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L'option du gaz de schiste: la panique du 4ème mandat

par Reghis Rabah *

Le feu vert que vient de donner le président de République Abdelaziz Bouteflika à Sonatrach pour le forage de 11 puits pour évaluer le potentiel du gaz de schiste et, partant, aux compagnies multinationales (01) pour leur permettre de rechercher, développer et exploiter les ressources non conventionnelles sur tout le territoire national, confirme l'absence totale d'une vision stratégique dans la démarche économique.

E n voulant régler un problème réel d'une pénurie de ressources fossiles en pers pective en Algérie, cette décision en crée un autre, probablement beaucoup plus complexe. Nonobstant les différentes alertes lancées par les experts, les contradictions des membres du gouvernement sur le sujet, montre la navigation à vue dans la mise en œuvre du programme économique. Ainsi, en novembre 2012, sous une très forte pression médiatique, le chef du gouvernement actuel en réponse aux préoccupations des députés devait renvoyer la dimension temporelle de cette option à une très longue échéance, " 2040 ans " disait-il. Son ministre de l'énergie leur mettait le " couteau à la gorge " pour les dissuader de faire passer les amendements de la loi sur les hydrocarbures. En effet, il avait présenté un tableau très sombre de l'avenir énergétique de l'Algérie qui ne laisse aucune marge de manœuvre á un débat serein sur l'exploitation et le développement des ressources non conventionnelles. Ainsi il estime qu'il est aujourd'hui vital d'aller vers l'exploitation et le développement du gaz de schiste. Pour lui les pays qui ont opté pour l'imposition d'un moratoire pour ce genre d'industrie, l'ont fait uniquement pour préserver le nucléaire dans leur mix énergétique. Il s'agit là d'une "nécessité impérieuse " selon le ministre et ce, eu égard aux autres sources alternatives qui á terme ne suffiront nullement "à assurer la satisfaction des besoins énergétiques du pays". Promettant de présenter au gouvernement un modèle de consommation nationale, le premier responsable du secteur a stressé sur la croissance en perspective des besoins énergétiques de l'Algérie. Pour étayer cette situation gravissime, il annonce une facture de plus de 100 milliards de dollars á prévoir pour l'importation des produits énergétiques dans le cas où l'on décide d'interdire l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels pour attendre tranquillement l'assèchement des gisements conventionnels. Les besoins en électricité selon lui vont grimper du simple au double en moins de quinze ans.

La consommation des carburants passera de 15 à 50 millions de tonnes d'ici 2040. Celle du gaz atteindra 100 milliards de mètres cubes durant la même échéance contre á peine 30 milliards aujourd'hui. Il indique dans ce sens que sans énergie, il ne peut y avoir de développement. D'où la nécessité d'exploiter et développer les hydrocarbures non conventionnels d'autant plus que les réserves actuelles conventionnelles s'épuisent à vue d'œil et que le reste des alternatives n'arrivera jamais à couvrir les besoins des populations et de l'économie nationale. Pour appuyer ses arguments, il minimise tous les méfaits de la fracturation hydraulique aussi bien le besoin en eau que la contamination des nappes aquifères par les produits chimiques. Pour lui cette technique est tout á fait maîtrisée et date des années 70. Et pour les rassurer, il leur apprend que le gisement de Hassi Messaoud qui fait la fierté de l'Algérie est á 75% non conventionnel. Il qualifie les réserves de l'Algérie en gaz de schiste d'inépuisables "de Timimoun à In Salah, en plus des poches à Tindouf et Illizi avec une rentabilité d'environ 1,5 milliard de mètres cubes de gaz par kilomètre, un taux important". Le ministre prévoit que l'exploitation du gaz de schiste pourra créer quelque 100 000 nouveaux emplois. Il revient cette fois-ci sur les énergies renouvelables pour déclarer qu'elles ne pourront pas constituer une alternative aux hydrocarbures qui couvrent actuellement les besoins énergétiques de l'Algérie á 90% d'ici 2030. Plus grave encore, le ministre a brusqué toutes les réflexions qui s'opposent á celles du gouvernement les jugeant comme guidés par " une main étrangère ". Dans ce cadre il a recommandé aux députés d' " ignorer les voix émanant d'outre mer appelant à s'abstenir d'exploiter les hydrocarbures non conventionnels sous prétexte de leurs conséquences néfastes sur l'environnement et sur les réserves du pays en eau.". Devant un tel spectre, pessimiste rempli de peur, et n'entendant qu'un seul son de cloche, que peuvent faire les parlementaires ? Sinon de valider la loi. Pourtant, de nombreuses zones d'ombre persistent dans la démarche gouvernementale. D'abord sur le plan purement communicatif, des contradictions flagrantes apparaissent et laissent penser á une panique de l'équipe gouvernementale. Une fois la loi validée, le discours a fait une rotation à 180 degrés pour devenir extrêmement rassurant. Ainsi le " bouleversement " que connaît le marché du gaz est tout à fait normal et n'a aucune conséquence en perspective sur les contrats avec les partenaires de l'Algérie. En d'autres termes, les pressions de la part des firmes Italiennes, Espagnoles et autres que subit actuellement Sonatrach pour baisser son prix et le déconnecter de celui du pétrole ne risquent en aucun cas d'aboutir. Selon lui, l'Algérie est sur le point de mettre en production l'une du plus grande découverte jamais réalisée depuis plus de 50 ans et pas très loin du géant Hassi R'mel. Commentant le rapport 2012 de l'Agence Internationale de Energie qui annonce un déclin de la production des principaux gisements pétroliers et gaziers de l'ordre de 0,4% entre 2014-2018 et qui pourrait lourdement affecter les recettes en devises à cet l'horizon, il dira que cet épuisement est logique étant donné l'ancienneté des gisement et que tout est mis en œuvre pour renverser cette tendance par de nouvelles découvertes. Pourtant, c'est lui même qui en janvier et février de la même année avait tiré la sonnette d'alarme pour alerter l'opinion publique sur le modèle de consommation interne qui par sa croissance d'année en année va obliger l'Algérie de mobiliser toutes les formes de ressources énergétique si elle ne veut pas devenir importatrice net d'ici 2020. Le premier ministre semble, même s'il vinait juste de prendre les commandes, suivre cette prudence quitte à déroger à certaines règles pour contredire son ministre des finances qui lui prône la rigueur dans la distribution des revenus et surtout de ne pas céder à la pression de la rue. De l'autre côté, les opérationnels comme le PDG de Sonatrach qui sont directement sur le terrain avouent leur impuissance à peser sur le marché du gaz face à l'effondrement des prix et surtout à la récession économique de l'Europe qui restreint la demande et offre ainsi aux clients traditionnels de Sonatrach la possibilité d'exiger d'elle plus de coopération et de compréhension sinon ils se tourneraient ailleurs. Les experts étrangers, amis de l'Algérie et surtout Européens, ne veulent pas offusquer les officiels, analysent et concluent à ce que ces derniers veulent bien entendre. Pour eux, la Sonatrach est dans une position confortable par le simple fait que ses recettes d'exportation soient supérieures à ses besoins budgétaires. Mais quand vous les abordez sur la dimension temporelle de cette tendance, ils disent qu'elle risque de durer, pour combien de temps ? Il y a très peu de visibilité. En tout cas assez de temps pour que l'Algérie aura entièrement consommé ses réserves sans pour autant exploiter un iota des autres ressources. Pourquoi ? A en croire ces officiels, le gaz de schiste à l'horizon de 2040 et une centrale nucléaire en 2025. Face donc à cette masse compacte d'informations contradictoires, le citoyen est dérouté.

Quelle est la situation économique réelle de l'Algérie ? En dehors de son dégât écologique, le gaz de schiste pourra t-il constituer une solution crédible pour le cas Algérien ?

L'HYPOTHESE DE BASE

Il faut rappeler d'emblée que Sonatrach est une société par action (SPA) dont toutes les parts appartiennent à l'Etat. Elle n'a pas d'associés. Elle a des objectifs politiques, celui de servir d'instrument au développement national. Il est tout à fait naturel que celui qui la dirige obéit plus à des impératives politiques que celles économiques. Depuis sa création, ce mastodonte a su assumer ces contradictions sans pour autant les faire apparaître au grand public. Donc les contradictions qui se sont apparues récemment entre le ministre et le PDG de Sonatrach relève désormais de l'amateurisme managérial et un manque de stratégie de communication. On a vu défiler sans les citer plusieurs PDG à Sonatrach qui sont partis de leur propre chef ou limoger pour ne pas avoir supporter que l'Etat s'immisce dans les affaires internes de l'entreprise pour la simple raison que leur position les font oublier qu'il est propriétaire et le seul garant de cette vache à lait. Donc de nombreux experts de l'étranger ne conçoivent, voire ne tiennent pas compte de ce fait dans leur analyses et donc ceci trahi leur complaisance pour des raisons souvent lucratifs (consulting, vente de service, recherche une entrée dans les entreprises du groupe Sonatrach etc.)

CIRCONSCRIRE UNE FOIS POUR TOUTES LE PROBLEME ECONOMIQUE DE L'ALGERIE

Même si la démarche économique entreprise après l'indépendance reste historiquement et idéologiquement discutable (02), il existe une unanimité sur le fait que les changements opérés par les différents gouvernements qui se sont succédés sur le modèle de développement ont échoué. Cet échec a extrêmement fragilisé l'économie nationale et la rendue fortement dépendante de facteurs exogènes dont le contrôle échappe complètement aux décideurs. Il s'agit de prix du baril sur lequel on indexe celui du gaz, le cours du dollar, montant de la facture de vente des hydrocarbures et enfin les conditions de pluviométrie qui régule la facture alimentaire.

Il est donc tout à fait normal que l'Algérien s'intéresse plus que tout autre à l'évolution du marché gazier pour drainer des devises nécessaires à son développement et s'enquérir de la santé du dollar. En 2013, les exportations algériennes hors hydrocarbures ont totalisé 2,18 milliards de dollars, soit 3% de la valeur globale des exportations.       Ce pourcentage tombe à 1,1% si on en retranche celles réalisées par Sonatrach (hydrocarbures) et Fertial (ammoniac) (03). Quatre entreprises réalisent 83% de ces exportations. Sonatrach a exporté pour 935 millions de dollars de produits dérivés des hydrocarbures en 2013, contre 481 millions de dollars pour Fertial (ammoniac). Somiphost (phosphates) et Cevital (sucre) sont les deux autres exportateurs importants dont les montants restent relativement marginaux eu égard aux chiffres globaux des exportations.

Pour arriver à cette performance médiocre, le consommateur Algérien se prive des belles dattes qu'il met à la disposition du marché européen pour une facture ne dépassant pas les 25 millions de dollars, les truffes pour 8 et 3 pour l'échalote.

L'ancien " Grenier de Rome " n'exporte en total que pour 34 millions de produits agricoles pour payer une facture alimentaire de plus de 8 milliards de dollars. Ce qui est très inquiétant c'est que malgré leur poids dans le PIB et les recettes extérieures de l'Algérie, les hydrocarbures n'ont pas d'impact sur le fonctionnement de l'économie. En effet, plus le temps passe, plus ce secteur fortement capitalistique consomme la rente qu'il procure. En trente ans selon le ministre de l'énergie et des mines (04), c'est á dire de la nationalisation jusqu'à l'arrivée de Bouteflika au pouvoir, plus de 800 milliards de dollars ont été pompés dans ce secteur et pour quel résultat ? Aujourd'hui, les incertitudes sur l'avenir des gisements en cours d'exploitation poussent à investir davantage dans l'exploration, ce qui provoque une situation inédite.

Les investissements du secteur de l'énergie devraient dépasser les 100 milliards de dollars à l'horizon 2017, mais leur impact sur l'économie restera marginal. Ce qui crée un véritable malaise, avec cette impression que le monde des hydrocarbures est totalement non seulement déconnecté du reste de l'économie algérienne mais éloigne de plus en plus la possibilité de trouver une alternative à cette rente dans des délais raisonnables. En plus, ces dernière années deux événements majeurs viennent aggraver cette situation de l'Algérie, au demeurant inconfortable. Le premier est la consommation interne en gaz pour la production de l'électricité et en carburant pour faire face à un parc automobile incontrôlable qui ne cesse de croître pour atteindre des proportions inquiétantes qui a contraint Sonatrach à importer plus de 2,3millons de tonnes en 2012, en hausse de 78% par rapport à 2011 afin de satisfaire le marché national (05). Le deuxième est cette révolution du gaz de schiste aux Etats-Unis qui a obligé pour la première fois Sonatrach à baisser le prix de son Sahara Blend de prés de 85 cents pour pouvoir le vendre car le pétrole de schiste a atteint les qualités de légèreté et charge en souffre dont bénéficiait le pétrole Algérien sur la Côte Est des Etats -Unis (06). Il faut préciser toutefois que l'Algérie tire du marché Américain prés de 18 milliards de dollars dont 96% en hydrocarbures (07). La réalité est qu'aujourd'hui le marché américain lui échappe par les forces du marché. En effet tout porte à croire que la position algérienne reste constante et se déconnecte de plus en plus des réalités du marché. En Europe et en dépit de la concurrence, elle peut faire valoir ses atouts de proximité mais sa position demeure l'otage de deux paramètres qui lui sont propres : sa dépendance vis-à-vis des revenus qu'elle tire de exportations des hydrocarbures avec lesquelles elle importe pour près de 80% des besoins de la population et des entreprises. Ensuite elle reste aussi tributaire de sa dépendance de la consommation interne par les volumes de pétrole et de gaz qu'elle devra lui réserver. Sur le court terme, plus elle maîtrise ces deux paramètres, plus à l'aise elle mettra en œuvre son programme long terme.

L'option gaz de schiste est donc présentée comme un choix entre la peste et le choléra. En termes simples, ou l'Algérie devient un dépotoir européen sous les auspices des entreprises américaines qui maîtrisent les techniques du Fracking ou d'ici une décennie on ne pourra plus financer le développement national et c'est le chaos économique. Il se trouve que le gouvernement par ses contradictions montre qu'il n'est pas entièrement convaincu de ce choix?..

L'OPTION DU GAZ DE SCHISTE EST ECONOMIQUEMENT UNE MAUVAISE SOLUTION

Les Etats-Unis et l'Europe dont la France qui pousse les Algériens vers cette option en l'interdisant chez elle, viennent de boucler en mai un accord (08) qui prévoit notamment de réduire les restrictions aux exportations américaines vers l'union européenne de brut, gaz naturel et autres énergies fossiles. Cet accord même s'il est au stade de préparation dénote la volonté américaine de poursuivre son ambition à travers l'exploitation et le développement du gaz de schiste pour devenir le premier exportateur de l'énergie fossile. Cela signifie aussi plus de fracturation hydraulique aux Etats-Unis. Or, certains Etats américains sont sceptiques à cette option qui contraindra les américains de rechercher le gaz de schiste ailleurs que sur leur territoire. Ce n'est certainement en Argentine qui est à leur porte mais dans les pays africains et en premier lieu l'Algérie, 3éme réserve mondiale de gaz de schiste. Il renforcera la dépendance de l'Europe de l'énergie fossile et va certainement la dissuader de développer d'autres formes d'énergie. Quelque soit le cas de figure, les deux parties trouveront leur compte mais pas celle qui offre son terrain. Cet accord s'il se réalise et il se réalisera car les Etats-Unis ont toujours pris en main le destin de l'Europe depuis le plan d'après guerre (09), cet accord est venu à point pour contourner les conséquences de la crise Ukrainienne. On sait aussi par expérience que plus un gisement donne du gaz et du pétrole de schiste, plus il demande de forages et plus son coût d'exploitation augmente. Résultat : le prix du baril va diminuer pour le consommateur par le jeu de l'offre et la demande mais le coût de production grimpera dans les pays qui ne maîtrisent pas les techniques de la fracturation hydraulique. L'Algérie qui a affiché clairement son intention de partager ce risque avec un partenaire n'aura en définitif que des miettes. Maintenant si elle recherche uniquement, comme lui recommandent certains experts Algériens de se positionner sur l'échiquier pétrolier et gazier international, se rende-elle compte du prix à payer ?

* Consultant et Economiste Pétrolier

Renvois

01- Les 31 permis lancés par Alnaft contiennent des blocs de ressources non conventionnelles.

02- lire les détails dans notre contribution parue au quotidien El Watan du 15 septembre 2012

03- Association Algérienne des Exportation, rapport 2013

04- le MEM au forum d'El Moudjahid du mois de février 2013

05- voir le bilan de Sonatrach de 2011 et 2012 disponible sur leur site 06- Information publiée le 30 mai 2013 par l'agence Bloomberg

07- Déclaration du Président du conseil d'affaire américain à la chaîne le jeudi 30 mai 2013

08- Voir le site américain du Huffington Post 09- Plan Marchal