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Silence, on tourne !

par Kamal Guerroua *

Chacun s'accorde à dire que cette opération militaire de «la Tsahal» sur la bande de Ghaza, baptisée en la circonstance «Protective Edge» n'est qu'une énième provocation à l'encontre du peuple palestinien afin de l'affaiblir et par ricochet saboter le processus de paix au Proche-Orient déjà souvent malmené par Israël et parfois mis en veilleuse durant de longues années pour des raisons à la limite de la banalité!

1-ISRAËL N'AGIT PAS SEUL

A vrai dire, cette image d'Épinal éculée et surtout fausse de préservation de la sécurité intérieure, domaine qui relève de «domestic policy» (politique intérieure) est battue en brèche par cette escalade de violence unilatérale voulue par l'Etat sioniste et relayée, voire implicitement encouragée par l'Occident. Sur l'éthique et la morale de celui-ci, ou plutôt ce qu'il en reste, c'est-à-dire plus grand-chose, si ce n'est d'ailleurs plus rien, il y a sérieusement aujourd'hui matière à débat. En plus, que signifie la notion des droits de l'Homme, de légitime défense et de génocide humanitaire dans l'imaginaire des grands de ce monde si ce n'est le déni et surtout le musellement de la voix des faibles? Comment saurait-on comparer un Etat armé jusqu'aux dents (au demeurant le seul détenteur de l'arsenal nucléaire dans la région) avec un autre Etat qui, lui, géopolitiquement parlant, n'existe pas? Sans tomber dans l'excès ou l'exagération, si l'Occident en tant que bloc homogène, de culture judéo-chrétienne mérite tas de blâmes et de réprimandes dans cette flambée subite de violence en raison de ses tergiversations, sa politique de «deux poids deux mesures» et sa double-face dans le dossier arabe, Israël en tant qu'Etat machiavélique, excroissance dans le corps arabe ; né au hasard des accords de Syke-Picot de 1916 et de la promesse du lord Belfort en 1917, lequel monnaye de nos jours sa survie et sa présence dans le cœur du monde arabo-musulman par la force, en cherchant ses intérêts géostratégiques, lui, un peu moins, pour ne pas dire pas du tout dans la mesure où le renard (Israël) ne sévit dans la bergerie que parce que le berger (l'Occident) est tombé en sommeil, ou atteint du syndrome maladif de l'insouciance! Force est d'avouer en conséquence que la responsabilité des puissances occidentales en leur qualité de tutrices de l'ordre mondial est entièrement engagée dans ce foyer des religions et des saintes écritures!

2-REDEFINIR LES CONCEPTS :

Et puis vient cette question de lutte internationale contre le terrorisme, agitée à chaque instant comme un subterfuge défensif, un alibi, voire un principe de précaution. Une absurdité parmi d'autres pour rabattre le caquet à tous ceux qui veulent dire non à ce cirque international à ciel ouvert où une loi inique et partiale, digne d'un écosystème de jungle sauvage est établie au nom du droit international par un agora de faucons, jadis, colonialistes, redevenus aujourd'hui impérialistes! Pendant que des bébés, des femmes et des civils tombent par nuées sous le coup des missiles, on ne pense même pas à appeler à un cessez-le-feu immédiat mais détourne à dessein la discussion sur une poignée de roquettes prétendument lancées par les offensés pour marquer ne serait-ce qu'un point d'honneur et signifier par-là qu'il y a encore une once de dignité à défendre. Après le cataclysme «intra-muros» en Syrie où la logique de la connivence sur le plan international l'a emporté sur celle de la diligence, la compromission sur celle de l'engagement, la défiance sur la solidarité, s'ajoute cette fois-ci cette pluie d'agressions «extra-muros» sur des populations palestiniennes sans défense qui ont souffert et souffrent encore le martyre depuis plus d'une soixantaine d'années! Il est hautement significatif de rappeler à ce titre qu'une révision du lexique s'impose d'elle-même d'ores et déjà: qu'est-ce que le terrorisme? Comment le distingue-t-on de la légitime défense? Quelle est la frontière-limite entre le terrorisme d'Etat et celui des groupes annexes, asymétriques ou dissymétriques fussent-ils? C'est seulement à ce moment-là que l'on peut arriver à distinguer la bonne graine de l'ivraie. L'islamisme est-il nécessairement terrorisme et celui-ci rime-il forcément avec la résistance? Est-on en droit par exemple de mettre le Hamas et Al-Qaïda sur le même piédestal? Le Hezbollah et l'EIIL (Etat Islamique Irak et Levant) sur un autre? Le flou dans le champ des acceptions, des concepts, et des notions tue, de mon point de vue, l'esprit de lucidité dans le traitement des questions sécuritaires à l'échelle planétaire!

3- QUELLE SERA LA REACTION D'AL-SISSI ?

Par ailleurs, la grande énigme dans cette agression sioniste reste incontestablement la position du président Al-Sissi. En vérité, l'Egypte qui est limitrophe avec la Palestine est condamnée à se conformer au traité de Camp David de 1979 et ce n'est pas du jour au lendemain que l'on pourrait remettre tout cela en question. Au surplus, le pays des Pharaons est économiquement hypertrophié, politiquement très faible et socialement en ébullition à l'issue d'un printemps de chimères qui l'a revu «se recaser» dans l'ivresse d'une dictature d'ersatz. Le constat est là, lamentable à bien des égards : les révolutionnaires sont pris de lassitude, les islamistes très sensibles à la cause palestinienne persécutés, l'élite partagée entre plusieurs camps en conflit et les militaires à la solde des puissances occidentales sont plus préoccupés de la préservation de leurs privilèges que de sauver la dignité blessée! Rien ne présage alors une prise de position honorable, voire active en faveur de ces «damnés de la terre» que sont les palestiniens pour relayer l'expression fanonienne! Si la confrérie islamiste s'est montrée prédisposée à apporter son soutien aux palestiniens, Al-Sissi tend lui à couper les amarres et les liens de fidélité avec la résistance arabe. S'il se trouve une velléité de défi, ça ne sera que du discours creux et de la rhétorique vaseuse! Le désert de Sinaï et le Tunnel de Rafah sont la monnaie d'échange de la douleur des frères traumatisés. Lesquels sont déjà assis sur le banc de touche dans une actualité submergée par les flonflons du Mondial. Une chose est sûre après tout, cet été sera très chaud pour les Ghazaouis en même temps que les monarchies du Golf courent à qui mieux mieux pour servir de relais aux intérêts de ceux qui derrière le rideau de l'infamie instrumentalisent l'alpha et l'oméga de la souffrance de ceux qu'elles prétendre pourtant défendre! Quel dérèglement du monde! Il y a en tous cas dans tout cela, une odeur de trahison et sui generis. Parler de la Syrie ravagée par une guerre intestine, de la Jordanie en normalisation avec les sionistes comme l'Egypte, et de l'Irak entre les crocs des djihadistes, ça ne serait, à proprement parler, qu'une perte sèche du temps. Les arabes sont victimes de leurs incohérences, de leurs déficiences, de leurs retards, bref de leur mauvaise gouvernance! Or, sans démocratie, il n'y a plus de place à la force ni à l'union.

4- OBAMA DANS LE CERCLE DES ABSENTS

Obama n'a qu'un seul souci pour le moment, régler en urgence l'imbroglio irakien, effacer la bourde de l'administration Bush Junior, redorer le blason d'une hyperpuissance qui regarde en spectacle les conséquences de ses mésaventures bellicistes et s'imposer géostratégiquement face à Poutine dans le dossier ukrain et syrien. La question palestinienne est passée à la trappe et c'est aux instances onusiennes qu'il appartient de s'en saisir pour simplement: dénoncer! Un mot-bidon qui revient également en ritournelle dans le vocabulaire de la Ligue Arabe, l'Union Européenne et le Conseil de Coopération du Golf! Hélas, cette pauvre Palestine est regardée comme un rebut de marchandise à l'étalage et l'Etat sioniste est passé maître dans l'art du massacre, de tuerie et du mensonge comme d'ailleurs cette communauté internationale qui lui sert de couverture et qui s'est révélée accroc au confort désuet du double discours, l'inertie et le non-engagement. Or, l'urgence est d'éteindre ces flammes, venir au secours d'un peuple en danger d'extermination et au final lui garantir une existence étatique, souveraine et durable.

* Universitaire.