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Ghardaïa, tout le monde en parle !

par Cherif Ali

Ghardaïa, Ghardaïa, Ghardaïa ! Le nom de cette belle ville du Sud, réputée pour ses palmeraies, ses tapis, son patrimoine séculaire et ses nombreux atouts touristiques est, désormais, définitivement, associé aux violences qui, sporadiquement, s'y déroulent.

La région accapare les esprits et fait l'objet de toutes les discussions ; hommes politiques, journalistes et intellectuels se sont saisis du sujet et n'hésitent pas, pour un certain nombre, de donner leur sentiment concernant les graves événements survenus dans la wilaya.

D'autres parce qu'ils étaient aux affaires et croyant avoir tout compris de ce qui se passait à Ghardaïa y sont même allés de leur définition.

Comme Daho Ould Kablia, ministre délégué des collectivités locales, qui avait, dès 2008, dit que les violences qui ont eu lieu à Berriane avaient tout d'un « conflit à l'Irlandaise », comparaison risquée au demeurant.

Pour ceux d'entre nous qui ne sont pas férus d'histoire contemporaine, rappelons que le conflit Nord-Irlandais (*), appelé aussi « les troubles » correspondait à une période politique en Irlande du Nord, dans la seconde moitié du XXème siècle.

Il débuta à la fin des années 1960 et a été considéré comme terminé en 1997 et 2007 selon les interprétations.

Ce conflit qui a charrié tant de drames humains, a démarré par un mouvement de revendication pour les droits civiques contre la ségrégation confessionnelle que subissait la minorité catholique.

L'opposition entre républicains et nationalistes (principalement catholiques) d'une part, loyalistes et unionistes (principalement protestants) d'autre part, sur l'avenir de l'Irlande du Nord, entraîna une montée de violence qui durera 30 ans.

Elle a été le fruit de groupes paramilitaires républicains, comme l'IRA Provisoire, dont le but était de mettre fin à l'autorité britannique en Irlande du Nord et de créer une république Irlandaise sur l'ensemble de l'île, et loyalistes, comme l'Ulster Volunter Force, formée en 1966 pour stopper la détérioration du caractère britannique du pays.

Ce conflit Nord Irlandais a été diversement définit par plusieurs de ces acteurs, soit comme une guerre, un conflit ethnique, une guerilla ou une guerre civile.

En tous cas, le bilan des pertes humaines et matérielles a été très lourd.

En 1988, un processus de paix apporta une fin au conflit en s'appuyant sur l'Accord du Vendredi Saint et la reconnaissance par le gouvernement britannique de la « dimension irlandaise ».

Telle était donc l'appréciation de Daho Ould Kablia des événements de Berriane où germaient, selon lui, les graines d'un « conflit à l'Irlandaise ».

Représentant le gouvernement d'alors, il s'appliqua, tout de même, à établir un dialogue entre les notables de la ville qui a abouti en 2010 à la signature de la « Charte de Berriane ».

Le ministre, à l'occasion de cet événement, a parlé d'un « grand pas pour l'ancrage de la réconciliation et de la culture de la coexistence pacifique ».

Aujourd'hui, ces mots ont, semble-t-il perdu tout leur sens au regard des violences qui perdurent à Ghardaïa que d'aucun assimilent à des « tensions communautaires » même si l'avis n'est pas partagé par le premier ministre qui, dans un discours prononcé dans la wilaya de BBA a qualifié les événements de Ghardaïa de « petites altercations entre jeunes ».

Le nouveau ministre des affaires religieuses, quant à lui, répondant à la question : considérez-vous ce qui se passe à Ghardaïa comme un conflit confessionnel ?, a déclaré : « non, mais il y a une instrumentalisation de ces rites pour faire perdurer les violences ; ni les écoles, ni les zaouïas, encore moins les mosquées n'ont utilisé leur appartenance malékite contre les ibadites. Au contraire ! Je me suis déplacé à Ghardaïa pour la prière du vendredi à laquelle ont pratiqué des ibadites et malékites ; le conseil scientifique national est composé de malékites, ibadites, chafiites et Hanbalites. A Ghardaïa, l'instrumentalisation passe par la toile et les ouvrages et dépliants se référant au salafisme qui sont distribués aux jeunes. Nous refusons de considérer le rite malékite comme étant une doctrine officielle de l'Etat, c'est pourquoi il n'y aura aucun texte qui officialisera le rite ibadite. Nous avons un référent religieux national, qui se décline à travers le rite malékite, ibadite, hanafite. Des égarements dans la rédaction des manuels scolaires ont été enregistrés dans les années 1990 où l'on a considéré le rite ibadite comme étant un rite kharidjit, c'est faux ! La faute a été corrigée même si elle a laissé des séquelles ».

Cette cacophonie gouvernementale à propos de Ghardaïa exacerbe et inquiète à la fois ! Comment en sommes-nous arrivé là ? C'est la question qui taraude les algériens qui assistent dubitatifs et incrédules face à ces scènes de violence où les maisons et les commerces sont incendiés et où certains de nos concitoyens y laissent même leur vie.

A chaque fois, le gouvernement fait état de son indignation et ne manque pas de dépêcher sur les lieux des forces de sécurité pour protéger les biens et les personnes mais, le feu finit toujours par reprendre avec les mêmes procédés, à croire ce qui est rapporté des événements de Ghardaïa : « la nuit, des groupes de jeunes munis de pierres et de cocktails Molotov s'affrontent aux cris de guerre et de haine, malgré la présence massive des éléments de sécurité ».

Des agitateurs ou présumés tels ont été, officiellement, arrêtés sans que l'on sache si leur interpellation a donné aux pouvoirs publics une visibilité sur qui est derrière l'opération de déstabilisation dont la région semble être la cible.

Tout comme les représentants de l'Etat, certains ex-candidats à l'élection présidentielle et autres chefs de partis se sont déplacés à Ghardaïa pour s'enquérir des causes des violences ; ils ont affirmé pour certains (Ali Benflis) détenir la «solution» qu'ils appliqueraient une fois élus ; la suite on la connait.

Quant à Louisa Hanoune qui voit la main de l'étranger partout où il y a du rififi, elle assure, à en croire certains écrits de presse, « qu'elle aurait reçu un appel téléphonique d'un chargé de communication du gouvernement qui lui aurait adressé une invitation afin de formuler des propositions pour régler la situation qui prévaut à Ghardaïa ».

En attendant, tous se contentent, pour l'instant, d'émettre des supputations sur les responsables :

1 les uns pointent un doigt accusateur sur les salafistes comme étant les manipulateurs des groupes de jeunes

2 d'autres accusent les caïds du narco-trafic qui auraient ouvert ce front en réaction à la fermeture des frontières

Aujourd'hui pourtant, l'urgence n'est plus aux constats ou aux effets d'annonce pour ramener le calme à Ghardaïa.

La population locale est passée de l'espoir à l'amertume et les jeunes ont la rage aujourd'hui et désespèrent de ces ratés des politiques.

Les plans de sortie de crise avec les mêmes maîtres d'œuvres se suivent et se ressemblent dans l'échec !

Le temps est venu de lancer une véritable opération de sauvetage de la région impliquant non seulement l'intervention ferme et résolue des pouvoirs publics en matière de sécurisation des biens et des personnes, mais aussi celles de toutes les forces politiques et sociales résolues, à régler cette crise dans le Sud du pays.

Et à l'évidence, la réponse aux troubles ne peut être donc « que sécuritaire » même si force doit revenir à la loi.

C'est l'avis d'Abderrahmane Hadj Nacer, ancien gouverneur de la Banque Centrale, originaire de la région de M'zab qui a déclaré : (?) nous sommes à la croisée des chemins et l'Algérie ne connaîtra pas le repos tant qu'elle n'aura pas régler l'épineux problème des vivre-ensemble ; dans l'immédiat, le gouvernement serait inspiré à réfléchir, sans délai à un véritable plan « Marshall » avec « Ministre des provinces du Sud » installé à demeure ; ce sera le premier pas vers une réflexion de fond pour une réorganisation du pays, type « Landers Allemands », « Etats Américains », où chaque région disposerait d'une autonomie dans le cadre d'un Etat fédéral garant des fondamentaux, l'identité, la religion, les langues et les fonctions de défense régalienne ».

L'heure est donc aux propositions de sortie de crise et à la nomination, éventuellement, d'un responsable qui aurait carte blanche pour régler les problèmes.

Appelons-le « Monsieur bons offices » ou « Envoyé Spécial à Ghardaïa », il doit pour, pour le moins répondre à un impératif celui d'aimer, profondément, la région et également satisfaire à une deuxième exigence, celle d'avoir contribué, à un moment ou un autre, à son développement.

Pour réussir sa mission, ce « missi dominici » devra tirer sa légitimité du Président de la République auquel il aura à rendre compte directement.

Au risque de heurter sa modestie, Abdelkader Ouali, l'ancien Secrétaire Général de l'Intérieur semble, légitiment, tout désigné pour remplir cette mission, lui qui a eu à gérer avec beaucoup de réussite les inondations qui ont frappé, durement, la ville de Ghardaïa en 2008.

Pendant près d'une année, il a eu à suppléer l'incapacité du wali d'alors à faire face à la catastrophe et à contenir l'impatience des sinistrés ; grâce à ses efforts managériaux et aux moyens de l'Etat et des collectivités locales qu'il a su mobiliser à bon escient, tous ont été relogés, sans exclusif, dans les délais prévus et l'homme a pu ainsi effacer les séquelles de l'inondation.

L'homme, rappelons-le, a été, entre autres, wali de Batna et de Tizi Ouzou qui présentent des similitudes avec Ghardaïa en termes de populations diversifiées.

Il y a urgence à Ghardaïa et il faut sortir des sentiers battus ; comme dit un proverbe chinois : « il vaut mieux allumer une bougie que maudire l'obscurité » !

Aujourd'hui le ministre de l'intérieur dans une dernière déclaration en appelle à la sagesse et à la prudence dans le traitement du dossier de Ghardaïa, tant la question, selon lui, est sensible et met en conflit « deux frères », allusion faite aux communautés ibadite et malékite, une thèse de conflit intercommunautaire que les concernés eux-mêmes n'ont de cesse de rejeter, car la lecture de l'histoire confirme que les arabophones, berbères et mozabites ont, à travers les temps, su faire démonstration d'un modèle de « vivre-ensemble » exemplaire.

L'heure donc est à l'action ; il n'y a plus de place pour les constats, encore moins aux recettes inefficaces et inopérantes puisées selon une grille de lecture généraliste qui fait abstraction de toute spécificité régionale de Ghardaïa.

Le drame de cette région interpelle nos consciences ; s'il venait à persister, les forces politiques et sociales de notre pays seront, à jamais, disqualifiées. Et le gouvernement « Sellal 3 » qui aura manqué de visibilité et dont la gestion n'a pas été fructueuse, n'aura plus raison d'être !

(*) Wikipédia