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Lettre ouverte à Madame la Ministre de l'Education nationale

par M. Amezrar Redha



Madame la Ministre,

Depuis plus d'une vingtaine d'années, tout le monde le dit, l'écrit: l'Ecole va mal. Nous, professeurs des écoles, principaux acteurs de l'action éducative, le constatons au quotidien dans nos classes. A chaque nouveau Ministre, à chaque réforme, nous espérons une amélioration, un embellissement mais à chaque fois c'est le désenchantement, la désillusion quand bien même le chantier serait titanesque et la tâche incommensurable. Au-delà de sa démesure, ce qui rend encore ce chantier si complexe, c'est qu'il concerne directement nos propres enfants, les citoyens de demain.

Néanmoins, et depuis votre récente installation dans ce ministère, l'espoir de voir redorer l'image de notre Ecole et de lui redonner ses lettres de noblesse, semble ressuscité car vous avez nourri une ambition très forte et légitime, tant souhaitée par toute la population, celle de refonder l'école.

Il est nécessaire de rappeler que la qualité de la scolarisation de nos enfants doit impérativement obéir à des considérations purement scientifiques, culturelles et civilisationnelles et ne doit aucunement se heurter à des choix aléatoires, à des desseins politiques ou à une logique d'aliénation et d'aveuglement. C'est pour cela que toute réforme non consensuelle, n'ayant point d'ancrage consultatif, ne saurait répondre aux exigences de l'école moderne et par la même aux immenses besoins de développement du pays. Les signes visibles du déclin inexorable de notre système éducatif dénotent clairement l'arbitraire et l'absolutisme qui ont souvent présidé à l'élaboration des différentes réformes qui se sont succédé sans apporter les changements escomptés.

Sans tomber dans le défaitisme et l'alarmisme, nous nous permettons, humblement et respectueusement, de vous proposer des suggestions qui nous paraissent indispensables à l'édification d'une école prospère et égalitaire :

- L'inégalité face à l'éducation est la première des injustices contre laquelle nous devons lutter. Or cette inégalité s'est accrue ces dernières années. La refondation de l'Ecole de la République passe impérieusement par l'engagement absolu de rendre l'école plus juste. Par conséquent, nous considérons que le retour au système classique, à savoir un cursus de 6 ans au primaire, est le garant de l'égalité et de la réussite scolaire. Cela permettra assurément à tous nos apprenants de poursuivre une instruction plus pertinente étalée judicieusement sur six ans et d'en finir en même temps avec la cacophonie résultant chaque rentrée scolaire de la non disponibilité de locaux ou d'instits pour la prise en charge des cours préparatoires privant ainsi des milliers d'enfants d'une année entière d'apprentissage.

- Concernant l'enseignement de la langue française, qui semble être le talon d'Achille de l'Ecole algérienne, une réforme des programmes est nécessaire pour que ceux-ci soient recentrés davantage autour des fondamentaux à savoir la lecture, l'écriture et la compréhension.

- Force est de constater que le volume horaire hebdomadaire imparti à la 3 A.P (première année de Français) est très insuffisant eu égard au profil de sortie exigé pour la 4 A.P (profil d'entrée). Par conséquent, l'alignement de ce volume horaire sur celui de la 4 et la 5, à savoir 5 heures, est une nécessité.

- L'absence d'une séance de remédiation pour les élèves de la 3 A.P est une aberration. L'aménagement de ladite séance abolira, à coup sûr, les difficultés auxquelles sont confrontés quotidiennement les apprenants qui ont besoin de cette séance indispensable qui leur permettra de mettre solidement le pied à l'étrier.

- Puisque l'enseignant représente la charnière de toute action pédagogique, sa formation doit être la préoccupation première de la tutelle. Ce dernier doit bénéficier d'une formation continue digne de ce nom afin de valoriser ses connaissances et ses démarches didactiques et de les mettre à jour par le biais d'échanges et de confrontations efficaces et efficientes dans le but de perfectionner sa pratique de la classe. Il faut savoir également en finir avec les animations pédagogiques vaines et fastidieuses conduites par des intervenants qui n'ont pas mis le pied dans une classe depuis des lustres ou qui, parfois, n'y ont jamais mis les pieds.

- En finir avec les réunions pléthoriques qui sont parfois inutiles et donc chronophages. Nous laisser travailler dans nos classes avec nos élèves est plus important que de participer à des pseudos-réunions dépourvues d'ordre du jour et même d'objectif bien tracé.

- L'un des plus grands défis pour un enseignant consiste à bâtir des activités enrichissantes et pertinentes pour ses élèves. La séquence d'enseignement-apprentissage doit respecter cette idée d'appropriation efficace des connaissances et éventuellement de leur enrichissement. Elle doit donc s'appuyer sur des contenus pertinents et appropriés afin d'octroyer à l'action enseignement-apprentissage sa vraie dimension et de réaliser au même temps les objectifs qui lui sont assignés. Pour cela, les contenus doivent être revus afin qu'ils répondent efficacement aux vrais besoins des apprenants.

- L'ouverture de discussions sérieuses et crédibles sur la prise en charge de la difficulté scolaire et de l'hétérogénéité des classes en instaurant des mécanismes efficaces mettant en exergue la pédagogie différenciée et les modalités de son application.

- La prise en charge effective des élèves porteurs de lourds handicaps psychomoteurs, des élèves autistes et des dyslexiques.

-Force est de constater que le savoir, en tant que pouvoir sur le monde, s'il n'est pas doublé d'une éducation appropriée qui ouvre à la sagesse, ne peut à lui seul apporter la liberté d'être et d'agir au service du bien commun. Dans notre système éducatif actuel, nulle part n'est mentionné cet aspect de la conscience et de l'éthique fondement du vivre en société de façon équilibrée.

 Il est plus qu'urgent d'ancrer chez nos apprenants le respect de soi-même et d'autrui, le sens des responsabilités et la solidarité par le biais d'activités axées par exemple sur le volontariat et le bénévolat.

- Les enseignants, quant à eux, doivent être respectés, considérés et honorés par les seuls critères du mérite et de la compétence à condition qu'ils soient à la hauteur de leur noble tâche dont ils doivent s'acquitter avec conscience et abnégation. Ils doivent également être fiers de la mission qui leur revient en partageant une véritable culture du collectif et de la coopération mutuelle. La déférence, la dignité et le dévouement sont les conditions sine qua non qui permettront aux enseignants de porter haut les valeurs de l'Ecole et de la République en œuvrant à la réussite de tous leurs élèves.

- En finir une fois pour toute avec le sentiment permanent de défiance et de méfiance qui, malheureusement, perdure entre la tutelle et les enseignants. Il faut que le Ministère de l'Education aspire à des relations harmonieuses et non conflictuelles avec les différents acteurs de l'éducation en jetant les bases d'un dialogue apaisé et constructif.

- Les parents d'élèves doivent être pleinement solidaires avec le personnel de l'Education Nationale et s'opposer à tout arbitraire ou injustice dont sont victimes souvent les enseignants. Les parents ont le droit en revanche d'être associés davantage à l'action éducative et d'exiger la prise en charge de leurs enfants par un personnel compétent et dévoué.

En espérant que nos suggestions retiendront votre attention, nous vous prions, Madame la Ministre, de recevoir nos respectueuses salutations.

* Instituteur Bougaâ / Sétif