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A propos de Michel Onfray *

par Nadir Marouf

Dans la «chronique du Blédard» (édition du 5 juin 2014), Akram BELKAID a rédigé un excellent article, à la fois court et incisif, sur les dérives moralisatrices de Michel Onfray à propos des «Musulmans» de France et de Navarre qui n'auraient pas ès qualités (c'est-à-dire en tant que communauté de croyance) marqué publiquement leur désaveu à l'égard de l'auteur présumé de la tuerie du musée juif de Bruxelles.

Je ne commenterai pas cet article, dont je me fais l'écho du contenu, mais je voudrais le relayer pour relater la mégalomanie et la suffisance du philosophe français. Sa popularité vient de ce qu'il a inauguré l'université populaire de Caen, avec d'autres bien sûr, en recevant étudiants et société civile «tous âges» invités à écouter des cours de philosophie réservés jusque-là traditionnellement à l'élite bourgeoise de la société française. Nous ne pouvons que saluer cet acte généreux de démocratisation du droit au savoir.

Dans cet élan de popularité notre philosophe prodigue ne refusa ni publicité sur sa personne ni interventions dans les débats publics télévisés, y compris dans les émissions d'animation chez Laurent Ruquier ("On n'est pas couchés") ou dans d'autres du samedi soir comme «Salut les terriens», ce qui n'a rien de dévalorisant, si ce n'est que cette appétence tous azimuts est de nature à en dire long sur la boulimie médiatique de notre héros. Il a cependant pu faire illusion, à un moment où il voulait se faire connaitre par ses ouvrages de fond. «Le crépuscule d'une idole: l'affabulation freudienne», un véritable réquisitoire dirigé contre Freud, a été conspué par les adeptes de l'anti-psychiatrie (mouvement lacannien franco-allemand mais s'étendant à d'autres pays européens) qui prenait ses distances à l'égard de la pratique psychiatrique anglo-saxonne, de tendance béhavioriste, avec pour conséquence une médicalisation exagérée et de fortes présomptions de collusions avec les laboratoires pharmaceutiques. Mais il a trouvé en revanche des adeptes chez les tenants du Livre noir de la psychanalyse", au motif que Sigmund Freud n'aurait jamais "guéri" personne et que ses méthodes ne sont pas scientifiques

.Pour ne pas compliquer le tableau, on dira tout simplement que ce second mouvement n'est pas forcément acquis à la praxis médicamenteuse. C'est une cohorte de praticiens à l'intérieur du milieu psychanalytique, auxquelles s'ajoutent des philosophes, et autres hommes de lettres.

N'étant pas spécialiste, je me suis intéressé ã certaines critiques, rapidement formulées contre les travaux de Freud sur les mythes fondateurs, notamment dans son ouvrage paru en 1909 sur: "Totem et tabou", et plus tard " L'homme Moïse et la religion monothéiste", paru en 1939, c'est-à-dire un an après la mort de l'auteur. La question qui me tiraillait, au moment où j'entreprenais un séminaire d'anthropologie religieuse dans une université française, c'était la manière dont Freud tirait substance de l'histoire, voire de la préhistoire pour asseoir son approche inductive (c'est-à-dire anti-historique par définition). Freud emprunte le mythe paradigmatique du "meurtre du père primordial " à Robertson Smith, qui nous a laissé une ouvre colossale, parue pour la première fois en Ecosse en1889, traduite en allemand, mais pas encore en français (nous envisageons ce travail de traduction avec une préface, si Dieu nous prête vie) sous le titre:" Religion of the Sémites ".De nombreux anthropologues, et des anthropologues de renom se sont inspirés de la thèse de Smith sur le meurtre du père. Je citerais pour mémoire Frazer, Durkheim, Spencer, et bien sûr Freud, sauf que Freud exploite ce filon en psychanalyste. Michel Onfray, mais bien d'autres avant lui, ont essayé de comprendre pourquoi Freud s'intéresse à l'histoire, voire à la protohistoire (R.Smith situe le "meurtre du père primordial" à l'âge paléolithique, c'est -à-dire avant que ne soit institué la notion de parenté, donc le système matrimonial, donc la propriété, donc l'Etat etc.).

L'histoire personnelle de Freud apparait comme la boîte de Pandore : à partir de son vécu, il s'interrogerait sur les raisons pour lesquelles le peuple juif a été un peuple paria (Max Weber aborde de manière plus complète cette question dans «Le judaïsme antique") et cette interrogation aurait été sans doute suscitée par le contexte franchement antisémite de l'Allemagne-Autriche des années 30. C'est en tout cas la version dominante.

Sous-jacent à l'histoire ancienne , mon problème était de comprendre pourquoi Freud a extrapolé le meurtre du père primitif qui consistait pour ses fils à lui arracher ses femmes , à le "manger" sous la forme rituelle d'un "repas totémique" (le Totem étant à la fois personnage sacrificiel et objet de sacralité)bien avant la prohibition de l'inceste, en le déplaçant dans la Grèce antique, celle de la quête de l'Etat en formation (5eme siècle avant J.C.), en convoquant Sophocle ,auteur du mythe œdipien (l'Antigone de Jean Anouilh n'est que la version adaptée au contexte d'après-guerre de la pièce originale de Sophocle) l'on peut comprendre , d'un point de vue qui articule diachronie et synchronie, que le mobile du meurtre du père œdipien procède des mêmes pulsions incestueuses que celles de l'âge primitif (sauf que le sentiment incestueux n'avait pas de sens á l'âge paléolithique ), on comprend mal pourquoi -seconde transposition- Moise prend la figure du Père tué par les siens, ce qui explique, chez Freud la récurrence de la Faute chez le peuple juif, condamné å l'expier, à l'instar de - ô paradoxe - l'expiation chrétienne depuis la mort de Jésus, tué lui aussi par les siens. Je ne pense pas que Freud voulait rapprocher les deux FAUTES, mais le fait est que la mort de Moise, quelle qu'en soient les circonstances, n'a rien à voir avec la problématique anthropologique de Robert Smith, chez qui le sexe et l'accès prédatoire aux femmes est au coeur de ses travaux. Il se trouve qu'au moment-même où «Le crépuscule d'une idole» de Michel Onfray venait de sortir, je lui ai envoyé un courrier dans lequel je sollicitais son avis sur cette double transposition. Quelle ne fut pas ma déception quand j'ai lu la réponse! Tout en attestant, d'une phrase, le bien fondé de mon interrogation, il me fit savoir que ses préoccupations anti-freudiennes n'étaient plus d'actualité dans son agenda, et qu'il était passê à autre chose!...Je suis resté sur ma faim, ne sachant pas si, à ses yeux, je n'étais pas un interlocuteur patenté, médiatiquement parlant, où s'il n'avait rien à dire sur le sujet. J'espère que cette anecdote confortera le jugement de notre chroniqueur Akram Belkaid, sur l'activisme besogneux de Michel Onfray.

Universitaire.

* A la demande du professeur Nadir Marouf, nous republions son intervention corrigée celle publiée n'étant pas la copie conforme.