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Algérie - Etats-Unis : Les non-dits du chef de l'Africom

par Ghania Oukazi

«La situation sécuritaire dans tout pays est appréciée selon la conjoncture, le temps et le lieu, là est toute la différence quand un travel warning est émis.»

Les propos ont été tenus mercredi par l'ambassadeur américain en Algérie, en réponse à une question de journalistes algériens sur les raisons qui ont suscité le contenu du dernier travel warning émis le 13 août dernier par les Etats-Unis sur la situation sécuritaire en Algérie. Henry S. Ensher, qui quittera ses fonctions en tant que tel dans une quinzaine de jours, a bien voulu expliquer le pourquoi du comment d'un travel warning jugé par les autorités algériennes comme «exagéré et sans fondements». L'ambassadeur américain a d'ailleurs fait savoir aux journalistes que le ministre algérien des Affaires étrangères avait émis des soucis au sujet de ce message d'alerte américain. Message qui rappelait en fait, implicitement à qui voudrait l'oublier, que l'Algérie a vécu l'affaire Tiguentourine, une prise d'otages spectaculaire et continue de subir périodiquement des actes terroristes ici et là. C'est ce qui explique, en évidence, que les appréciations américaines sur la situation sécuritaire algérienne sont faites «selon la conjoncture, le temps et le lieu». S. Ensher a reconnu que «certaines préoccupations du MAE au sujet de ce travel warning étaient fondées». Il ne les citera pas. Il dira que «la seule raison qui dicte ces travels warning est pour informer les citoyens américains de la situation sécuritaire d'un pays parce que leur sécurité constitue le souci numéro un du gouvernement US». Il notera par ailleurs que «ceux qui pensent que ces messages d'alerte sont pour envoyer des messages politiques aux autorités algériennes, c'est complètement faux !» L'on sait d'ailleurs que les Américains ne mettent pas de gants quand ils veulent faire passer des consignes politiques à des Etats. D'ailleurs, beaucoup d'entre ces derniers l'ont vécu à leurs dépens. L'ambassadeur estimera ainsi que «le dernier message d'alerte sur la situation sécuritaire en Algérie est identique à celui émis en février dernier». Il n'hésitera pas surtout à affirmer que «le travel warning du 13 août dernier était approprié». Il est donc aisé de comprendre que les Américains jugent l'Algérie instable et non sécurisée parce qu'ils calculent avec des terroristes qui campent dans certaines de ses montagnes du nord et qui continuent d'activer et avec ses longues frontières avec la Libye et le Mali qui sont en feu. C'est ce qui explique les propos de l'ambassadeur qui colle le contenu du dernier message d'alerte de son pays «à la conjoncture, au temps et aux lieu» même s'il tente d'en atténuer l'importance en lançant que «le travel warning est une routine bureaucratique».

Preuve que ce n'est pas juste une routine, la visite express du commandant en chef des forces américaines pour l'Afrique (Africom), mercredi dernier à Alger. Il en a fait de même à Rabat et à Tunis. Une tournée maghrébine éclair pour discuter avec les responsables les plus en vue dans la gestion des affaires de l'Etat. C'est ce qu'il a fait à Alger en s'entretenant avec le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères et le chef d'état-major de l'armée nationale populaire.

LES RAISONS D'UN TRAVEL WARNING «APPROPRIE»

A sa rencontre avec quatre journalistes algériens à l'ambassade des Etats-Unis à Alger, le général David Rodriguez dira qu'il a évoqué avec ces responsables la situation en Libye et au Mali, les menaces qui pèsent sur la région comme l'extrémisme, le terrorisme, la violence, et qu'il apprécie les efforts déployés par l'Algérie pour trouver des solutions à ces conflits. Le commandant de l'Africom évoque «les défis auxquels les pays de la région doivent faire face pour une Afrique développée et sécurisée». Il appellera alors à «un dialogue constructif» et «une coordination avec l'Algérie, un partenaire important avec lequel on s'entend sur plusieurs aspects». Il saluera les efforts de l'Algérie pour «renforcer les capacités propres de la Libye et du Mali et pour former leurs personnels chargés de la sécurité». Les efforts diplomatiques sont aussi pour lui nécessaires avec en parallèle ceux en faveur du développement. «On compte sur l'Algérie pour jouer un rôle de leader et œuvrer pour régler les problèmes qui pèsent sur la région, nous sommes pour une Libye unifiée et gouvernée par les Libyens et pour une réconciliation au Mali», dira-t-il.

L'EGYPTE, «CET AUTRE PARTENAIRE IMPORTANT» DES AMERICAINS POUR LA LIBYE

Il n'y a pas que l'Algérie que les Américains considèrent comme «un partenaire important». Ils accordent ce statut aussi à l'Egypte qui est soutenue pour trouver des solutions aux conflits de la région. Tout militaire qu'il est, le général David Rodriguez fera dans le diplomatiquement correct en répondant aux questions des journalistes algériens. C'est d'ailleurs ce qu'il fera lorsqu'il lui sera demandé s'il partageait les déclarations du porte-parole du secrétaire d'Etat américain soutenant que ce sont les Emirats Arabes Unis et l'Egypte qui ont mené des raids aériens sur la Libye. Il se contentera donc de rappeler ce statut de «partenaire important» que les Etats-Unis accordent au pays du général El Sissi pour le règlement des conflits pas seulement au Moyen-Orient mais aussi en Libye. Le commandant de l'Africom est encore plus diplomate dans ses réponses dès qu'il s'agit d'évoquer d'éventuelles interventions militaires étrangères dans les pays de la région. «Nous sommes pour le dialogue et la concertation pour régler les conflits», dira-t-il toujours. De toutes les réponses qu'il a données, celles relatives aux deux principes constitutionnels que l'Algérie met en avant dans toute conjoncture, sont les plus intéressantes même si elles restent très évasives. L'Algérie refuse, faut-il le rappeler, catégoriquement toute ingérence dans les affaires internes des Etats et toute intervention de son armée en dehors de ses frontières. «Nous respectons les principes constitutionnels de l'Algérie, nous avons discuté avec ses responsables», a simplement affirmé le général. Les deux principes devaient cependant être au cœur de ses discussions avec les autorités algériennes. Le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, les avait déjà exposés avant lui lors de sa visite à Alger. Le général Rodriguez a fait la même chose mercredi dernier. Il est clair que les Américains tentent de forcer la main à l'Algérie pour qu'elle intervienne militairement en Libye et pourquoi pas au Mali. Ils veulent ainsi lui renvoyer les questions relatives à qui doit faire quoi pour stabiliser et sécuriser la région. Ceci, même si elle leur a déjà fait savoir qu'elle encourage les Libyens à se réconcilier entre eux et pense qu'ils doivent se charger eux-mêmes du ramassage des armes larguées par les forces de l'OTAN. Mais les dissidences en Libye étant profondes et ses problèmes sécuritaires sérieux, les Américains comptent amener l'Algérie à déplacer son armée pour y remettre de l'ordre. L'Algérie est donc sollicitée aujourd'hui pour faire la sale besogne. Elle doit nettoyer les saletés que les forces atlantiques ont étalées en Libye en vue de déstabiliser toute la région. Leurs budgets étant maigres et les guerres leur coûtant cher, leur parrain américain veut obliger l'Algérie à intervenir en dehors de ses frontières.

LES AMERICAINS PARLENT DE FRONTIERES «POREUSES»

D'une pierre, deux coups, ils auront ainsi évité des coupes budgétaires à leur Etat et trouver un bon gendarme pour toute la rive sud de la Méditerranée. Par la voix de leur général, les Américains avouent que «l'Algérie a bien évalué le risque sécuritaire il y a deux ans». Sa connaissance du terrain, les longues frontières qu'elles partagent avec la Libye et le Mali sont des arguments à sa charge pour qu'ils lui forcent la main dans ce sens. Le commandant de l'Africom les met d'ailleurs en avant en soutenant que «les longues frontières de l'Algérie qu'elle partage avec ces deux pays sont aujourd'hui poreuses». Les Américains doivent soutenir que l'Algérie interviendra en premier dans le cadre d'une légitime défense de ses territoires. Le reste suivra indéniablement.

L'Algérie est appelée à déjouer ces visées «interventionnistes» que le pays d'Obama veut lui faire exécuter. Il est vrai qu'elle n'a eu de cesse d'affirmer qu'elle tient au respect de ses deux principes constitutionnels. Seule carte en main qu'elle a, c'est de gagner le plus possible de temps pour ne pas céder aux sons des mauvaises sirènes. Elle pourra d'autant plus le faire si l'on sait que l'équipe Obama atteindra son mid-term dès l'année prochaine. Le président Obama sera en effet à mi-chemin de son 2e et dernier mandat en tant chef de la Maison-Blanche. Le général Rodriguez a bien fait de noter devant les journalistes algériens que «nous, militaires américains, sommes contrôlés par les civils». Dès 2015, le président élu aura plus de difficultés à faire accepter ses décisions par le congrès américain. Ce sera le compte à rebours pour lui. Ses détracteurs commenceront à lui dresser son bilan. L'histoire lui retiendra qu'il a freiné des velléités de son entourage en faveur d'une intervention militaire en Syrie et en Iran. Il aura même été obligé de «slalomer» dans ses déclarations sur les agissements terroristes d'Israël sur la Palestine occupée pour éviter d'avoir contre lui les démons juifs. Il n'aura en principe pas le temps de décider d'une autre guerre contre la Libye. D'ici à ce que l'Amérique élira un nouveau président, Alger aura trouvé les bons subterfuges pour faire valoir ses principes et sa raison? d'Etat. Elle a déjà gagné diplomatiquement en réussissant à réunir tous les antagonistes maliens à la table des négociations. Elle doit alors trouver les moyens de sa politique envers la Libye.