Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La France ne veut pas changer ses lunettes de colon

par Reghis Rabah *

Dans sa conférence de presse, Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères de la France, déclare que son pays ne fait pas du lobbying pour intervenir en faveur de certaines entreprises françaises afin d'exploiter le gaz de schiste en Algérie.

Il n'explique pas cependant pourquoi le gouvernement Français octroie une carte de résidence de 10 ans à un haut responsable Algérien et ferme les yeux sur les nombreux comptes en euros ouvert par d'autres auprès des banques françaises. Un député Algérien ou un cadre des grandes entreprises ne se déplace même pas pour bénéficier de visa renouvelable automatiquement alors que le citoyen lambda bave pour en avoir un. Si cela n'est pas la constitution d'un groupe de pression alors, c'est quoi ? Cette réponse politiquement correcte, montre d'abord que la France est venue en sapeur pompier dans un débat interne houleux sur cette question et puis la vision de l'ancienne puissance coloniale se perpétue malgré le temps passé. C'est ainsi, l'histoire a retenu que la seconde guerre mondiale s'est achevée sur l'explosion de bombes atomiques américaines sur le Japon. Dans un climat de guerre froide naissant, le général De Gaulle décide l'autonomie complète de la France en matière de défense. C'est pourquoi il crée, le 18 octobre 1945, le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), dont la mission est de mettre le nucléaire au service de l'industrie, de la science et de la Défense nationale. En avril 1958, le président du conseil Félix Gaillard demande une première campagne de tir ; le retour du général De Gaulle au pouvoir va accélérer les choses. Il se trouve que l'exploitation militaire future de la puissance nucléaire est confrontée au problème majeur du choix du site.

Finalement, après les îles Kerguelen et la Polynésie, le choix se porte sur le Sahara et plus particulièrement la région de Reggan. Pourquoi ? Parce que les Algériens aspiraient á leur indépendance et les intentions révélées plus tard par le général dans ses mémoires sont formelles (01): concession sur tout, sauf le Sahara.

Il faut tout construire dans le désert autour de Reggan, pour accueillir les installations et les six mille personnels qui serviront au centre d'essais des oasis. Après plusieurs mois de travaux, la première bombe atomique (dite bombe A) française explose le 13 février 1960. Peu après, des équipes spécialisées procèdent à des prélèvements sur les matériaux et matériels exposés aux actions thermique, mécanique et radioactive de l'explosion.

Trois autres explosions (en avril et décembre 1961, puis en avril 1962) (02) parachèvent la campagne d'essais en atmosphère au Sahara qui continue à faire des ravages jusqu'à aujourd'hui et qu'il est possible d'en prendre connaissance dans la presse nationale qui a réussi à recueillir des témoignages dans les deux rives de la méditerranée. Après plus de 56 ans l'argument avancé par l'ancienne puissance coloniale, aujourd'hui devenue le principal partenaire économique de l'Algérie indépendante, n'a pas évolué d'un iota. Si à l'époque on justifié le choix de Reggan par son isolement des agglomérations du Sud, on continue à faire de même aujourd'hui pour rafler les contrats d'exploitation du gaz de schiste.

Les gisements non conventionnels en Algérie, selon eux sont situés en dehors des grandes agglomérations du Sud: Tindouf, Reggane, Timimoun, Ahnet, Mouydir, Ghadames Berkine et Illizi et certaines régions du Nord du pays. En plus, toujours selon la théorie Française, reprise par certains de nos experts, la distance entre les nappes phréatiques (Turonien, Albien et plus haut) et ces gisements de schiste dépasse les 2000 mètres donc leur contamination à travers les fissures est très peu probable mais heureusement qu'à l'unanimité, ils reconnaissent qu'elle reste possible. Pourquoi la France a choisi l'Algérie ? Quel intérêt l'Algérie tire t-elle de cette opération ? Ce gas de schiste a-t-il un avenir dans le monde ?

LA FRANCE N'A PAS ABANDONNE L'EXPLOITATION DU GAZ DE SCHISTE

La France sous une très forte pression des écologistes, a interdit la fracturation hydraulique ( Fracking) comme mode d'exploitation de cette ressource sur son sol sans pour autant fermer totalement son développement si une alternative à cette méthode voyait le jour dans un avenir prévisible. François Hollande s'est appuyé principalement sur un rapport d'expert élaboré par l'Agence Nationale de Coordination de la Recherche pour l'Energie (ANCRE) sous l'égide de l'Institut Français du Pétrole Energie Nouvelle (IFPEN) et le Centre Nationale de Recherche Scientifique (CNRS).

Ce rapport explique avec des mots simples facilement compris par des politiques le processus organique d'accumulation du gaz et du pétrole dans les roches mères, extrêmement compactes. Il est sur le plan chimique un gaz comme tous les autres. Seulement, celui qu'on nomme communément «conventionnel» migre de sa roche mère à une autre dite «réservoir». Cette dernière par contre est poreuse et perméable et avec un simple forage vertical on peut l'atteindre pour soutirer le liquide et le gaz qu'elle renferme. Le gaz et le pétrole de schiste, quant à eux ne migrent pas et restent dans la poche de leur mère et si on veut les exploiter, il faut y aller avec des conditions de Fracking beaucoup plus sévères. Il faut les éclater sous haute pression en créant des pores artificiels qu'il faudrait les maintenir ouverte en injectant du sable. Pour la productivité des puits, on a recours à des milliers de tonne de produits chimique sans compter 10 000 à 15 000 m3 d'eau par puits.

Le rapport précise dans sa page 21, section 4.2.1.2, «si la (fracturation hydraulique) en tant que telle est bien maîtrisée, son application (aux liquides et gaz) des roches mères mérite d'être affinée». Ce n'est pas comme le laissent entendre les responsables Algériens en comparant la petite frack avec injection des polymères pour améliorer la productivités de certains gisements fatigués pour conclure que Hassi Messaoud est à 70% non conventionnel.

Les experts Français étaient honnêtes en précisant à leur président que «la fracturation hydraulique est aujourd'hui la «seule» technique pour produire les hydrocarbures des roches mères» Cependant de nombreuse techniques sont en voie d'expérimentation sans aucun retour de résultats probants. Il s'agit du chauffage de la roche en profondeur, l'electro -fracturation et autres techniques en perspectives mais en phase de recherche. Le rapport explique en détail l'impact environnemental catastrophique pour permettre au président de stopper sans délai les permis de recherches attribués par la France aux compagnies mêmes nationales comme Total par exemple. Cependant, les experts ont identifié des axes de recherche et prévu un budget sur 3 à 5 ans d'environ 25 M d'euros pour évaluer l'impacte technique, économique et puis écologique en France. Alors pourquoi ce qui ne se fait pas chez eux, reste possible en Algérie ? Le premier ministre déclare à`l'APN qu'aucun contrat d'exploitation et de développement de gaz de schiste n'est signé ? Désormais, il n'est pas à sa première contradiction. N'a-t-il pas déclaré dans le même hémicycle que l'Algérie maîtrisait la technique de la fracturation hydraulique ? Que vient faire Laurent Fabius avec des hauts responsables de l'énergie ? Certainement pas pour sommeiller (comme il l'a fait) lors de la rencontre économique Algéro -française car les vraies raisons sont ailleurs.

POURQUOI SONATRACH SPECIALEMENT N'A AUCUN INTERET A INVESTIR DANS LE GAZ DE SCHISTE ?

Parce que tout simplement elle maîtrise la recherche, l'exploration, le traitement et le transport du gaz conventionnel. Il faut souligner qu'elle a construit la première usine de liquéfaction au monde en 1964, la Camel dans l'ouest du pays. En dépit des difficultés liées à la gestion de ses ressources humaines, elle dispose d'une expertise dans tous les procédés de liquéfaction. Avec le temps, elle s'est imprégnée des avantages et des inconvénients des deux modes de transport du gaz conventionnel. Elle exporte actuellement prés de 62 milliards de m3 et ambitionne porter ce chiffre à 85 milliards de m3 d'ici 2015. Pour cela des capitaux ont été consentis et le moindre $ reste nécessaire. Elle a tout intérêt à capitaliser, consolider et fertiliser cette expérience qu'elle pourra fructifier dans le cadre d'un partenariat du type win win.

Les Russes l'ont déjà souhaité. Ses réserves en gaz naturel fin 2014 sont estimées à 4,5 trillions de m3 en augmentation avec de nouvelles découvertes que Sonatrach a réalisé seule. Ceci la place au rang de la deuxième en Afrique après le Nigeria avec 5,3 trillions de m3 (03). L'Algérie dispose aussi d'un vaste domaine minier avoisinant les 2 millions de KM2, exploré sur à peine 35%. Etant donné le contexte du marché de l'énergie mondial actuel, elle a donc tout intérêt à développer le montage de partenariat pour s'imposer dans son marché traditionnel qui reste l'Europe de part sa proximité. Dans le forum des pays exportateurs de gaz FPEG, elle aura à surveiller les Russes pour leur gazoduc Southstream et qui ne sont que membres observateurs dans cette assise et le Qatar qui tente d'investir le marché Européen. Ces deux pays totalisent à eux seuls prés de 56% des réserves de l'ensemble des pays de ce forum. Les voies sont simples pour un pays comme l'Algérie qui n'a plus intérêt dans les contrats long termes: Monter des partenariats pour vendre son savoir faire et lancer les jalons de l'après pétrole, transformer son gaz pour créer de la valeur ajoutée, tenter de s'intégrer dans la distribution du gaz en Europe et surtout vendre là où le prix est le plus haut pour valoriser son gaz et non le brader quitte à le laisser dans le sous sol.

Présenter donc l'option du gaz de schiste comme un choix entre la peste et le choléra comme fait le gouvernement en place est une simple solution de facilité pour poursuivre dans la voie de l'économie de rente.

LA FRACTURATION HYDRAULIQUE N'A AUCUN AVENIR DANS LE MONDE

Tous les pays de part le monde ont abandonné ou en voie de le faire l'exploitation du gaz de schiste par la fracturation hydraulique en attendant la mise au point d'autres méthodes. Les Russes ne veulent pas concurrencer leur propre gaz conventionnel, les chinois négocient avec Gazprom leur avenir énergétique, l'Europe, quant à elle peine de trouver un consensus sur cette question. La Pologne continue son exploitation par manque flagrant d'alternative. Entre se soumettre au dictat de Poutine et le gaz de schiste : le choix est évident. En ce qui concerne les Etats-Unis, cette euphorie du nouveau Eldorado n'est qu'une bulle comme celles qui l'ont précédée (Subprimes et Internet) et qui commencent à atteindre ses limites. D'abord par son ravage environnemental qui se généralise dans les Etats qui l'ont permis et dissuadent ceux qui n'ont pas commencé son exploitation par l'imposition d'un moratoire qui est entrain de s'élargir de plus en plus dans les Etats américains. Ensuite plusieurs investisseurs dans l'exploitation du gaz de schiste aux Etats-Unis connaissent en ce moment un niveau d'endettement fortement élevés en raison des grosses dépenses mobilisées dans les forages, tandis que les chiffres d'affaires s'avèrent plutôt faibles, a rapporté, début juin, Bloomberg, une agence américaine spécialisée dans l'information économique et financière.

Les gisements du gaz et du pétrole de schiste ont atteint le pic de productivité et demandent de nombreux forages non prévus dans les calculs d'investissement et contraint plus de 61 entreprises de cette activité à rentrer dans le cycle infernal de l'endettement comme l'ont été avant eux les propriétaires de l'immobilier. Il faut préciser par ailleurs que les réserves mondiales de gaz de schiste font presque le double de celles du gaz naturel. C'est cet élan qui fait pousser les compagnies américaines, au demeurant pionnière dans ses techniques d'exploitation à vanter ses qualités d'ailleurs en vain. Les Etats-Unis ont par rapport à tous les pays de la planète plus de contrainte d'environnement. L'expérience a montré par le passé que les réserves abondantes même virtuellement sous forme de bluff, influence le marché. Pour rappel, la compagnie Schell n'a-t-elle pas sous évalué ses réserves de pétrole et de gaz pour falsifier ses comptes comptables ? L'ouverture d'une enquête par le SEC a entraîné le départ prématuré de son directeur du groupe Phillip Watts. BP a triché sur ses réserves en mettant de côté délibérément les cessions forcées.

La firme Brésilienne Braspetro a annoncé avoir découvert un gisement géant au large de Sao Polo pour juste augmenter la valeur de ses actions. La Douma russe a voté en 2002 une loi punissant de 7 ans d'emprisonnement toute personne qui divulgue les réserves. L'OPEP triche sur les réserves pour avoir les quotas les plus élevés, donc sur la production. Les experts de l'Aramco ont affiné à 10,15 millions de barils par jour la production du pays en 2011 alors que le ministère de l'énergie du royaume la situe à 13,6 millions de baril par jour en 2010 et 19,5 millions de baril en 2020 et, selon le royaume pour répondre aux besoins mondiaux. En 2003, Téhéran a publié une revalorisation de ses réserves de 35,7% sans citer de nouvelles découvertes. Ce pays a justifie cette revalorisation par l'amélioration du taux de récupération des gisements en place etc. On peut citer de nombreux exemple qui font dire à un expert de la compagnie Total « Les chiffres officiels des réserves pétrolières et gazières sont loin d'être des données purement scientifiques. C'est le reflet d'un patrimoine financier que les Etats valorisent ou déprécient selon leur intérêt du moment. » Donc les Etats-Unis et certains pays européens demeurent viscéralement dépendant du gaz naturel d'autres pays pour leur consommation interne, font de la surenchère avec son potentiel important en gaz de schiste. Ils ont réussi à influencer le marché de gaz. (Baisse des prix, abandon de l'OPEP gaz, découragement des alliances etc.)

Dans le fond, la forte poussée des Verts, les prive de l'exploitation de ce potentiel comme celui du gaz de charbon. L'Algérie qui ne maîtrise pas cette fracturation hydraulique déjà en difficulté n'a aucun intérêt à s'y encombrer opérationnellement et risquer de compromettre les réserves d'eau pour les générations futures. Déjà, elle le fait amplement en soutirant du brut, le vendre contre des dollars qu'elle place à l'étranger au moment même où le pic pétrolier a entamé sa descente.

Conclusion

Il faut peut être préciser que les réserves de gaz de schiste dans le monde révélées par le département américain de l'énergie, ne sont en fait qu'au stade hypothétique. Il s'agit d'une évaluation sur la base des dimensions des pièges qui renferment ces ressources. On ne peut donc vérifier tout cela qu'en procédant à des forages de délinéation pour tester les réserves prouvées et, partant évaluer leur exploitation économique. Ce n'est qu'on mettant sous équation les capitaux engagés face aux cash flows qu'ils dégageraient qu'on appréciera l'opportunité de la poursuite ou non des recherches, l'exploitation et le développement du gaz de schiste dans le contexte Algériens. Il est évident qu'au stade actuel, cette équation dégagera une valeur actuelle nette (VAN) négative jusqu'à ce que la technique de la fracturation hydraulique soit affinée. Ceci n'est certainement pas pour demain. Ces 11 forages autorisés en Algérie pour évaluer ce potentiel sur le long terme sont donc utiles puisqu'ils vont mettre fin à ce débat stérile et qui prend une tournure d'entêtement. Le gouvernement ne veut pas que société civile lui dicte ce qu'il fait ou croire bien faire. De l'autre côté, certains sautent sur l'occasion pour faire pression pour des raisons souvent politiques.

Une telle approche ne servira pas la nation. Il faut débattre dans la sérénité. Quant à la France s'il est légitime de tenter de placer ses entreprises pour partager avec les Algériens la croissance dans le secteur des hydrocarbures, elle devra par contre abandonner l'idée de prendre l'Algérie pour un terrain d'expérimentation et un champ de tir.

La France a le devoir historique d'intercéder auprès de la commission européenne pour appuyer la cause Algérienne afin de l'aider de passer du statut de fournisseur de matières premières à celui de d'associé dans les opérations de distribution des produits pétroliers et surtout le gaz en Europe. Les investissements consentis par l'Algérie dans le domaine du transport du GN et GNL ne visent-ils pas cela ?

Renvois :

(1)- Charles de Gaule dans ses mémoires de l'espoir avait écrit « Pour garder la mise à disposition des gisements de pétrole que nous avons mis en œuvre et celle de nos bases d'expérimentation de nos bombes et fusée, nous sommes en mesure quoiqu'il arrive de rester au Sahara quitte à instituer l'autonomie de ce vide immense »

(02)- les rayonnements ont été captés à Hassi Messaoud par l'unité de prospection électrique de Schlumberger à travers le compteur Geiger Muller qu'elle utilise pour la diagraphie nucléaire.

(03)- Voir la revue Stastical Review of World dans sa dernière édition 2013

* Consultant, Economiste Pétrolier