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Non-alignés, mouvement d'avenir ou combat d'arrière-garde ?

par Cherif Ali

Pour certains, affirmait récemment un chroniqueur, le Mouvement des non-alignés, c'est comme utiliser un disque vinyle à l'heure où les autres utilisent le Bluetooth.

P lus de quarante années plus tard et après avoir abrité, avec succès, le 4ème sommet des pays non-alignés, l'Algérie renoue avec le mouvement dont elle était, c'est vrai, l'un des pionniers et même le membre le plus agissant. L'idée, émanerait, dit-on, du président de la République qui puiserait sa pensée des valeurs de ce mouvement qui avait connu son âge d'or à l'aune de la libération de notre pays du joug colonial et la rencontre d'Alger est propice à la restauration de la mémoire.

Du côté des affaires étrangères, on affirme que 80 ministres, personnalités et responsables d'institutions internationales sont attendues à Alger pour participer à la 17ème conférence ministérielle du mouvement des non-alignés (MNA). L'événement verra, également, la participation à titre d'invités des ministres Turc et Espagnol des affaires étrangères, mais aussi un ancien président d'un pays d'Amérique Latine, en plus du Secrétaire Général de la Ligue Arabe, du président de la Conférence Islamique et du premier responsable de l'Union Africaine.

Le thème choisi pour la conférence «solidarité renforcée pour la paix et la prospérité» ne semble pas, pourtant, parler aux internautes qui expriment sur la toile, qui son étonnement quant à l'opportunité de l'organisation d'une telle rencontre, de surcroît par un mouvement surgit du passé, qui sa colère au regard des dépenses qui seront engagées pour assurer le confort des invités et des délégations les accompagnant ou plus encore, tel autre qui pense que notre diplomatie se disperse.

Ramtane Lamamra le chef de cette dernière, n'est pas, bien sûr, de ces avis, dès lors qu'il semble croire à une sorte de « déclic » qui pourrait revigorer le mouvement des non-alignés « dont le rôle sur cette planète est plus que jamais important », a-t-il dit.

Sa directrice générale, partageant les mêmes éléments de langage, estime que « le mouvement a gagné en maturité et qu'il regarde vers l'avenir ».

Avec ses 117 Etats membres, a-t-il, cependant, les moyens de peser sur le cours des événements dans le monde au moment même où l'ONU peine à faire respecter ses résolutions par l'OTAN, les USA et surtout Israël ?

En effet, grand nombre d'observateurs disent que le mouvement des non-alignés est à classer dans les vestiges de la guerre froide, elle-même faisant partie d'une page définitivement tournée, avec la chute du mur de Berlin.

Le mouvement a eu, certes, un passé glorieux avec des pages mémorables comme celle qui a permis au président Houari Boumediene d'aller plaider, à la tribune de l'ONU, « un nouvel ordre économique mondial ». Mais ça, c'était avant !

C'était l'époque bénie, celle de l'arme du pétrole aussi redoutable que redoutée ; l'époque où même les monarchies du golfe s'alignaient sur les mots d'ordres des pays du tiers-monde qui affichaient leur refus de s'aligner sur l'un ou l'autre des blocs russe ou américain et qui voulaient exister en tant que tels.

Oui, c'est vrai que le MNA a un passé glorieux, même si l'attitude de Cuba d'alors, tranchait, franchement, avec la discipline du mouvement : l'ile s'est toujours mise du côté du grand frère russe contre l'impérialisme yankee !

Aujourd'hui, venir parler encore du mouvement des pays non-alignés serait, peut-être, inapproprié dès lors où, franchement, le maintien de son appellation du départ pose problème. A l'époque, en effet, elle était justifiée par une organisation qui apparaissait comme une troisième voie, un bloc indépendant de l'URSS et des USA et qui, pour le moins, se présentait comme une force de proposition.

Ses principaux animateurs avaient pour noms : Nasser, Tito, Nehru, Soekarno et Boumediene.

De nos jours, c'est faire preuve d'hypocrisie que de maintenir ce mouvement sachant que beaucoup de pays qui en sont membres ne retiennent du principe du non-alignement que le nom, n'hésitant pas au passage d'aller émarger chez les capitalistes.

Les citer serait, fastidieux ! Contentons-nous de l'exemple des monarchies du golfe, encore elles, qui « coopèrent », étroitement, avec l'oncle Sam, allant jusqu'à lui concéder des bases militaires, lui ouvrir leur ciel pour envahir l'Irak et l'Afghanistan et partant, faire prospérer l'industrie militaire américaine qui profite au passage du pétrole et de l'argent arabes.

Rappelons, également, l'exemple de quelques pays africains, membres du MNA, sur lesquels il y a aussi à dire ; abonnés au capitalisme, ils ne vivent que par les aides du MNA et de la Banque Mondiale, tout en se gargarisant de la pseudo-solidarité des peuples du tiers-monde.

Sur la politique de la Centrafrique, il n'est point besoin de s'étaler, mais de là à dire que le MNA se comporte, aujourd'hui, comme un bloc soucieux du respect de la souveraineté, la non-immixtion dans les affaires internes, le respect de l'intégrité territoriale, c'est aller vite en besogne ! Et l'expression n'est pas forte à voir les agissements et l'empressement du président Nigérian Goodluck Jonhatan, en butte à la violence de Boko Haram qui s'en remet à François Hollande, le président Français, pour régler ses problèmes de sécurité interne. Ce qui a fait réagir un chroniqueur Français, qui a dit que «ces présidents africains, qui ne se parlent pas entre eux, ont toujours besoin, comme à l'époque coloniale, de s'en remettre au chef blanc pour régler leurs différents».

Alors, venir parler encore d'un mouvement auquel se revendiquent de tels membres et prétendre qu'il peut jouer un rôle dans le dénouement de la crise israélo-arabe qui perdure depuis plus de 60 ans est, pour le moins, gonflé. Alors, de grâce, arrêtons de rétropédaler et de regarder dans le rétroviseur !

Sur un autre plan, force est d'admettre que le message des pays non-alignés, noble au demeurant, garde encore son sens et peut encore servir, dès lors qu'il se résume à ceci : « sans développement universel et collectivement assumé, les pays les plus riches sombreraient dans la crise et les pays pauvres, s'appauvriraient davantage, et seront, par devers eux, des vecteurs puissants de fléaux vers le reste du monde : terrorisme, immigration clandestine, pandémies, problèmes environnementaux? »

Et là, notre pays, maintenant qu'il est décidé à organiser la 17ème rencontre du mouvement des non-alignés doit être ferme et sa voix doit l'être tout autant, au regard des dangers qui le guettent comme le terrorisme, qu'il a enfin réussi à inscrire comme « fléau transnational » après en avoir payé le tribut.

L'Algérie, acteur incontournable dans la région du sahel et dans le Maghreb doit maintenant agir, conformément, à son statut de puissance régionale et, faut-il avoir le courage de l'avouer, pour défendre ses intérêts en priorité. L'Algérie a toujours été une terre d'asile des Africains qui, après les syriens, affluent, en masse, depuis les frontières remontant jusqu'au nord du pays ; ces réfugiés savent désormais, qu'avec la victoire de l'extrême droite française aux élections européennes que les portes de la rive Nord de la méditerranée leurs sont, irrémédiablement, fermées. En Angleterre, en Allemagne, en Grèce et en Autriche, ils ne passeront plus suite à ce vote européen «homophobe et raciste ».

Sans renier, bien évidemment, ses principes légendaires d'hospitalité et de solidarité, notre pays ne peut, raisonnablement à lui tout seul, contenir l'afflux de tous ces migrants qui fuient la guerre et la misère économique et ce n'est pas dans le cadre du mouvement des pays non-alignés qu'il pourrait trouver la solution à tous ces problèmes exogènes, qui vont s'exacerber et que ni l'ONU, l'OUA encore moins la Ligue Arabe n'ont pu ou voulu prendre, correctement, en charge.

Beaucoup d'algériens pensent que notre pays va être débordé, conséquemment aux turbulences survenues à toutes ses frontières et que décemment il ne peut accueillir toute la misère du monde.

L'Algérie et Ramtane Lamamra l'a dit, subit de plein fouet les contre flammes de la tragédie qui frappe le Mali et les pays du Sahel. Cette tragédie semble s'inscrire dans la durée nonobstant l'implication de la France pour la régler. C'est aux institutions internationales et à leur tête l'ONU, l'OCI, l'UA et bien d'autres qui doivent prendre leur responsabilité en la matière.

Le mouvement des pays non-alignés en l'état de ses moyens, ne peut pas faire grand chose, si ce n'est voter quelques résolutions s'apparentant à des vœux pieux.

D'aucuns pensent qu'il est temps de passer à autre chose, que le moment est venu de changer de braquet en accordant, par exemple, plus d'intérêt au Maghreb, pour travailler dans le sens de l'établissement d'une union, communautaire, solidaire, y compris en matière de libre circulation des personnes et des biens, de défense et de politique étrangère communes, afin de discuter, d'égal à égal, avec l'Europe pour ne citer que cette entité qui a réussi a fusionner des pays malgré leurs différences notoires. C'est dans un tel espace géopolitique que l'on peut faire avancer des projets économiques profitables sur la base du principe de « gagnant-gagnant » ; c'est là aussi où on pourrait mettre en adéquation la politique avec le développement !

L'ère est aux regroupements régionaux, et, assurément, le MNA, simple forum, n'est pas adapté pour répondre aux besoins spécifiques de ses membres ; c'est une coquille vide qui n'a rien pu faire :

1 contre l'interventionnisme militaire de l'OTAN en Irak puis en Lybie

2 face à la crise des économies dominantes

3 ou encore concernant les questions de décolonisation comme le problème Sahraoui

Aujourd'hui, c'est vrai que le mouvement des pays non-alignés, qui n'est plus cette force de proposition, a un sens pour un pays comme l'Iran qui tente à partir de la tribune qui lui est offerte, de sortir de son isolement international même si pour lui la chose n'est pas aisée. En effet, en soutenant la Syrie, il se met à dos certains pays arabes, paradoxalement, membres du MNA, qui eux-mêmes financent la rébellion. Sans parler aussi du dossier nucléaire et des accusations portées contre lui par les pays occidentaux et qui font que toute discussion sur ces sujets rencontrera, fatalement, le véto du conseil de sécurité.

De là à dire, comme l'a affirmé Taous Ferroukhi, directrice générale au ministère des affaires étrangères, « que le MNA permettra de mettre sur la table des négociations la refondation du conseil de sécurité et le droit au nucléaire pour tous », laisse perplexes beaucoup d'observateurs, tellement le chemin est long pour ne pas dire inaccessible.

En conclusion, on peut s'autoriser à dire qu'en dehors des sommets qui se tiennent tous les trois ans depuis maintenant 2003 et au cours desquels le mouvement des non-alignés est sous les feux de l'actualité, pour respecter son agenda médiatique sans plus, on n'entend plus parler de ses animateurs.

Et ses résolutions tant techniques que politiques s'empilent, inexorablement, dans les tiroirs de son secrétariat technique, sans doute rémunéré par l'argent des contribuables, d'ici et d'ailleurs. Aujourd'hui, avec la chute du mur de Berlin, la disparition du bloc de l'Est et les équilibres mondiaux tels que décidés par les puissances mondiales dont la Chine fait désormais partie, force est d'admettre que c'est le sens de l'existence même des non-alignés qui est sujet à caution.