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Palestine, colère et impuissance

par Abed Charef

La nouvelle agression israélienne contre Ghaza provoque une double réaction: un sentiment de colère et de révolte face à une immense injustice, et la rage de se sentir impuissant, incapable d'influer sur les évènements. Car Ghaza, c'est d'abord cette incompréhension : comment le monde, et en premier lieu le monde dit libre, peut-il accepter qu'un peuple soit soumis à un embargo total pendant huit ans, et qu'il soit aussi sauvagement bombardé sous le regard impuissant, ou complaisant, du reste de l'humanité, quand il exprime sa volonté de mettre fin à l'embargo?

Dans cinquante ans, dans un siècle, ceux qui, aujourd'hui, appuient l'agression Ghaza, ou ferment les yeux sur les crimes commis contre les Palestiniens, apparaitront sous une autre image : ils ont la même attitude que ceux qui appuyaient le système colonial il y a un siècle, en prétendant qu'il apportait la civilisation à des peuples incultes ; ils apparaitront comme ceux qui fermaient les yeux sur les crimes commis contre les juifs il y a moins d'un siècle, sous prétexte de purifier l'humanité. Et le monde se demandera comment les héritiers des victimes des crimes de la seconde guerre mondiale ont-ils pu en arriver à commettre des crimes de cette ampleur.

Mais le plus douloureux, aujourd'hui, c'est ce sentiment d'être contraint d'assister aux crimes contre Ghaza sans pouvoir rien faire ; à peine peut-être, dénoncer, fournir une aide symbolique, dite « humanitaire », à des hommes et des femmes qu'on écrase sous les bombes, sans pouvoir aider cet enfant fauché par un obus, sans pouvoir donner un coup de main à ce combattant repéré par un drone et tué par la mitraille d'un hélicoptère.

La partie du monde qui se sent la plus solidaire de Ghaza ne peut rien faire de fondamental pour la Palestine. Parce que nous sommes disqualifiés, hors du temps ; parce que nous sommes collectivement incapables de comprendre la nature d'un conflit, ses enjeux et ses acteurs ; parce que nous ne pouvons aspirer à participer à la libération de la Palestine tant que nous n'avons pas bâti des systèmes politiques performants, en mesure de garantir notre sécurité et celle de nos amis et alliés.

COMPRENDRE LE CONFLIT

Pessimisme ? Défaitisme ? Pas du tout. La libération d'un peuple se prépare, s'organise. C'est une opération qui demande des dizaines d'années, un siècle peut-être. Elle demande un effort politique et moral dont l'Algérie, aujourd'hui, est incapable. Sans parler du reste des pays qui se considèrent solidaires de la Palestine : ils sont hors de l'Histoire. Leur propre survie est désormais menacée.

Le conflit du Proche-Orient oppose un des Etats les plus performants au monde sur le plan institutionnel, organisationnel et technologique. Cet Etat s'appuie sur la première puissance économique et militaire du monde, et bénéficie de l'appui de l'establishment des principales puissances militaires occidentales qui régentent le monde. C'est également un pays qui possède l'arme nucléaire, ce qui change fondamentalement la donne.

C'est aussi un Etat qui continue d'exploiter à fond le traumatisme occidental de la seconde guerre mondiale, un traumatisme que les pays arabes n'arrivent même pas à comprendre, ni à analyser sereinement, pour tenter de comprendre le pourquoi de cet alignement systématique de l'Occident sur Israël.De plus, celui-ci, quoi qu'on dise, a une maitrise exceptionnelle de la propagande, et développe une capacité inouïe à tirer profit de la victimisation, avec un chantage permanent à l'antisémitisme.

FUTILE ET INUTILE

De l'autre côté, il y une Palestine divisée, affaiblie, réduite à compter sur une force qu'elle n'a pas. Ceux qui affirment lui apporter leur appui sont en fait des boulets, que les Palestiniens trainent depuis des décennies. Saddam Hussein, Daech, Al-qaïda, Ennosra, pasdarans, jihadistes de tous bords et autres organisations qui menacent de jeter les Juifs à la mer, on a vite fait le tour de tout ce qui est infréquentable. Et le pire est à venir. Car si on croyait qu'on a atteint le fond, on risque d'être démenti. Bientôt, ce sera la Palestine, malgré ses drames, qui risque d'être sollicitée pour apporter du réconfort à des pays en voie de disparaitre, comme l'Irak, la Syrie, la Libye etc.

De plus, les guerres contre la Palestine se suivent, avec le même scénario, mais ceux qui apportent leur soutien aux Palestiniens ne se rendent même plus compte de l'inefficacité de leur soutien. Ils organisent des marches ? Ils collectent des dons ? Ils participent à des émissions de télévision et dénoncent les régimes impuissants ? C'est bien. Et après ? Est-ce que ces actions se transforment ensuite en appui politique efficace ? En armes nouvelles?

A aucun moment, ceux qui organisent ces actions, à la limite du folklore, ne se rendent compte de la futilité de ce qu'ils font ; de l'inefficacité de leur démarche. Tout comme les pays arabes, mus par la même émotion, souvent sincère, ne se sont pas rendu compte pendant des décennies que leur appui à la case palestinienne était d'une efficacité nulle. Ferons-nous mieux à la prochaine agression, pour faire en sorte qu'elle soit moins déséquilibrée, à défaut de pouvoir l'empêcher? Ou bien devra-t-on se contenter d'appels des dirigeants à une intervention de l'ONU, et d'un débat entre intellectuels qui expliqueront que leur solidarité n'est pas communautaire, le tout pendant que les bombes pleuvent sur Ghaza?