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Des romans qui feront L événement

par Omri Ezrati

Cette semaine, Omri Ezrati, journaliste et éditeur parisien, continue à faire découvrir aux lecteurs du Quotidien d’Oran, les romans parus à l’occasion de la rentrée littéraire 2014.

Je vous propose de découvrir le roman de Philippe Bordas, Chant furieux, paru chez Gallimard. Photographe, Mémos est contacté par un éditeur pour suivre Zinedine Zidane jour et nuit, pendant trois mois, afin de réaliser un livre sur le champion en pleine gloire. Une connivence immédiate s’établit entre les deux hommes. Issus des quartiers difficiles, ils parlent la même langue. Par-delà le tourbillon de la vie de Zidane, prince des stades et idole médiatique, le roman raconte surtout la quête de Mémos, venu du parler rudimentaire et rageur des cités, parti à la conquête de la haute langue de Chrétien de Troyes, Rabelais, Saint-Simon et Céline. Tissé à l’intention d’un ami aveugle admirateur de Zinedine, qui n’a jamais vu son visage ni ses dribbles virtuoses, le récit de Mémos prend une dimension épique et flamboyante, pour devenir une chanson de geste moderne. Faisant revivre la bande de gamins dépenaillés débarquant jadis à la gare du Nord comme des barbares, il ne se contente pas de rendre hommage à ces êtres que personne ne défend, il leur offre une existence de pleine lumière et invente pour eux un français riche et vivant, réconciliant la langue d’en bas et celle d’en haut, autour de la figure mythologique et solaire de Zinedine Zidane. Philippe Bordas signe ici une œuvre littéraire d’une puissance exceptionnelle.

C’est également avec gourmandise que nous nous plongerons dans la lecture du dernier roman de Benoit Duteurtre, paru chez Gallimard : L’ordinateur du Paradis. Arrivé aux portes du paradis, un nouvel élu, fraîchement décédé, découvre les normes d’hygiène et de sécurité désormais fixées pour la vie éternelle. Au même moment, sur terre, un projet de pénalisation des images pornographiques perturbe la tranquillité de Simon Laroche, haut fonctionnaire bon teint qui redoute de se voir démasqué pour ses escapades sur Internet. Pourtant, c’est une simple phrase, filmée à son insu, qui va le précipiter dans un engrenage cauchemardesque.

Très attendu et surtout très prometteur (sélectionné notamment pour le Prix littéraire que décernera le journal Le Monde le 9 septembre prochain), Le Royaume d’Emmanuel Carrère, paru chez P.O.L. est un événement de la rentrée. Un extrait de ce roman vaut mieux qu’un long discours : «A un moment de ma vie, j’ai été chrétien. Cela a duré trois ans, c’est passé.

Affaire classée alors? Il faut qu’elle ne le soit pas tout à fait pour que, vingt ans plus tard, j’aie éprouvé le besoin d’y revenir. Ces chemins du Nouveau Testament que j’ai autrefois parcourus en croyant, je les parcours aujourd’hui - en romancier? En historien? Disons en enquêteur.»

Au rayon des très belles initiatives littéraires de cette rentrée, on trouve Le monstre : tapuscrit original et inédit de Serge Doubriovsky paru chez Grasset. Ce «roman» est, par son contenu, son volume et sa forme, un ouvrage si extravagant, si unique en on genre, qu’il convient d’en rappeler brièvement la généalogie. Au début des années 1970, Serge Doubrovsky commença la rédaction d’un ouvrage monumental qui, selon son auteur, devait jeter les bases théoriques de ce qui sera plus tard défini comme « autofiction ». Une fois achevé, ce manuscrit comptait près de 3000 pages et aucun éditeur ne consentit à le publier en l’état. Une partie, réaménagée, réduite à 450 pages, de ce livre parut néanmoins en 1977, sous le titre de Fils, après quoi son auteur dispersa aux quatre coins du monde le manuscrit non publié. Isabelle Grell, chercheuse et spécialiste de l’œuvre de Serge Doubrovsky, entreprit de rassembler pieusement ces pages, de recomposer le tapuscrit originel qui, augmenté d’une double préface, est publié ici. L’aspect torrentueux de ce «texte retrouvé» rendait délicate une publication classique: Grasset a donc choisi de reproduire ce manuscrit, tel quel, et ce parti-pris éditorial a semblé d’autant plus légitime qu’il est en affinité avec le projet littéraire de Serge Doubrovsky. Voici donc, à l’état brut, un texte craché, originel, véhément – rigoureusement fidèle aux stratégies de l’autofiction.