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Culture : un acte d'amour

par Mohieddine Amimour *

J'accorde une importance sans limites aux critiques des lecteurs, que je considère comme les signaux lumineux qui guident le pilote pour réussir un bon atterrissage, notamment de nuit. Mais des fois, il y'a des remarques qui m'agacent.

Au cours d'un diner mondain, ou presque, un invité s'est mis à critiquer des papiers publiés dans un de nos quotidiens, en visant les articles qui traitaient des événements régionaux ou internationaux. Le monsieur a affirmé qu'il fallait mieux qu'on s'occupe de nos oignons. Il a continué, dans une cacophonie linguistique franco arabe, critiquant des anciens responsables qui profitent de leur retraite pour raconter, a-t-il dit, une vie qui n'intéresse personne. Nous avons, a-t-il dit, pas mal de problèmes de l'actualité qui méritent d'être débattus par ceux qui " noircissent " les pages des journaux et submergent nos librairies de livres complètement inutiles.

 Ce sont des remarques que nous entendons de temps à autre, et qui puissent être pertinentes si le " diseur " était un intellectuel connu par ses œuvres remarquables et mondialement apprécié. Mais, et il y'a toujours un " mais ", il y'a le revers de la médaille. Nous avons en Algérie beaucoup d'écrivains capables d'analyser, d'examiner et de proposer des solutions à nos problèmes politiques, économiques et culturels, mais, avons-nous suffisamment de lecteurs avisés?

Des études politiques et économiques d'une valeur incontestable ont enrichi notre presse nationale au cours du demi-siècle passé, mais combien de contestataires ont lus, ou au moins, feuilleté le résultat de ce travail, et en suite, ils se sont donné la peine de commenter ceux qu'ils ont lus. J'ai constaté que le diseur de notre diner ignorait complètement que j'avais personnellement " noirci " des milliers de pages, en arabe en anglais et en français, notamment quand j'étais persuadé que mon message sera reçu par qui de droit, et je ne suis pas le cas unique. Mais le domaine international mérite une attention particulière.

Je me suis toujours posé la question sur le silence observé par la majorité de nos anciens ambassadeurs et chefs de mission, qui ont sillonné le monde, principalement pendant la période de la guerre froide, mais sans pour autant avoir la peine de transcrire leur expérience et transmettre leur savoir, combien riche, à leur concitoyens. Pourquoi ne pas trouver chez nous des hommes politiques et sommités diplomatiques qui analysent les événements régionaux et internationaux pour enrichir notre vie culturelle, comme c'est le cas de leurs pairs en France, en Amérique et même dans des pays qui n'ont pas notre patrimoine de connaissances politiques et diplomatiques.

J'ai compris tardivement que la raison de cette lacune se trouve dans la réaction désobligeante de ceux qui sont incapables d'écrire, car ils n'ont rien à dire de consistant, ni remarquable ou digne d'être lu. Ils agissent à l'égard de ceux qui assument leur devoir intellectuel, voire national, avec un comportement aigri, injuste et même mal élevé.

Je n'en ai personnellement aucun complexe à cet égard, et je fais la sourde oreille devant ces critiques bon marché. Je demande inlassablement à mes amis et collègues de faire pareillement.

D'ailleurs, quand mon pays m'a honoré en me donnant l'occasion de le servir au Pakistan en tant qu'ambassadeur, je me suis fais l'obligation morale de partager mes connaissances avec mes concitoyens qui cherchent des compléments d'information.

Une fois ma mission accomplie après l'assassinat du présidant Boudiaf (en vérité, interrompue), j'ai édité en arabe un livre, considéré par les connaisseurs comme un document unique dans le monde arabo scripte. Il a présenté une image en trois dimensions de ce grand pays musulman, en évoquant en marge les problèmes qui ont envenimé la région, voire, le monde, tel que le problème afghan, l'impasse du Cachemire et la tension nucléaire au subcontinent indien.

Avant mon séjour pakistanais, j'ai acquis une expérience non négligeable durant treize ans d'activités au sein de la présidence de la république, notamment en ce qui concerne des pays frères et amis, une expérience qui n'a pas été à la porté de beaucoup de personne. J'ajouterai à ça une expérience de presque douze ans d'activité parlementaire.

En plus d'une dizaine de livres édités ici et à l'étranger, j'ai édité il y'a un an un livre, en français cette fois, qui a traité le phénomène du Printemps arabe, et les manipulations occidentales dans la région. Je pense que c'est ça la réponse adéquate aux bras cassés, qui se comportent comme les deux séniles de Muppets show.

Ecrire et continuer à écrire devaient être le mot d'ordre, en ayant à l'esprit l'expression magnifique de Jean Cocteau : Ecrire est un acte d'amour. S'il ne l'est pas il n'est qu'écriture.

* Docteur