur les prix mondiaux du pétrole dans le cas où un petit pourcentage de pétrole est devenu indisponible pour les marchés mondiaux. Selon lui ; « Compte tenu de l'équilibre précaire entre l'offre et la demande du pétrole, en prenant même une petite quantité de pétrole sur le marché pourrait entraîner une hausse spectaculaire des prix [?]. Un déficit mondial de 4% dans l'approvisionnement quotidien entraine une hausse de 177% dans le prix du pétrole passant de 58 à 161 dollars le baril. Nous parlons d'un déficit entre 3 et 3,5 millions de barils dans un marché mondial d'environ 84 millions de barils [?]. Une fois des perturbations dans les approvisionnements pétroliers se produisent, peu de choses peuvent être faites dans le court terme pour protéger l'économie américaine de leurs impacts ».

Les pires effets en effet de la hausse de prix sont sur l'inflation et le chômage, mais il y a aussi des effets négatifs importants sur la croissance économique et la balance commerciale. Les importations du pétrole limitent aussi la liberté d'action dans les affaires mondiales. D'où la volonté des Américains de diversifier leurs ressources notamment en Afrique.

De nombreux responsables américains sont venus à considérer le pétrole africain d'« un intérêt stratégique national » qui verra son importance croitre dans les années à venir. Au début de 2002, William Jefferson a affirmé que le « pétrole africain devrait être traité comme une priorité de la sécurité nationale américaine post-11/9 ». Les implications de ces attaques sont claires, disait-il : « nos sources traditionnelles de pétrole ne sont pas aussi sûres que nous pensions qu'elles étaient ». En effet, dans un contexte marqué par une demande mondiale croissante en pétrole et d'un Moyen-Orient de plus en plus instable, il n'est pas surprenant d'assister à une rouée vers le pétrole africain. D'abord, le pétrole africain est de haute qualité et donc relativement peu coûteux à raffiner. L'Afrique est entourée d'eau ?avec l'accès à la mer et le transport maritime moins coûteux permettant de réduire davantage les coûts (par rapport à l'Asie centrale, qui doit expédier par des pipelines). Le continent représente un pourcentage plus élevé de nouvelles découvertes. De plus, les découvertes récentes de réserves offshores couplées aux nouvelles technologies de forages dans les eaux profondes et de transbordement directement à partir de plates-formes pétrolières évitent les problèmes offshores habituels. En dépit du conflit dans le delta du Niger et d'autres zones pétrolières, le potentiel pour le forage en eaux profondes dans le Golfe de Guinée est élevé par exemple.

Les estimations de la CIA suggèrent que l'Afrique peut fournir jusqu'à 25% des importations américaines d'ici à 2015. En effet, les ressources naturelles, en particulier énergétiques, dominent les produits américains importés d'Afrique qui, aujourd'hui, fournit aux États-Unis environ la même quantité de pétrole brut que le Moyen-Orient. En 2006, le pétrole de l'Afrique subsaharienne représentait environ 18 % de toutes les importations des États-Unis (environ 1,8 mb/j) contre 21% du Golfe Persique (2,2 mb/j). Le président George. W. Bush a voulu « remplacer plus de 75% de nos importations de pétrole du Moyen-Orient d'ici 2025 ». D'où l'intérêt de l'Afrique. En 2004, par exemple, en raison de la guerre dans le Moyen-Orient, le Nigeria a produit plus de pétrole que l'Irak, et l'Angola a produit la moitie de cette quantité. Cela a clairement été reconnu en 1995 par le Pentagone qui a noté que « l'Afrique a toujours été un fournisseur régulier de pétrole brut ». Selon lui, « au cours de la crise pétrolière de 1973 à 1974, notre plus grand fournisseur de pétrole était le Nigeria. Le pétrole brut d'Afrique subsaharienne représente près de 10% de nos importations quotidiennes ».

Ainsi la politique de l'administration Bush sur les marchés du pétrole africain est largement basée sur la National Energy Policy du 17 mai 2001, le rapport final du National Energy Policy Development Group appelé le « Rapport Cheney ». Accordant une importance aux ressources naturelles du continent, le rapport « recommande au Président de faire de la sécurité énergétique une priorité de notre politique commerciale et étrangère ». Le rapport a mis l'accent sur le besoin d'améliorer l'accès au pétrole africain, et cela dans le but de réduire la dépendance des Etats-Unis du Moyen-Orient considéré fondamentalement instable. L'idée n'est pas de s'en passer, incontournable dans toute équation énergétique. Même dans le cas de la mer caspienne, il n'a jamais été question que la région devienne une alternative au Moyen-Orient. En outre, la diversification permet d'optimiser un approvisionnement sécurisé, mais cela ne met pas le pays en question à l'abri d'une hausse des prix de l'énergie suite à la perturbation d'une région pétrolière dont il ne dépend pas. Le prix du pétrole est déterminé sur un marché mondial et il est peu probable qu'une nation peut s'isoler des forces motrices du marché mondial. Si les événements politiques dans le golfe Persique provoquent la hausse des prix du pétrole, cette hausse serait transmise à tout le pétrole produit dans le monde.

 En tant que tel, de nouvelles infrastructures massives sont nécessaires tout au long de la chaine d'approvisionnement et le cout sera énorme -estimé par l'Agence internationale de l'énergie (AIE) à 16 000 milliards de dollars d'ici 2030. L'AIE insiste sur le fait que les facteurs géopolitiques et de guerre peuvent freiner l'intérêt des investisseurs pour des projets énergétiques et perturber l'extension du commerce de l'énergie. La situation se complique quand l'on sait que les risques géopolitiques sont des risques plus difficiles à intégrer dans le cadre d'un approvisionnement sécurisé en pétrole. La perte de la confiance dans le marché mène nécessairement à la sécurisation des approvisionnements et, corolairement, à la militarisation de la sécurité énergétique comme c'est le cas de l'engagement américain en Afrique avec la création d'Africom. James Jones, par exemple, a fait valoir que « l'établissement d'un tel groupe [Military Task Force en Afrique de l'Ouest] pourrait également envoyer un message à des entreprises américaines qui investissent dans de nombreuses régions en Afrique que c'est une bonne idée ». Dans le même temps, à travers une implication dans des projets de développement nullement altruistes, appelés la « philanthropie stratégique », ces entreprises pourraient contribuer à la réalisation des objectifs de la sécurité nationale. La création d'Africom est un message que l'engagement américain en Afrique n'est pas temporaire et vise à conquérir les marchés africains : que le gouvernement est disposé à soutenir et protéger les investissements américains.

L'ACCES AUX MARCHES : L'EMERGENCE DE LA CHINE ET LA CROISSANCE DE L'AFRIQUE.

Au cours des dix dernières années, les pays en développement ont réalisé une croissance d'environ quatre fois plus rapide que les pays développés, et la trajectoire devrait se poursuivre. Même dans le cas de l'Afrique les perspectives économiques pour 2013 et 2014 sont prometteuses, confirmant sa bonne résistance aux chocs internes et externes et son rôle en tant que pôle de croissance dans une économie mondiale en difficulté. L'économie de l'Afrique devrait croître de 4,8% en 2013 et atteindre 5,3% en 2014. Entre 2000 et 2011, les exportations de l'Afrique ont presque quadruplé en valeur, passant 148.6 milliards à 581,8 milliards de dollars, selon la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED). Mais la géographie des échanges a changé. Tout d'abord, l'Union européenne et les Etats-Unis ont vu leur part des exportations de l'Afrique chuter (de 47% en 2000 à 33% en 2011 dans le cas de l'Europe et de 17% à 10% pour les États-Unis). Deuxièmement, les économies émergentes ont augmenté leur commerce avec le continent africain. La Chine, l'Inde et le Brésil consomment de plus en plus de pétrole, de matières premières et de produits manufacturés provenant de l'Afrique. La Chine a augmenté sa part des exportations africaines de 3,2% en 2000 à 13% en 2011 ; l'Inde de 2,8% à 6% ; le Brésil de 2% à 3% ; et la Fédération de Russie de 0,2% à 0,3%. Les économies émergentes ont 8% des exportations de l'Afrique en 2000 contre 22% en 2011. L'Afrique cherche également à renforcer son intégration régionale et reconnaît la nécessité d'accélérer le processus de mise en œuvre. Cela devrait permettre de relever les défis spécifiques liés à la petite taille de nombreuses économies africaines. Il s'agit notamment de la vive concurrence sur les marchés internationaux et le pouvoir de négociation avec des facultés affaiblies dans les négociations commerciales internationales.

C'est dans ce cadre (c'est-à-dire se (re) positionner sur le marché africain) qu'il convient d'appréhender la loi américaine dite l'African Growth and Opportunity Act (AGOA). En effet, le commerce bilatéral entre les Etats-Unis et l'Afrique a plus que doublé depuis que la loi est entrée en vigueur en 2000. Quelques chiffres sont illustratifs de la nouvelle réalité : 1600 milliards de dollars : le PIB collectif de l'Afrique en 2008, à peu près égale au celui du Brésil ou la Russie. Le continent est l'une des régions au monde avec une plus forte croissance économique ; 860 milliards de dollars : les dépenses de consommation combinée de l'Afrique en 2008, 316 millions de dollars: le nombre de nouveaux abonnés au téléphone mobile en Afrique depuis 2000, 60% : la part de l'Afrique de la totalité des terres arables et incultivables. Avec cette quantité de terres et de faibles rendements, l'Afrique est mûre pour une révolution verte comme celles qui ont transformé l'agriculture en Asie et au Brésil. Une telle révolution serait énorme en termes de hausse des revenus ruraux, en stimulant la croissance du PIB, et créant d'énormes nouvelles opportunités d'affaires. D'autres chiffres sont aussi intéressants ; 52 : le nombre de villes africaines avec plus de 1 million de personnes, 20 : le nombre de sociétés africaines avec des revenus d'au moins 3 milliards de dollars, 2600 milliards de dollars : le PIB collectif de l'Afrique en 2020, 1400 milliards de dollars : les dépenses de consommation des africains en 2020. Les cinq plus grands marchés de consommation du continent en 2020 (Alexandrie, Le Caire, Le Cap, Johannesburg, Lagos) auront chacun plus de 25 milliards de dollars par an dans les dépenses des ménages et seront de taille comparable à Mumbai et New Delhi ; 1,1 milliards : le nombre d'Africains en âge de travailler d'ici 2040. Les forces actives en Afrique se développent plus rapidement que partout dans le monde. Le continent compte plus de 500 millions de personnes en âge de travailler (entre 15 et 64 ans). En 2040, ce nombre devrait dépasser 1,1 milliard -plus qu'en Chine ou en Inde.

128 millions: le nombre de ménages africains avec un revenu discrétionnaire en 2020. L'Afrique a déjà plus de ménages de la classe moyenne (définis comme ceux ayant un revenu de 20 000 dollars ou plus) que l'Inde. La hausse des consommateurs urbains africains sert un nouveau moteur de la croissance interne : 50%: la portion des Africains qui vivent dans les villes d'ici à 2030. En 2030, 18 premières villes du continent pourraient avoir un pouvoir d'achat combiné de 1300 milliards de dollars. En 1980, seulement 28% des Africains vivent dans les villes. Aujourd'hui, le marché agricole africain représente 313 milliards de dollars et pourrait atteindre, en cas de modernisation du secteur, 1.000 milliards de dollars en 2030.

Tout cela a conduit les sociétés occidentales à tourner les yeux vers le continent africain; l'une des dernières arènes dans laquelle elles peuvent opérer avec une relative liberté. La concurrence en effet est de plus en plus rude. Ironie du sort, le président G. W. Bush annonçait le 6 février 2007 que les Etats-Unis allaient créer l'AFRICOM alors que le président chinois Hu Jintao a été en tournée dans huit pays africains pour consolider l'engagement chinois en Afrique. Outre les inquiétudes et les espoirs que suscite l'engagement de Chine en Afrique, c'est un fait que l'impact macro-économique qu'il pourrait avoir sur les économies africaines ne peut plus être ignoré. Le rôle croissant de la Chine dans la production pétrolière en Afrique est souvent cité comme l'exemple le plus important de la façon dont les nouvelles puissances émergentes usurpent la place des Etats-Unis/Europe et menacent de chasser l'Occident du continent. Ce qui est exagéré étant Pékin ne reçoit que moins de 9% des exportations totales de pétrole provenant de l'Afrique subsaharienne, tandis que 32% du pétrole de l'Afrique va encore vers les États-Unis et 33% va encore à l'Europe. En réalité, la Chine ne reçoit pas des quantités significatives des pays africains ?environ 30% de ses importations totales proviennent principalement du Soudan, Angola et le Nigéria. La grande quantité de son pétrole importé provient du Moyen-Orient, plus précisément de l'Arabie Saoudite, où la production de pétrole est dominée par les entreprises américaines.

Au-delà de son rôle dans l'approvisionnement énergétique, la guerre contre le terrorisme, la rivalité avec la Chine et d'autres acteurs émergents, un autre élément très importants (pas souvent ou suffisamment souligné) explique l'engagement américain en Afrique avec la création de l'Africom est celui du marché de la défense. Vu le rôle du « complexe militaro-industriel » dans l'économie américaine, il ne faut pas négliger l'opportunité que représente le marché africain en la matière. Bien que les conflits fassent rage, derrière la création de l'Africom et les programmes d'assistance à la sécurité, il y un « keynésianisme » militaire et un marché fleurissant à conquérir avec toutes les conséquences en matière de la paix et la stabilité. Dans un rapport de décembre 2007 soulignant que « les acteurs extérieurs conservent une influence significative sur l'évolution de l'Afrique », la Forecast Intertionale a clairement souligné l'importance de cette dernière en matière d'armements. Le rapport fait savoir qu'en dépit que le marché africain ne représente pour le moment qu'une fraction de la valeur de tous autres marchés régionaux, la tendance risque de changer. En considérant la confluence des exigences de sécurité en plein essor, d'une part, et des vastes réserves de gaz et de pétrole dans le contexte de prix élevés de l'énergie, d'autre part, il devient évident qu'il y a des nations africaine qui ont les caractéristiques rappelant les marchés du Moyen-Orient il y a trois décennies, conclut le rapport. Plus intéressant, les fonds dans ces pays sont de plus en plus consacrés à l'acquisition d'armes américaines et européennes. Entre 1999-2002 et 2003-2006, la part de l'Amérique/Europe de la valeur totale des accords de transfert d'armes avec l'Afrique a augmenté de 34 à 37%.

* Chercheur en Histoire militaire & Etudes de défense à CRISES (Centre de Recherches Interdisciplinaires en Sciences humaines et Sociale), l'Université Paul Valéry (Montpelier III).