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Mehdi et les 7 banques

par Rachid Brahmi

Si le phénomène de la bureaucratie a sensiblement régressé au niveau de services publics tels la wilaya, la daïra ou l'APC, ce n'est notamment pas le cas de nos services d'assurances et leurs cabinets d'" experts ", de nos banques publiques nationales, ou de nos services de santé ou de la sécurité sociale?

En effet, comptant s'envoler hors de nos frontières, deux frères ont dû constater que l'opération de change dans nos banques nationales, n'est pas du tout une sinécure. Or, si tout le monde sait que cette période est propice aux voyages , qu'au mois d' aoûtles flux humains et de devises sont importants, cela n'a pas l'air d'être su par tous nos gestionnaires qui n'ont pas pris les mesures nécessaires, pour faciliter la tâcheau voyageur, la prévision et la clairvoyance étant encore peu incrustées dans nos neurones.

Pour revenir à nos deux frères, l'un a été chargé par l'autre de procéder à l'opération des changes pour eux deux, car l'autre, il a trop de choses à faire. Donc l'un devait échanger 30.000 dinars, commission incluse, contre des euros, pour lui et pour l'autre, et muni des deux passeports, deux billets de transport et quelques photocopies des documents cités juste ci avant.

Et puisque l'anecdote est tout ce qu'il y a de vrai, et puisque l'autre a d'autres trucs à faire, c'est donc avec l'un que les avatars démarrent. Donc l'un s'appelle Mehdi, vraisemblablement ; on reste alors à un petit chouia si près du vrai. Mehdi c 'est l'acteur en somme. Pour l'autre, peu importe son prénom, c'est le figurant. Mais concentrons-nous, sur l'itinéraire surtout, car l'on doit bien suivre la chose, et peu importe si l'on ne sait pas convertir les dinars en euros et inversement !

Ainsi, dans une banque à Oran centre, Mehdi se pointe un après-midi, où on lui dit que ce genre d'opérations, s'effectue ici, seulement le matin. Mais que d'autres banques font le change toute la journée. Pourquoi ? Allez y savoir ! En outre, parce qu'il est difficile de trouver une place où garer sa caisse, et vu notamment les bouchons et ce qui en découle comme stress, Mehdi décide alors, de voir une autre agence, n'importe laquelle, située à la périphérie de la ville. Au niveau de cette deuxième banque, on a dit à Mehdi qu'ils font le change, mais qu'ils n'ont pas d'euros disponibles et qu'ils ignorent quand est-ce qu'ils (les euros !) le seraient. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, l'acteur se déplace jusqu'à une troisième banque lointaine de la précédente, à la périphérie d'Oran aussi. Là, ils on dit qu'ils ont des euros. Mais pour exécuter les procédures, ils ont dit qu'ils n'ont plus d'imprimés et ils ne savent pas quand est-ce que ces derniers seront disponibles.Pourquoi ? Allez savoir !

Flairant que la question de change risque de trop trainer dans la grande ville, Mehdi dirige sa voiture vers une petite localité à quelques encablures à l'ouest de la grande, où il atterrit dans une quatrième banque publique. Là, on lui dit qu'ils ont les euros, qu'ils ont les imprimés, mais que le guichetier est absent, car il a eu une petite migraine, " dorrah rassah " comme on dit.Le préposé au guichet est donc parti prendre un café bien " serré ", et il sera de retour dans quelques minutes, s'il ira mieux,lui précise-t-on. Bien sûr ! Sinon ils ont dit à Mehdi qu'il est préférable de revenir le lendemain matin.

 Juste après, Mehdi se dirige vers une cinquième banque nationale. A sa demande, en quémandeur anxieux, mais le sourire vissé aux lèvres, on lui confirme distraitement, qu'ils ont le pognon, les imprimés et l'agent présent. Mais malheureusement, on l'informe, que les micros sont en panne.

Prenant son mal en patience, Mehdi " trace " alors vers une autre petite ville, à quelques encablures à l'est d'Oran cette fois ci, question de changer, le changement c'est bien, voir autre chose, voir donc une sixième banque, de nouvelles têtes, un nouveau décor. Peut-être. Mais là, c'est sûr,ils ont tout, c'est-à-dire les sous, les imprimés, les micros en marche et le guichetier, présent et en bonne santé, sauf que c'est à Mehdi qu'il manque quelque chose : il n'a pas ramené l'autre avec lui, c'est-à-dire le frère qui règle l'autre affaire, car le caissier intraitable, exige la présence, en chair et en os. Chacun doit signer son reçu. C'est comme ça et pas autrement lui a-t-on dit.

Et puis chacun se doute bien que tous ces déplacements et démarches, ne peuvent se faire en une seule journée, y compris dans la même ville, y compris en voiture, d'autant plus que les guichets de nos banques publiques ouvrent à neuf heures, ferment la boutique entre midi et treize heures, puis cadenassent tout, à quinze heures trente.

Et il est justement quinze heures trente, dans cette sixième agence, quand l'infortuné Mehdi commence sérieusement à douter s'il va arriver à échanger sa fortune, une grosse liasse de dinars décrépits, contre quelques billets en euros, flambant neuf. Et c'est à ce moment qu'une cliente lui suggère d'aller voir du côté d'une banque étrangère, toute proche , en lui précisant qu'elle est ouverte de neuf heures à seize heures, sans interruption. Il a donc le temps d'y aller.

Dans cette septième agence, tout est net, propre, accueillant, calme, parfumé et où l'on distribue les sourires gratos, avec un bonbon ou deux en surplus. Chacun est rivé à sa place, clients et personnel, tous des nationaux, " Khawa ! ", " Ouled lebled ! "dans cette banque étrangère où tout est fait pour dissoudre tout stress. On fait alors savoir à Mehdi, aussitôt soulagé, que la présence du figurant n'est pas nécessaire et que tout est disponible. La procédure de change est rapide, sauf que la commission est différente de celle de nos banques nationales.

Et quand la préposée au guichet avise Mehdi, avant de lui réclamer les documents, qu'il doit rajouter environ 800 dinars par personne, en sus des quinze mille dinars exigés par toute banque, notre acteur se met à cogiter. Mehdi conclut de suite que la commission est salée, en rapport avec la rachitique allocation touristique de 130 euros. Mehdi en déduit aussi que les sucreries ne sont pas gratos, et que le prix de revient des petits bonbons s'élève à 800 dinars l'unité. Mais ce n'est pas grave, sans trop réfléchir et heureux, il ne peut que manifester un banco à la banquière ! Conscient que c'est la fin de son calvaire, Mehdi tel crésus, accepte volontiers de débourser plus, puis de récupérer illico-presto ses euros, et ceux de l'autre, le figurant de son frère qui règle ses affaires. Sinon Mehdi ne comprend pas pourquoi dans cette banque c'est vraiment sympa, alors que ses agents sont des nationaux, tout comme ceux que l'on côtoie dans nos banques publiques, et qui, il s'agit d'être de bonne foi, sont également gentils, consciencieux et serviables, mais pas toujours et pas tous. Mais c'est qu'ils sont dépassés. Alors qui est responsable, dans nos agences bancaires, de la disponibilité des liquidités, des dinars, des devises, des chéquiers, des transferts de fond et de tous les imprimés ?

Enfin, n'est-ce pas triste de voir beaucoup de nos banques nationales pauvres en guichetiers , donc riches en guichets fermés ou désertés , pauvres en euros, pauvres en dinars,pauvres en imprimés, pauvres en chéquiers, pauvres en sourires et pauvres en propreté ? Un grand ouf donc, pour l'acteur et le figurant, après ce film nullement drôle, en espérant que leur départ ne va pas faire surgir d'autres avatars.