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Cet exploit qui en appelle d'autres !

par Abdelkader Khelil *

Par centaines de millions de téléspectateurs, le monde de la «planète foot» s'est dit ébahi par la prestation de cette équipe algérienne qui a fait en l'espace de trois grands et authentiques matchs de foot, le consensus d'admiration comme unanimement validé par les professionnels de la presse sportive internationale.

Dire cela tout de go, c'est apprécier à sa juste hauteur, l'exploit généreusement accompli par cette pléiade de joueurs talentueux qui auront contribué à corriger quelque peu, cette approximation géographique de : " entre le Maroc et la Tunisie " généralement usitée par les étrangers, lorsqu'il s'agit de positionner notre pays.

Quand la réussite forge l'image du pays !  

Il faut dire que cela nous fait mal, que nous soyons réduits tel un ovni, à une " communauté " approximativement identifiée et située. Mais grâce à nos jeunes, l'on se rappellera cette fois-ci de cette entité géographique du Maghreb qui est notre pays, désormais assimilé à : " Algérie battante " avec un grand " A ", capable de gagner des défis quand le cœur est mis à l'ouvrage, et quand il s'agit de prouver à soi-même, que nous ne sommes pas si différents des autres et encore moins, que nous ne voulons pas être ce conglomérat d'individus sans intérêt et sans ambitions créatrices auquel on veut nous assimiler, à tort ou à raison.

C'est là, un travail remarquable de construction d'une image d'un pays animé par une volonté de réussite, accompli par de jeunes sportifs que nos représentations diplomatiques à l'étranger n'ont pas su ou voulu jusque là réaliser à hauteur de nos espérances, et de notre fierté enfouie au plus profond de nous même. C'est cela le véritable enjeu de notre participation à cet événement planétaire, qu'est la coupe du monde chez ceux qui savent faire les meilleures lectures de la marche de l'humanité, de ses valeurs, de ses systèmes de mesures et de ses ratios d'évaluation. Merci donc à vous " Fennecs " pour nous avoir remis, l'instant d'un événement sportif mondial, dans le courant des gagnants et des nations qui retiennent l'attention des autres.

Bravo aussi à vous pour avoir fait rêver quelque peu, ce peuple algérien en manque de sensations fortes, avant qu'il ne continue à ruminer ses fantasmes toutes classes confondues de la plus riche à la plus pauvre, dans une ambiance ramadanesque faite de stress, de morosité et d'un quotidien de toute platitude. Vous êtes sans aucun doute, ce bol d'oxygène si vital à notre jeunesse qu'on n'a jamais su faire respirer à hauteur de ses capacités, à défaut d'imagination chez ceux qui président à sa destinée. Oui ! Le moteur " turbo-jeunes " de l'Algérie d'aujourd'hui, plus que celle d'hier, a besoin de bons " mécanos " pour extérioriser toute sa puissance et sa mise en rallye sur les circuits de la vraie mesure de la performance, de l'effort soutenu et de la compétition. Mais comment une telle évidence n'a-t'elle pas pu être encore comprise ? Et pourtant ! Il y a de cela plus d'un quart de siècle que la sonnette d'alarme avait retenti, en ce printemps précoce sinon prématuré d'octobre 1988 !

Un parcours élogieux au goût d'inachevé !

Loin d'être impressionnés dans la cour des grands et avec un peu de chance, nos " pros " avaient la possibilité en leurs qualités de " gladiateurs " et de techniciens talentueux de porter le rêve de la communauté africo-arabo-musulmane au summum, du tout au moins quart de finale de cette prestigieuse compétition internationale. N'est-ce pas que face à nos jeunes nullement complexés, l'équipe belge était de toute évidence, plus rouge vif qu'endiablée, et certainement surdimensionnée par les médias en valeur intrinsèque, comme pour nous faire peur ? N'est-ce pas que les Sud coréens d'habitude réglés tel un métronome, fait de passes rapides comme dans un jeu vidéo, étaient méconnaissables et visiblement déboussolés par la passe courte du label " made-in algéria " ? N'est-ce pas aussi, que " l'ours russe " n'a pas été cette " orgue de Staline ", une arme redoutable qui aurait pu nous faire mal ? Et même la " machine allemande " de la " Mannschaft " si redoutée et sur laquelle tout le monde a misé, alors que visiblement gênée dans son évolution au milieu du terrain, n'est arrivée que très difficilement à bout de la détermination de nos " jeunots " du vice-versa des deux rives de la Méditerranée, dont la dextérité a étonné bien des observateurs, et non des moindres.

Alors oui, nous sommes quelque peu frustrés d'être passés tout près d'un exploit planétaire au regard de l'effort collectif fourni, et de cette énergie débordante qu'on n'a malheureusement pas su gérer à l'économie.

Oui ! Par manque d'expérience, la détermination faite de suintement de sueur par excès, n'a pas suffi ! Il faut croire que cette fougue bien algérienne, génératrice de crampes et de fatigue de dernières minutes, a plutôt servi le camp adverse et se doit d'être convenablement canalisée à l'avenir, d'autant plus que notre équipe a pour obligation de confirmer sa suprématie continentale, lors de la prochaine coupe d'Afrique des nations au Maroc.

 Malgré cela, tout le monde s'accorde à dire, que le parcours réalisé par les " Fennecs " au Brésil a séduit plus d'un, y compris le coach d'Arsenal, Arsène Wenger ce professionnel émérite qui n'exclut pas la possibilité d'engager un joueur algérien.

D'une moyenne d'âge de 23 ans, l'équipe algérienne nous dit-il : " sera encore plus forte à l'avenir, pour peu qu'on puisse opter pour la stabilité, en gardant le même effectif et le même état d'esprit ". La " participation à la coupe du monde a été une réussite pour cette équipe qui a gagné en expérience ", a t-il ajouté. Il a même en sa qualité de consultant, suggéré à l'équipe de France de tenter de copier la manière du pressing haut avec laquelle l'Algérie a joué pour espérer battre cette équipe Allemagne, qui de l'avis de la presse internationale n'a pas été très convaincante.     Ce conseil n'a pas été suivi par l'incorrigible " coq gaulois " au cocorico légendaire, et la France s'est donc inclinée en toute logique, face à la solidité musculaire de " l'aigle allemand ". Même, que de l'avis de bien des connaisseurs, les " gallinacés " de l'hexagone ont moins bien joué que les " Fennecs ", et il est bien heureux que l'équipe française ait pu nous éviter.

Dieu merci ! Le parti lepéniste n'a pas pu faire ses " choux gras " de cette opportunité, pour gagner quelques points dans les sondages d'opinion, au prix d'une plus grande diabolisation de notre communauté installée en France, qui aurait certainement envahi à plein étendard vert, rouge et blanc, les Champs Elysées et perturber grandement les festivités du 14 juillet. Notre 5 juillet se serait de la sorte invité ! Et bonjour les dégâts! Avec ces gens haineux, nous sommes dans cette logique : " du qui gagne, perd en respect et en considération " ! Pour eux, les fiers comme nous qui tiennent à leur identité, n'ont qu'à bien se tenir ! Il faut faire profil bas, pour être tout juste toléré dans le pays des " droits de l'homme " ! N'en déplaise à Marine le " facho ", tatouée au sceau de la haine, telle une marque de fabrique de cette digne fille de son père, toujours au chapitre de ce match mémorable, le journal l'équipe a titré : " l'Algérie force le respect " et libération cet autre quotidien français, qualifie la rencontre comme " match épique". Quant au journal allemand Bild, il attribue le qualificatif de " honteux " aux coéquipiers de Müller en titrant à sa une : " l'équipe de la honte bat l'Algérie ", une équipe courageuse. Radio France Internationale (RFI) a aussi salué la prestation algérienne en soulignant que : " l'Algérie sort la tête haute ", en se battant collectivement jusqu'à la 120ème minute.

Dans la continuité de ces témoignages, nous pouvons dire sans chauvinisme ni exagération, que nos jeunes ont réussi à forger le respect et l'admiration, ce qui a fait d'eux, une des révélations de ce mondial, et la coqueluche de tous les déçus par leurs équipes, qui ont fini par nous soutenir et nous rejoindre sur les gradins pour entonner l'inévitable : " One, Two, Three, viva l'Algérie ", les brésiliens en premier.

Cela a valu à nos joueurs, une meilleure cotation sur le marché du foot de cet été, et c'est là une opération tout bénéfice aussi bien pour eux que pour nous tous, qui tirons quelque sentiment de fierté en ces temps de vaches maigres, où tout est à prendre pour soigner autant l'image de notre pays, que le mental de notre peuple.

Si les gens sont si friands de ce type d'exploit, c'est parce qu'il a été porté par de vrais " guerriers " qui ont mis l'art et la manière au service de la gagne, pour faire de la fête un plaisir total, qui marquera durablement nos esprits. C'est cette magie qui a fonctionné pour ramener notre équipe à cet historique huitième de finale et cette 13ème place dans le classement FIFA, autrement dit, une position des plus honorables. Et cerise sur le gâteau, nous conservons sur ces (32) dernières années, une égalité de points avec cette Allemagne outrée, pour n'avoir pas pu conjurer le sort qui lui a été infligé à Gigon, l'espagnole. Dans le pays de la rigueur et de la discipline collective, d'aucuns ont compris de par cet héritage de mémoire lourdement porté, que la page n'est pas définitivement tournée, d'où la sévérité dans le jugement sur la manière de jouer de leur équipe. Il faut dire aussi, que la " Mannschaft " imprégnée de la culture de Goethe, ce poète allemand et plus particulièrement de sa citation : " celui qui reconnaît consciemment ses limites, est le plus proche de la perfection " s'est admirablement ressaisie en demie finale, en " corrigeant " la sélection brésilienne par ce score humiliant de (7) à (1). Cela souligne si besoin est, la capacité du mental germanique et en même temps, toutes les chances qu'avait l'Algérie d'aller plus loin qu'un huitième de finale pour avoir mené la dragée haute à cette équipe, qui a su pourtant choisir, le moment opportun pour se surpasser et pour battre tous ses adversaires.

C'est là une belle démonstration pour dire à tous ceux qui doutent de leurs valeurs intrinsèques, que les gagnants sont ceux qui savent tirer leurs forces des enseignements de leurs échecs. C'est " no comment " !

Quand à nous, nous ne pouvons que constater la perte d'une opportunité d'aller plus loin dans cette compétition qui était certes à la portée des pieds en " or " de nos joueurs, mais certainement pas de leur mental soumis à forte pression. C'est dire, que ceux qui sont arrivés à bonne destination, n'ont pas fait que taper sur un ballon, quelque soit la valeur de leurs prouesses techniques.

Il y a cette autre chose plus complexe que nous devrions acquérir pour rester définitivement dans le camp des champions. Pour l'instant, nous sommes accrédités de cette appréciation : " élève doué peut mieux faire, si correctement suivi " ! Et c'est déjà bien ! D'autant plus que nous enregistrons un second exploit, à travers la désignation de Mr Djamel Haïmoudi pour officier la petite finale qui a opposé le Brésil aux Pays-Bas. Quelle belle consécration du mérite ! Et quel honneur pour notre pays !

Ces deux exploits successifs sont à capitaliser, tout en considérant que pour le foot comme pour toute autre chose, le secret de la réussite est dans la formation des élites, dans la gouvernance et dans l'effort soutenu ; c'est à dire autant de conditions à réunir, pour s'inscrire durablement dans la compétition à l'échelle internationale. Alors ! Arrêtons de tergiverser et faisons en sorte, que cela soit ainsi et non autrement !

Plus dur sera l'après exploit !

D'aucuns diront tant mieux que notre équipe n'ait pas franchi le quart de finale, parce que la " récré " n'aurait pas été sifflée de sitôt, et l'enivrement se serait prolongé sans limites, au point où l'on aurait oublié que notre quotidien n'est pas fait que de sensations et de pulsations footballistiques, souvent sources d'accidents cardiaques. Oui ! Ils ont raison de le penser, car l'état second que procure une victoire majeure dans le foot tout particulièrement, est comparable à celui d'une drogue dure qui a pour effet d'inhiber la fonction travail, cette seule vraie source de richesses et de plaisir pérennes. Ce qu'il faut faire remarquer, est que comme dans un séisme, les répliques de notre exploit sportif perdront progressivement de leur intensité jusqu'à l'avènement de cette seconde frénésie à partir de janvier, date d'ouverture de la " chasse " au trophée de la non moins prestigieuse coupe d'Afrique des nations. Cette sinusoïde faite de haut et de bas, procure bien évidemment aux pouvoirs publics un répit d'au moins une année qu'ils devraient mettre à profit pour anticiper d'autres exploits, non pas ceux que nous achetons chez les autres, mais ceux que nous réalisons sur nous mêmes, c'est à dire sur notre propre résistance à avancer. Mais il est à craindre encore une fois, qu'à défaut d'assumer nos responsabilités, nous continuerons à être programmés tels des cobayes, sur ces fonctions jugées essentielles : du " manger ", du " dormir " et de façon tout à fait facultative, du " plaisir " et des " loisirs ", jusqu'à épuisement de nos richesses au demeurant controversées quant à l'échéance de leur durabilité, sans que l'on fasse de l'effort soutenu , une obligation et de l'apport individuel, une valeur citoyenne déterminante pour la configuration d'une société de progrès.

Alors ! Oui ! Il y a tant de choses à faire pour inscrire la joie dans la continuité de l'action qui interpelle la collectivité nationale dans toutes ses composantes. L'essentiel faut-il encore une fois le souligner, est que nous puissions tirer les enseignements pour mieux avancer à l'avenir, non seulement dans le sport d'une manière générale, mais aussi et surtout, dans bien d'autres domaines certainement plus vitaux que le foot, pour une jeune nation en construction. C'est cet état d'esprit qui doit prévaloir dans la conduite des affaires publiques, tous secteurs confondus. Le pays doit être porté par la force des bras et de l'intelligence de sa ressource humaine d'ici et d'ailleurs, et non reposé uniquement sur les réserves de son sous-sol. Quand nous aurions compris cela et quand nous saurions être animés par une volonté forte de changement de stratégie, comme ce fût le cas pour notre équipe de foot, alors il est permis de rêver à d'autres exploits dans bien d'autres domaines, même s'il sera très difficile à l'ensemble de nos secteurs de la vie économique, sociale, culturelle et scientifique, d'accomplir le même niveau de performances au classement à l'échelle mondiale. Il faut juste y croire et commencer à changer cette mentalité du : " je sais tout dans tous les domaines " qui colle à l'esprit des préposés à la gestion de la chose publique, qui n'arrivent pas à se défaire de ce travers inhibiteur, en supposant qu'ils aient songé à le faire. Alors oui ! L'Algérie qui gagne est celle qui fait reposer toutes ses actions sur sa ressource humaine d'ici et d'ailleurs. Elle a terriblement besoin de ses élites : pour restaurer son système éducatif, pour faire le l'université et des instituts de formation la locomotive du développement, pour asseoir une authentique politique publique de santé, pour amorcer la reconstruction de son tissu industriel délabré par des décennies de politiques libérales et d'économie de bazar, pour faire du développement des secteurs du tourisme, des services productifs et de l'agriculture des alternatives d'anticipation et de solutions durables à l'ère de " l'après pétrole ". Tout cela est à notre portée, si l'on songe à faire du triptyque : éducation, formation, emploi, l'ossature véritable de notre politique de développement à moyen et long termes.

* Professeur