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Conférence-débat organisée par « Le Quotidien d'Oran » : Les aveux de Hamrouche

par Kamel Daoud

Armée, consensus, histoire, réformes, Constitution, élections et menaces sur la nation. Mouloud Hamrouche a fait salle comble, hier à Oran, sur invitation du «Quotidien d'Oran». Pédagogie d'une vision qu'il essaye de prêcher dans un environnement politique algérien surinterprété, frappé de suspicion, de logiques d'allégeances ou de stratégies de démission.

Dans le paysage politique algérien, Mouloud Hamrouche, ex-Chef de gouvernement algérien et Père de ses réformes inabouties, mène une étrange campagne qui n'a pas pour but l'élection mais le consensus. «Quelque chose de difficile à faire comprendre», confiera-t-il en aparté la veille. La salle regroupait beaucoup de monde représentant de ces générations en manque de confiance et de visions: ceux qui ont connu Hamrouche et ceux qui sont venus l'écouter. Mais tous marqués par ce traumatisme de l'assistanat politique qui empêche de comprendre le plaidoyer de cet homme: construire un Etat et pas uniquement consolider le Pouvoir, définir un consensus national pour permettre les engagements futurs et la sécurité du pays et sa force, aller au-delà des procès de générations et d'équipe et guérir la culture de la méfiance. «Un Etat qui garantisse la sécurité des intérêts de la collectivité et pas seulement ceux d'un clan ou d'un groupe». Pour l'ex-Chef de gouvernement de la fin des années 80, la menace est réelle avec l'échec de cette construction en Algérie et le basculement des groupes dans les logiques primaires du tribal, régional et de clans. «Quand on n'a pas un Etat fort, les gens reviennent vers ce qui les sécurise ou leur permet l'accès à la rente: la tribu ou la région», dira-t-il.

Ce plaidoyer, Hamrouche semble s'en faire l'avocat depuis ses dernières sorties médiatiques, à la veille des dernières présidentielles dans lesquelles il a refusé de voir un enjeu vital pour le pays face à l'enjeu de l'édification d'une vision de sortie de crise. Sa proposition impliquant un appel à la responsabilité de l'armée, une vision transcendante de l'intérêt national et un refus des logiques de procès d'équipes et de personnes, avait surpris et un peu déçu les habitués de l'opposition ou les fervents du changement. Il s'en expliquera par sa volonté de pousser au débat et à la formulation d'un consensus national nouveau.

«Ce consensus, j'appelle à le définir, je ne l'ai pas», répondra-t-il plusieurs fois aux assistants qui ne s'expliquaient pas la vision de cet homme sans le pendant traditionnel d'une ambition politique personnelle et sans la culture de «l'homme providentiel».

 Pour Hamrouche, il y a urgence à se concerter. «Je ne suis pas pour le procès des gens et je m'interdis de manquer de respect à quiconque, ce n'est pas l'éducation de ma génération», expliquera-t-il à ceux qui attendaient un verdict sur les dernières élections. «Je regrette seulement que ces élections aient un peu, presque gravement, consacré des comportements régionalistes» qui, selon lui, menacent aujourd'hui l'intégrité du pays. «Mon appel et ma comparaison entre les 3B (Krim Belkacem, Abdelhamid Boussouf, Bentobal) et à certains aujourd'hui n'est pas à interpréter comme une comparaison entre hommes mais entre situations». L'Algérie est aujourd'hui en crise et cela impose que certains prennent l'initiative et assument des responsabilités. «Le système politique algérien aujourd'hui est bâti sur la coercition et la neutralisation de la société». Et l'Algérie ne peut plus payer le coût d'un effondrement tragique, selon lui. «La société algérienne ne doit plus supporter le coût d'une crise qui dure depuis un demi-siècle». Avec un mode politique qui «empêche la représentation sociale légitime et accentue le fonctionnement clanique».

Etat fort et moderne par nécessité de «protéger les intérêts de tous», administration libérée des logiques d'allégeances et d'injonctions, ordre politique bâti sur la représentativité de l'ordre social, gouvernance au-delà des logiques équipes de ministres de gouvernement et, surtout, obligation d'un nouveau consensus. «Cela ne veut pas dire que tout ce qui a été fait est un échec, mais seulement que l'on est arrivé à une limite et qu'il faut penser à d'autres solutions», expliquera-t-il. La vision de Hamrouche, même si l'homme intéresse vivement certains avec le bénéfice humain d'un politique resté propre et sans engagements désastreux, ne semblait pas bien claire pour l'assistance, dans sa majorité. Venus écouter un procès de l'actuelle présidence ou d'une époque, certains seront déçus de la réponse du conférencier : «Mon éducation m'interdit le manque de respect et la crise n'est pas celle des hommes mais des visions». La déception sera aussi chez ceux qui sont venus chercher un procès de l'armée. «L'armée ? On parle d'un putsch en 91 alors que ce n'est pas vrai. L'armée est au pouvoir depuis 58 et elle ne fait pas de putsch contre elle-même», s'amusera même l'intervenant. Brisant un tabou de commodité qui impute à l'armée la responsabilité du désastre politique algérien, l'ex-Chef de gouvernement s'interrogera : «L'armée est devenue, par la force de l'histoire, l'architecte de l'édification de l'Etat algérien. L'armée doit quitter le champ politique ? Oui, mais on n'a pas encore réussi à construire une alternative à cette armée». Rappelant, du coup, que «les Algériens n'écoutent pas le pouvoir et écoutent encore moins les partis. Il y a un bilan à faire du multipartisme algérien et avec une interrogation légitime sur ses modes de fonctionnement. A part l'armée, quelle force politique peut aujourd'hui encadrer un débat ? Il n'y aucune force aujourd'hui qui sera capable de dire aux militaires revenez dans les casernes et laissez-nous le terrain». Pour Mouloud Hamrouche, «l'armée ne peut pas servir toujours de base sociale à la gouvernance mais, mis à part l'armée, qui le pourra aujourd'hui ?»

La conférence sera suivie par un vif débat et des interrogations en série, de celles qui agitent les élites algériennes depuis une décennie. Légitimité, rente, pétrole, etc. «Il faut cesser de parler uniquement d'économie informelle», répondra-t-il à un intervenant. «L'informel est aussi dans la culture, la justice, l'administration, la nomination, etc.». La rente pétrolière et son impact sur la construction de l'Etat ? «Oui et cet impact est direct : un gouvernement qui n'a pas besoin de lever l'impôt n'a pas besoin de consulter ses citoyens». Créer un parti politique ? «Il faut d'abord faire le bilan du multipartisme algérien et sortir de sa bulle pour voir ce qui se passe dans le monde réel». La Constitution et les consultations entamées ? «Je suis un peu dans la gêne. Je ne peux à la fois me récuser et récuser la Constitution de 89 qui était une avancée en m'associant aux consultations, et je ne refuse pas en même temps. Mais moralement, je n'ai pas accepté. Si j'y vais, cela veut dire que j'ai menti en 89 ou que je suis en train de mentir maintenant».

Le choix des hommes pour la gouvernance ? «Mettre en place des mécanismes qui aident à réduire le facteur humain et subjectif dans le choix des hommes», répondra Hamrouche.

Analyse sur la crise politique mais pas seulement. Le plaidoyer de Hamrouche semble proposer une vision de réconciliation mais aussi de responsabilité qui va au-delà du procès des noms et des équipes. « On a un pays depuis si peu et nous avons des héritages lourds qui viennent du passé qui va au-delà de la période coloniale ». Mettre la main dans la main ? Oui, mais vers quel but ? Que contient l'autre main ?», nuancera le conférencier. Le tableau est celui d'une crise qui peut, selon le conférencier, accoucher de la solution mais aussi être un moment difficile propice à la désintégration et recul vers les structures primaires avec, en sus, des menaces régionales : «On répète souvent que, face aux derniers bouleversements dans le monde arabe, l'Algérie est à l'abri. On répète que cela ne se passera pas chez nous et que c'est le fait de la main étrangère ». Réserve du conférencier : la main étrangère ne peut pas agir que si on lui prête le terrain et avec des populations opprimées en quête de liberté et de justice.

« Comment achever le processus d'établissement d'un Etat moderne, c'est cela notre problème aujourd'hui. Et on ne pourra pas le faire avec cette culture de la méfiance et du soupçon », conclura Hamrouche. Quand aux islamistes ? « Ils ne peuvent pas venir au pouvoir avec l'idée de détruire l'Etat au nom d'un mode de gouvernance. Ils finiront pas créer des tensions, des oppositions et donc à conduire à la crise ». Dans l'assistance, certains émettront le souhait de voir ce genre de rencontres se multiplier pour servir de pédagogie politique aux Algériens.