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Si Ahmed et ses mémoires

par Mohieddine Amimour

Le tome trois des mémoires du Docteur Ahmed Taleb Al Ibrahimi, paru en deux langues il y a peu, lance, je l'espère bien, les activités culturelles du 70ème anniversaire du 1er novembre 1954.

Intellectuel polyglotte, militant nationaliste, fin diplomate et courtois par excellence, Taleb a tracé dans les trois tomes son parcours politique, un parcours très riche et polyvalent.

Précis et ponctuel, comme devait l'être un bon médecin, il n'a pas manqué d'indiquer les dates de chaque acte et événement raconté, à tel point que certains pouvaient imaginer qu'il a utilisé les archives de l'APS et les coupures de presse pour constituer son ouvrage.

En ce qui me concerne, je me rappelle l'avoir souvent surpris en train d'écrire dans un volumineux registre, chaque fois que je pénétrais dans son bureau.

Le trait marquant de ces mémoires est la fidélité de Si Ahmed à l'égard du président Boumediene, et l'éloge remarquable qu'il n a pas manquée de lui faire, comme s'il s'agissait d'une réponse-gifle à ceux qui prétendaient qu'il avait une dent contre le défunt depuis 1975 (la charte nationale) et 1977 (le remaniement malheureux en deux étapes).

Le volume remarquable des activités racontées par l'auteur devait justifier l'oubli du rôle de certains acteurs politiques de l'époque. Sauf si ma lecture a été trop hâtive, je ne me souviens pas avoir lu quelque chose de consistant sur le rôle joué par Mohamed Amir, Smail Hamdani, Hadj yala, Abdelmadjid Allahoum et beaucoup d'autres. Certains noms ont été cités, mais d'une façon presque marginale.

L'auteur a bien fait de préciser que toute les activités nationales et internationales étaient suivies, orchestrées et même dirigées directement par le président Haouari Boumediene en personne. Il n'est pas superflu de rappeler que le domaine de l'information dans les années soixante-dix était patronné par quatre institutions, le ministère de la culture et de l'information (et non la communication, détail de taille) la division de l'orientation et de l'information (toujours l'information) du FLN, conduite par Mohamed Cherif Messaadia, le Commissariat Politique de l'ANP, commandé par le Capitaine Hachmi Hedjris, et en fin la direction de l'information à la Présidence de la république, dirigée par le conseiller à la présidence chargé de l'information (toujours l'information).

Dans une œuvre de cette importance qui couvre presque un demi-siècle, il est normal que quelques petits détails puissent échapper à l'auteur.

En faisant allusion au discours de Boumediene à Lahore (février 1974) Le docteur Taleb raconte que le président avait «abandonné» le texte officiel, déjà préparé, pour improviser un autre discours. La fidélité historique m'oblige à dire, en tant que témoin, que le discours initial était bien rédigé en tant que discours officiel, à prononcer dans une occasion officielle et à adresser à une audience officielle. Mais justement c'est cela, me semble-il, qui agaça Boumediene, lui qui voulait dire les «quatre vérités» à ses pairs arabes et musulmans.

Le discours prononcé a traduit la spontanéité vigilante du président algérien, sa connaissance profonde de l'Islam et sa clairvoyance politique, ainsi que sa prise aigüe de conscience des difficultés que traverse et que traversera le monde musulman. Le discours improvisé a déclenché des applaudissements enflammés des participants au sommet, journalistes et gardes de corps compris. Puis il a été diffusé à plusieurs reprises par la TV locale.

Je profite ici pour dire que le mot «improvisation» n'existe pas dans le dictionnaire de notre présidence, tel que je l'ai connue. Par conséquent, un discours présidentiel n'est jamais improvisé.

Boumediene avait l'habitude de préparer lui même le schéma général de ses interventions, dites improvisées. (Voir les notes manuscrites de la main du président dans mon livre : Des jours avec Boumediene).

Une fois le discours de Lahore terminé, c'était, comme d'habitude, le marathon pour l'équipe de la présidence, qui devait préparer, à partir de l'enregistrement radiophonique, le texte final du discours.

Contrairement à ce qui a été dit, personne, en dehors de l'équipe présidentielle, n'a participé à la rédaction finale, y compris le défunt Mouloud Kacem.

Cette précision m'est imposée par honnêteté intellectuelle.

En écoutant bien le discours de Lahore, j'avais pris la décision de supprimer une de ses phrases, par crainte de mauvaise interprétation des charognards qui attendaient l'occasion pour critiquer le musulman exemplaire qu'était Boumediene.

La phrase, que j'ai pris la responsabilisé de supprimer sans consulter qui ce soit, y compris le président, disait : je ne peux pas inviter les musulmans à aller aux paradis, le ventre creux.

Donc, pour le discours du sommet islamique du Pakistan je suis le seul à être critiqué ou incriminé. Mais j'ai agis en mon âme et conscience.

Passons au premier mandat du président Chadli Bendjedid.

Dans le texte en arabe, Si Ahmed indique qu'il était chargé de préparer le discours à la nation, qui devait être adressé par le président à l'APN, le mois de mars 1979 (page 42).

Nous étions convaincus à l'époque que le discours de la nation devait attendre la session d'automne, pour donner l'occasion au nouveau président de bien se préparer pour son premier discours solennel et en direct.

Plus tard, le docteur Taleb s'est occupé brillamment de la rédaction de la partie internationale du discours, prononcé par le président au mois d'octobre, et non mars.

J'ai toujours en tête l'expression utilisée par Si Ahmed, répété comme un refrain musical au début de chaque paragraphe qui évoque les régions et les événements : «En 1979, la vérité a gagné beaucoup de terrain».

Parlant toujours des discours, je m'arrête à la page 98 (version arabe) dans laquelle l'auteur raconte ses souvenirs du sommet de Nairubi et le discours du Roi Hassan II. Je comprends que la mémoire peut, parfois, faire défaut. L'être humain reste toujours un être humain.

Le docteur Taleb a indiqué que le roi du Maroc avait accepté le referendum pour le Sahara Occidental. Là, une précision s'impose.

Hassan II avait dit textuellement qu'il accepte un referendum qui confirme la conviction qu'a le Maroc de ses droits ligitimes au Sahara Occidental.

Le referendum accepté devait donc confirmer, non pas les droits du Maroc, mais sa conviction de ses droits. Nuance de taille.

J'avais dis au président que c'est un jeu minable de cache-cache (voir mon livre, Moi, Lui, et les autres, page 417, édité en 2007. le Président Chadli, avait reçu un exemplaire du livre par Abderaziz Boubakir).

Etant le responsable de la rédaction des discours du Président je lui ai posé la question sur la ligne à observer dans la préparation de la réponse. Il m'a dit brièvement que «Si Ahmed s'en occupe».

Le discours préparé par le ministre conseiller, avec Slimane Hofmann à son coté, était en français. Il a indiqué que la position du roi du Maroc est un pas en avant. Mais la prestation du Président n'a pas été à la hauteur. Il m'avait dit ultérieurement que le texte dactylographié était plein de fautes de frappe. Je n'ai pas manqué de lui dire que le texte m'était complètement étranger.

D'ailleurs, les mauvaises langues prétendent que c'est mon attitude à Nairubi, ajoutée à mon comportement, considéré comme anti marocain à la Mecque en 1981(la fameuse poignée de main entre Hassan-II et Chadli) constituaient les raisons pour lesquelles Larbi Belkheir m'a écarté complètement de l'organisation de la rencontre Chadli-Hassan II à Zoudj B'ghal, suggérée, inspirée ou demandé par le roi Fahd de l'Arabie Saoudite.

Ces petites insuffisances ne diminuent en rien la valeur remarquable du livre, qui enrichit la bibliothèque nationale.

Le docteur Taleb a toujours le mérite d'écrire son témoignage du vivant des autres témoins.

Ce qui me chagrine, c'est que notre pays n'a pas su profiter dans la dernière décennie de la compétence indiscutabe de ce grand militant et intellectuel de classe internationale. Il semble que nous attendions la mort de nos personnalités pour jeter quelques fleurs en leur mémoire, en oubliant le dicton algérien : Que pourra faire, après sa mort, d'un régime de dattes (arjoune) celui qui n'a pas pu, en son vivant, recevoir une seule datte.