Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Lettre ouverte D un citoyen ordinaire… en quête du troisième homme

par Bouchan Hadj-Chikh

Messieurs,

Je ne vous apprendrai rien. Mais il serait certainement bon de vous rappeler certaines vérités que vous vous cachez les uns et les autres.
En guise d'introduction, ces deux déclarations.

Un politique français, Jean-Pierre Chevènement, pour ne pas le nommer, disait qu'un " ministre ça ferme sa gueule ou ça démissionne ". Il a donc démissionné pour ne pas cautionner l'agression contre l'Irak.

Vous messieurs, " vous l'ouvrez " - avec tout le respect que je vous dois - une fois la porte du pouvoir claquée derrière vous. C'est là que réside votre déficit en termes de crédibilité.

Un autre politique ajoutait " un poste de premier ministre ne se refuse pas ". Si. A moins de marcher sur ses convictions. Et d'accepter d'être disqualifié alors que le potentiel existait en lui pour proposer et entreprendre d'autres travaux politiques.

Dans le premier cas, vous n'avez pas agi selon vos convictions que je qualifierai de nouvelles. Dans le second, la tentation fut trop forte.

De tous les ex premiers ministres, des deux bords, à vous écouter, on croirait que vous n'y êtes pour rien dans la situation que nous vivons. Ou alors, vous la maquillez. Certes, vous ne disposiez peut-être pas de temps pour vous réaliser, enserrés dans une camisole de force, ni n'aviez pris la distance pour évaluer l'édifice à la construction duquel vous alliez participer. Encore moins évaluer, à l'aune de vos " convictions ", les moyens que l'on mettait à votre disposition et l'espace nécessaire pour faire bouger les lignes. Le résultat est sous vos yeux.

Ces réalités du pouvoir auraient dû vous conduire à vous démettre. Ou renoncer aux " responsabilités limitées". Vous avez accepté, dans un cas, vous êtes restés en poste, dans l'autre.

Absence de jugements ? Et vos principes, ceux que vous étalez aujourd'hui dans les tribunes, qu'en aviez vous fait ? Si vous en aviez, vous auriez compris, parce que c'était clair, que vous vous fourvoyez dans des chemins qui allaient nous mener, tous, je dis bien tous, dans la caverne.

Etiez-vous myopes ? Quand on emprunte une si large avenue vers l'indépendance et, dans la foulée, quand on recouvre les richesses nationales, procédant à la nationalisation des banques, de la terre des ancêtres, confond-on une autoroute avec un chemin de traverse ?

De faire de la politique confetti, au jour le jour ? Si ce n'était pas acceptable, pourquoi avoir accepté d'être partie prenante? Comment pouvez vous prétendre, aujourd'hui, être attentifs à ce peuple après avoir été sourds à ses mises en garde hier et avant hier?

Vous vous déclarez opposant ? Parfait. A vous observer, j'en conclus que vous avez été formés à la meilleure école. La primature. Le centre de formation d'opposants par excellence.

Si on peut vous reconnaître, à vous tous, une certaine expérience de la chose publique, vous n'avez rien retenu, dans votre exercice, patronné, du sens de l'a propos, du choix du moment pour intervenir dans la scène. Prévoir, c'est ce qui distingue le politique de la personne lamda. Prévoir c'est élaborer un programme, une plate forme - pas toujours publique - que l'on discute, que l'on parvient à faire adopter par des personnes qui, pour les voir aboutir, se constituent en clan à défaut de parti politique. Voilà la démarche. Vous étiez en plein dedans, les yeux fermés. En les ouvrant, en dehors du cercle de décision, vous avez commencé par créer des partis, ou l'avez pris en vol, pour en faire une sorte " d'attrape tout le monde " autour de vous. En misant sur votre notoriété.

Que vaut-elle ?

Maintenant que les résultats, contestables sans doute, sont là pour dire que notre échec collectif est bout du chemin, vous vous chercher des boucs émissaires et l'alliance d'autres partis pour constituer un poids. Ou un contre poids. En d'autres termes, après la débâcle et les manipulations des voix, vous tentez un regroupement pour vous obstiner sur la même ligne ou négocier une autre manière de faire. Est-ce bien raisonnable de penser ainsi ? Ne fallait-il pas commencer par dresser un bilan chiffré de ce qui fut entrepris, ouvrir les débats pour mobiliser, les uns et les autres, des femmes et hommes autour de vous, des compagnons de route, des sherpas et des porteurs avant d'entamer l'assaut du plus haut sommet ? Tous les alpinistes vous diront que l'ascension d'un pic se prépare dans la vallée. Certainement pas dans le premier refuge installé hâtivement au pied de la montagne.

Ensuite, en termes jeu d'échec - cette référence est une manie chez moi mais les échecs, comme la politique, sont l'art de penser plusieurs coups à l'avance - vous, messieurs de l'opposition, avez un coup en retard. Mortel. Pourtant vous disposiez des blancs. Donc l'initiative.

La capacité d'imposer une " ouverture " comme on dit ou, dans le cas qui nous préoccupe, en l'absence de bilan, de propositions ou de rebonds, de l'autre bord, d'établir votre programme pour servir de texte d'adhésion. Nous n'allions pas élire un maréchal pour dire aux électeurs " portez moi à la présidence et je vous dirai ce que je vais en faire ". Sissi peut le dire en Egypte, les armes à la main, braquant un grand peuple contraint, ce peuple qui a élevé des pyramides et qui rata, lui aussi, le virage après sa révolution de 1952 si pleine de promesses. Non, ce ne sont pas des choses qui devraient se dire ou se faire chez nous, dans un pays où femmes et hommes ont été éduqués, à marche forcée, en consacrant le quart du budget de l'état pendant des années.

Les enfants d'hier, les adultes d'aujourd'hui devinent le dessous des cartes. Ici, quand on n'occupe pas la rue pour payer le prix du sang qui leur est imposé, on se rue vers la campagne ou les plages, tournant le dos à la mascarade électorale. Ce sont nos formes de protestation. Le mieux qui reste à faire donc, est de se consacrer, plutôt, à préparer la relève. Sinon, à moins d'un accident de parcours, ce qu'à Dieu ne plaise, nous en aurons pour cinq ans à tourner en rond. A moins que vous ne l'utilisiez à favoriser l'éclosion de l'homme d'état du futur. Pas du passé réhabilité. Du recyclé.

Un homme neuf, de la génération qui vient à la vie, pour le porter aux responsabilités. Ce qui ne se fait pas sans sacrifice. Sans s'écartez de son chemin pour lui laissez la voie libre. Votre ego en prendra un coup, je le sais, mais il faudra bien le laissez parler le langage de cette génération, celle du vingt et unième siècle. Et, pour ce faire, commencer par appliquer la démocratie à vos instances. Condition essentielle à l'adhésion de ceux qui en veulent.

Acceptez, en peu de mots donc, de rendre le pays à ceux qui vont en baver pour le redresser.

Ca ne plaira pas à tout le monde.

Il faut être bien naïf - ou d'un " optimisme béat ", pour reprendre la formule de la Déclaration du 19 Juin 65 - pour croire que les visites des personnalités de ce monde, l'ouverture des guichets des banques et des entreprises étrangères soient des signes de confiance en notre avenir. C'est faux. Ils viennent, un couffin dans chaque main, en quête de marchés. Nous vendre notre pain du jour en échange de leur complaisance. Pourquoi ? Parce que, pour le moment, pour le moment seulement, nous sommes solvables. Nous disposons, nous dit-on, de tonnes d'or dans les caves de la banque centrale et de 194 milliards de dollars de réserve de change.
Bien.

Mais combien, dans l'intervalle de ces quinze dernières années, combien de brevets industriels, dites-vous, ont été déposés ?

Ah ! Je m'en doutais un peu.

Avec mes fraternelles inquiétudes.

PS : je viens de lire un entretien d'un membre d'une association oranaise, Hadj Benguesmia Chadli, du CIVIC, le Comité d'Initiatives et de vigilance citoyennes, dans lequel il dit, simplement : " L'Algérien doit réapprendre à exercer sa citoyenneté dans son lieu de travail, dans son quartier. Il doit influer sur son environnement et sur la chose publique et politique. ".

Il n'est pas le seul. Ils sont nombreux à penser l'Algérie au futur. Vous les trouverez partout à travers les 2 381 741 km2, qui en font le plus vaste pays africain et le 10e dans le monde. Ce n'est pas rien quand on sait quoi en faire.