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Du bon usage de la «brosse»

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Avec tous les Prix et autres récompenses qui ont chanté, jusqu'ici, les succès et les réussites nationales (la gouvernance, le management d'entreprise, l'innovation, l'exportation, le compte devises le plus pourvu, la qualité?), on avait totalement oublié qu'il pouvait y avoir aussi, chez nous, d'autres Prix? bien moins (ou pas du tout) médiatisés? mais, tout

de même, d'un certain rapport... matériel. Peut-être bien plus que les premiers.

Déclic ! Ces derniers temps, sur les réseaux sociaux, une vidéo réalisée par un jeune humoriste «underground» algérien, Anes Tina, a fait le «buzz» (a «fait fureur») : 420 000 vues fin avril. Il s'agit tout simplement, tout bêtement, de tourner en dérision la Brosse ( Ech Chita ) et les Brosseurs (Ech Chiyatine) .Tout ceci dit non avec colère mais avec moquerie à l'endroit... de tous ces adultes et/ou autres «tab' jnanhoum» et «à plat ventristes» mus bien plus par l'intérêt que par la conviction.



UNE VERITABLE MALADIE QUI A GAGNE EN AMPLEUR CES DERNIERES ANNEES

Auparavant, la «brosse» existait, mais ne se clamait pas publiquement. Elle était bien loin de toute cette nouvelle et actuelle arrogance, fille de la fortune et du pouvoir bien de chez nous. Elle se faisait dans la discrétion la plus absolue. Il y avait, malgré tout, un minimum de dignité et on en avait même «honte». On préférait alors «travailler» au corps, directement, les décideurs dans les salons des grands hôtels, en Algérie et à l'étranger, à l'étranger bien plus qu'en Algérie. Par ailleurs, le virus de la corruption n'en était qu'au début de son existence. Il y avait surtout des motions de soutien politique, avec des visées assez modestes, comme l'obtention d'une licence d'importation ou un logement ou un terrain ou un poste ou une bourse pour le rejeton aux études ratées...

Depuis deux à trois décennies, le pays ayant progressé, sa fortune s'étant développée, les décideurs ayant une durabilité plus grande et plus vorace, les techniques, pour «approcher» et faire «tomber» dans les filets les décideurs se sont affinées et les moyens (matériels et financiers) utilisés ont grossi. A objectifs lourds, cibles lointaines donc artillerie sophistiquée? dont les moyens d'information ! Mais toujours le même carburant : l'argent... le fiel et/ou le miel... et, si besoin est, les femmes.

Ainsi, vu dans la presse nationale .., lors de je ne sais plus quel mandat ! Le second, je crois. Des encarts publicitaires de la part d'un heureux bonhomme qui avait «décroché» un (gros?) contrat lors d'un concours national et international pour la réalisation d'un projet d'importance régionale.

A longueur de placard (qui avait coûté, certainement, 20 à 30 millions de centimes ?une très grosse somme pour l'époque - pour un seul titre... car il avait été publié dans d'autres titres) , il «remercie» dans l'ordre?protocolaire : Le Président de la République, le Premier ministre, le wali de la région concernée par le projet, la direction spécialisée de la région concernée, les membres du jury, les membres de la commission nationale des marchés publics, son concurrent, une entreprise étrangère, «pour son fair-play»? ses enfants et ses regrettés parents étant cités en dernier. Il venait d'inaugurer une nouvelle ère dans la com' B to P (business to politic).

On a déjà vu ce type de démarche mais, jusqu'ici, cela venait surtout d'hommes «politiques» qui venaient d'être élus et qui remerciaient leurs parrains. Une autre façon de dire aux adversaires et à ceux qui l'ignoraient encore que «nous» sommes «appuyés» en «haut». Normal donc !

On a déjà vu ce type de démarche avec des placards de remerciements et de louanges payés par des entreprises étrangères, surtout arabes du Golfe. Une pratique somme toute normale chez eux et qui montre le profond respect ou la vassalité à l'endroit des dirigeants. Normal donc !

Mais, à dire vrai, c'était la première fois que l'on rencontrait une telle initiative affichée publiquement et, de surcroît, accompagnée d'un conseil : «Cette annonce est d'abord un acte qui devrait devenir une tradition pour faire valoir ce que de droit...». Pas normal du tout !

DEPUIS PEU, DONC, LE COUVERT EST RE-MIS !

Ainsi, depuis la ré-élection de A. Bouteflika à la magistrature suprême (avril 2014), on a vu fleurir des placards publicitaires de même type? dont la plus visible est celle d'une entreprise industrielle privée. Sur-titre : «Mabrouk Aalina». Heureux homme que ce Pdg de groupe qui associe à son allégeance l'ensemble des personnels de ses filiales.

 Faut-il pour autant en vouloir à ces annonceurs de nouveau type ? Ils sont libres de publier librement leurs opinions et leur admiration- d'autant qu'elles ne sont pas politiques ou perturbatrices de l'ordre public - et même le journal réputé «opposant», rémunéré pour la publication, ne peut refuser la publication. Encore que !!!!!

Le nœud de la problématique est autre. Il est dans cette dérive «vassaliste» qui , cultuelle , puis culturelle (on se souvient d'une association d'Algériens au Canada qui , dans un placard publicitaire du même type, demandait à créer une association portant le nom de la maman défunte des Bouteflika?et on relève la généralisation de cette fâcheuse manie, fâcheuse car elle se fait, généralement , avec l'argent d'une entreprise ou d'une institution qui sert de couverture - des avis de condoléances... après le décès du frère du voisin de DG ou du ministre? l'annonce étant rédigée et maquettée de si mauvaise manière qu'à la première lecture on croirait au décès du dit DG ou PDG) , puis politique a «glissé»» dans des secteurs où , pourtant, les règles sont déterminées à l'avance : l'industriel et l'économique.

Le message est clair : désormais, il ne vous suffit plus, pour décrocher un marché ou un contrat, d'être performant, d'être compétent et capable, d'être «moins disant» ou «mieux disant». Il faut, aussi, «aimer» celui qui, à un niveau ou à un autre, vous aidera - ou vous a aidé - à surmonter les obstacles. Il faut, aussi, faire bien plus, en déclarant publiquement votre soutien ou votre «amour». On ne sait jamais, il y a tant d'autres «marchés» et tant d'autres «postes» en perspective !

Il se pourrait que notre annonceur ait fait cela sans aucune mauvaise intention. Il se pourrait qu'il ait fait ceci seulement pour «faire comme les autres» s'étant aperçu, de guerre lasse, que les autres sont bien en avance sur lui en matière d'«allégeance». Le plus grave est de s'apercevoir que cette démarche fait désormais partie de notre décor, de notre manière de travailler, de réussir, de gravir les échelons, de décrocher un contrat? La «cérémonie» de vassalité (une forme de «moubaya'a»), rendue publique grâce aux moyens modernes comme les médias, avertit en même temps tous les autres que l'on fait désormais partie du «clan», des protégés et des veinards? D'autres contrats doivent donc suivre !

Ils oublient seulement que dans les pays a-démocratiques les régimes en place sont éphémères et, surtout, très vite oublieux des services rendus et encore plus des «remerciements» et des «salamalecs».

Ils oublient, aussi, que les «décideurs» actuels ont actuellement bien des soucis. Ayant déjà «fait largement le plein» d'affaires (comme leurs prédécesseurs) et la retraite venant, la relève n'étant pas forcément assurée, ils se retrouvent obligés, le poids des ans et la survenue inattendue de maladies, à se consacrer à la défense des «territoires de chasse» , à «surveiller leurs arrières» ou aux «règlements des comptes»

Dure et lourde tache, diriez-vous ! Oui, mais, pas ingrate du tout et très accorte, la gueuse.