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Y a-t-il une opposition en Algérie ?

par Yazid Haddar *

L'opposition politique en Algérie a-t-elle réellement d'impact sur la décision politique de l'actuel pouvoir (système) ? L'opposition politique a-t-elle les moyens et l'influence pour drainer les citoyens algériens ou les masses populaires afin d'entamer un réel changement ? L'opposition politique a-t-elle un projet politique pour sortir de cette crise ? L'opposition politique a-t-elle tiré des leçons de ses multiples échecs ? L'opposition politique s'est-elle enracinée dans les zones les plus reculées du pays ? L'opposition politique pourra-t-elle réellement déminer les obstacles qui entravent l'émergence d'une force, d'une opposition politique cohérente et influente, émanant d'une volonté populaire ?

Depuis l'indépendance, voire avant l'indépendance, l'ensemble des initiatives ou les tentatives politiques de l'opposition ont été échouées. Les tentatives de mener le changement de l'intérieur du pouvoir ont été avortées ; celles qui proposent le changement de haut en bas ont subi l'échec ; celles qui ont pensé que par la violence tout sera réglée ont fait traîner le pays dans une période la plus sombre dans notre histoire contemporaine, etc.

Pourquoi ? Deux facteurs peuvent expliquer ces échecs, d'une part, les facteurs exogènes et, d'autre part, les facteurs endogènes. Concernant les facteurs exogènes ; le système politique algérien, comme dans les pays semblables, n'a pas donné une place à l'opposition ou une pensée autre que la sienne. Dès l'indépendance, l'opposition s'est fait exclure de la décision politique. Du jour au lendemain, les acteurs principaux de la révolution se sont retrouvés dans l'opposition, leur seul appui était la légitimité révolutionnaire. Ces pionniers d'oppositions politiques ont été forcés à l'exil (intérieur ou extérieur) et d'autres ont choisi d'intégrer le système, et enfin d'autres ont résisté sans faire de bruit, sans parler de ceux qui sont morts dans des conditions mystérieuses ! Quelques mouvements de révolte ont marqué l'histoire contemporaine, mais sans avoir de suites réelles, car au fond le fonctionnement est le même, c'est-à-dire les révoltes ont été guidées par l'injustice sociale et le partage de la rente, et non par un désir de construire une république, avec des institutions fortes et des valeurs républicaines partagées. A quelques exceptions près: la question identitaire et les évènements de 88. L'identité de la nation algérienne s'est constitue par la guerre de libération nationale, qui est le socle commun de la nation algérienne. Ce socle devrait être sacralisé, car l'utiliser ou le remettre en cause serait une menace à l'unité nationale. Cependant, l'étudier et critiquer les faits historiques l'enrichiraient et le rendraient humain. Désormais, la légitimité révolutionnaire n'a plus de place, de ce fait, le changement ne pourrait pas être justifié au nom de cette légitimité ! Au nom de quoi doit-on espérer ce changement ! Uniquement par un projet de société qui assure la stabilité des institutions, en conséquence le pays, et le développement. Les facteurs endogènes, même s'ils sont multiples, je me limiterai ici à la question du « leadership » ou du « zaïm ». J'avoue que le « zaïmisme » mine l'ensemble des organisations sociales, économiques, politiques, etc. Il est l'une des sources de l'instabilité de notre pays. Ce phénomène est observé au niveau familial, associatif, des partis politiques, etc. Il me semble qu'il y a deux dimensions qui pourraient expliquer ce phénomène, d'une part la dimension culturelle et d'autre part la dimension psychologique.

La dimension culturelle se manifeste par notre rapport à la force, et en conséquence la place occupée par le chef : le chef de la famille, de la tribu, du village, et de la zaouïa, etc., ont joué et jouent encore un rôle clé dans le rapport de force et l'équilibre sociale. Certes, l'influence d'autrefois n'est plus d'actualité, mais quand il y a une crise dans la région ces repères sociaux émergent, comme un moyen d'apaisement. Ils peuvent être utilisés en politique, comme moyen de pression ou de propagande, comme nous l'avons observé lors de chaque échéance électorale. On trouve le même fonctionnement dans la cellule familiale. Ce rapport à la force est inculqué depuis l'enfance. Dans la tradition patriarcale le père incarne l'autorité, et souvent il y a confusion entre l'autorité et l'autoritarisme. Plusieurs études en psychologie ont montré que l'enfant généralement reproduit le même modèle social que ses parents, de plus, il pourrait reproduire la violence subie au cours de sa vie à d'autres personnes.

La culture patriarcale perdure, cependant, nous assistons au renversement des rôles (changement d'acteurs), le pouvoir et la place du père sont pris par le frère, le gendre, le cousin, etc., valorisés par leur poste du travail occupé, leur revenu, leur influence et par leurs capacités à utiliser les réseaux indispensables à l'acquisition de biens et services distribués par l'État ou acquis par le marché, comme l'a écrit H. Addi. Néanmoins, la logique patriarcale reste toujours la même, c'est-à-dire il y a un rapport de force entre le dominant et le dominé. Cette culture patriarcale, ou cette structure de pensée dominante, persiste sous différentes formes, mais en même temps elle n'est pas rigide. Elle est constitutive de normes qui s'adaptent et qui se modifient dans les interactions conflictuelles de la vie quotidienne. Ainsi, dans la dualité, dominant/dominé, la femme, de plus en plus, occupe une place modérant ou une source du conflit, selon son âge, la place qu'elle occupe dans la cellule familiale. « Le changement le plus spectaculaire, selon H. Addi, est l'intronisation de la mère au détriment du père dans la gestion quotidienne et dans la prise de décision importantes : mariages, divorces, pèlerinage à la Mecque, achats de mobilier, etc., autant de décisions appartiennent désormais à la mère ».

Il me semble que la culture du dialogue est rompue au sein de la famille et au niveau de la cité. Cette rupture a réduit les lieux d'échange et de débat contradictoire. Jadis ces espaces étaient assurés par Thadjamathe, Djamaâ, les conseils du village ou même de l'aârche, etc., désormais les débats sont réduits à la critique des projets politiques que le pouvoir propose. Autrement dit, c'est toujours le pouvoir qu'est le chef d'orchestre ! Contradictoirement, tout le monde l'attend pour le critiquer par la suite ! Les exemples ne manquent pas, je ne suis pas étonné de voir le nombre de partis, qui poussent comme des champignons ! Celle-ci éclaircit l'exemple de la guerre de leaderships. On crée des partis politiques autour d'une personne et pas au nom des idées partagées ou projet commun ! Nous avons trois courants dominants en politique en Algérie : républicain, nationaliste et partis religieux. La multiplication des partis n'est pas uniquement une manipulation du pouvoir, mais elle est aussi la conséquence de cette recherche permanente d'être « chef ». Au contraire, il me semble que le pouvoir l'a compris, qu'il peut l'utiliser comme moyen pour déstabiliser tout regroupement sérieux, qui menacerait son équilibre ! Tant que cette « malédiction » de leadership est présente, l'opposition ne fera pas peur au pouvoir !

La dimension psychologique serait en lien avec l'origine rurale de notre société. Il est important de souligner que les colonisateurs ont tout fait pour que la majorité des Algériens puissent vivre dans des zones éloignées de l'espace citadin. De plus, la classe bourgeoise était minoritaire à l'époque coloniale, et après l'indépendance une grande partie a rejoint « la métropole », pour plusieurs raisons. Nous y reviendrons dans d'autres textes. A l'indépendance, les politiques choisies n'ont pas permis l'émergence d'une culture citadine, au contraire, comme l'ont déjà souligné plusieurs chercheurs, c'est l'inverse qu'est arrivé, c'est-à-dire la ruralisation de l'espace citadin, ceci n'est pas uniquement au niveau de l'espace, mais au niveau de la manière de pensée. Nos villes sont devenues des grands villages ! Ces mutations ont également touché l'espace rurale, qui a perdu son identité. Que se passe-t-il au niveau psychologique ? Toute personne éprouve un besoin d'être reconnu, c'est humain. Cette reconnaissance prendrait son importance surtout quand on passe d'un milieu à un autre (pauvre/riche, village/ville, civile/militaire, etc.). De plus, l'absence de l'esprit critique, qui n'est pas assez ancré dans notre système éducatif et dans l'espace culturel, aurait renforcé « le besoin de reconnaissance », archaïque. Ainsi, avoir une responsabilité au sein d'une administration, d'une association, d'un parti politique (je préfère le terme d'association politique à la notion de parti politique), etc., sont perçus comme un signe de réussite sociale, et en conséquence, il pourrait en bénéficier des avantages financiers où autres. Parfois au niveau psychologique, une confusion est faite entre leur vision et leur poste de responsabilité, ils fonctionnent en termes de subjectivité et non en termes d'objectivité. La preuve, quand il y a échec souvent il est associé à soi, comme une blessure personnelle, comme si sa réussite est menacée. Certains modes de pensée traditionnelle s'opèrent pour les éradiquer ! De plus, l'ensemble de leur décision n'émane pas des lois constitutionnelles, mais selon les lois personnelles. La dérive, c'est quand il s'identifie à l'institution. Au fond la bureaucratie et la corruption, etc., seraient en partie renforcées par les pratiques culturelles dans notre société. Le pouvoir n'a pas affiché une volonté de les éradiquer, car d'une part ceci le déstabilisera, mais aussi il ne peut pas le faire sans l'apport culturel, qui nécessitera une culturelle citoyenne. Cependant, le pouvoir a réussi à instaurer la corruption pour l'utiliser comme moyen de pression.

L'échec de l'opposition n'est pas le fruit de la manipulation du pouvoir mais il est aussi le produit d'une logique culture !

* Psychologue