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Le plaidoyer des cancres

par David Ropeik *

CONCORD, MASSACHUSETTS – Imaginez qu’un groupe de militants essaie d’alarmer le public d’un danger qu’eux seuls perçoivent, mais que les faits démontrent que le danger n’est pas réel, et, qu’en publicisant leurs craintes, ils influencent les comportements des gens, de telle sorte que le grand public et vous-même êtes exposés au danger. Et vous, que feriez-vous ? Que doit faire l’État ?

Le gouvernement d’Australie a répondu à cette question de façon spectaculaire. Il a révoqué le statut d’exemption fiscale pour œuvre caritative d’une association qui s’oppose aux vaccins, mais qui répand des faussetés alarmistes sur le danger des vaccins menaçant ainsi la santé publique, plus particulièrement la santé des enfants.

Les instances ont également exigé que le groupe change de nom, de Réseau australien de vaccination à Réseau australien des sceptiques de la vaccination, afin de clarifier la position de cette association. « Nous nous efforcerons toujours que ce groupe se présente dorénavant sous la bannière de l’anti-vaccination », confirme Stuart Ayres, ministre du Commerce équitable de la Nouvelle-Galles-du-Sud. « Nous voulons nous assurer qu’ils ne puissent plus jamais répandre des informations erronées ».

Évidemment, nous entrons ici en terrain miné. Même si les faits tendent à démontrer que la vaccination n’a pas les effets nocifs dont ses opiniâtres détracteurs l’affublent, toute intervention de l’État pour restreindre la liberté de parole est inquiétante. Aucune société libre ne peut laisser son gouvernement décider de ce que tel ou tel groupe de défense a le droit de dire, quelles que soient ses croyances.

Malgré tout, dans ce cas-ci, l’intervention des instances australiennes était un service public entièrement justifié et essentiel : la protection de la santé et de la sécurité publique, fondée sur des preuves médicales rigoureuses et réfutables.

Les études contredisent les affirmations des opposants à la vaccination voulant que la vaccination des enfants soit la cause de l’autisme et d’autres maladies affectant le développement du système nerveux à long terme. Pourtant un groupe restreint, mais influent d’alarmistes et de profiteurs intéressés continue de répandre des exagérations alarmistes et des faussetés flagrantes en affirmant que les vaccins font plus de mal que de bien.

Les effets de leur activisme se sont fait sentir dans la baisse du taux de vaccination dans certaines collectivités, particulièrement celles à forte densité d’anarchistes libertaires et d’environnementalistes qui prônent le retour à la nature. Avec pour résultat que dans certaines régions, le niveau d’immunité collective des maladies comme la rougeole et la coqueluche est tombé en dessous du niveau nécessaire pour éviter la contagion dans la population générale. De plus en plus d’adultes sont tombés malades parce que le vaccin s’est estompé ou son efficacité a été compromise. Les enfants en bas âge qui sont trop jeunes pour être vaccinés contre la coqueluche contractent également la maladie, certains toussant et s’étouffant jusqu’à en mourir.

La décision du gouvernement australien est donc nettement justifiée. La protection des personnes contre les menaces qu’elles ne peuvent éviter seules constitue, après tout, la principale raison pour laquelle nous habilitons l’État à agir en notre nom. Lorsque l’évidence est aussi nette dans le cas des vaccins, et les conséquences aussi graves, l’État est autorisé, et même tenu, d’intervenir au nom de la sécurité publique.

Mais la vaccination n’est qu’un cas parmi d’autres de la façon dont les groupes de pression mettent parfois le public en danger en rejetant des faits scientifiques. Le déni idéologique du réchauffement planétaire anthropique retarde les initiatives d’atténuation des émissions déstabilisatrices du climat. Il empêche même les mesures pour se préparer aux conséquences de plus en plus probables et dangereuses de cette énorme menace. L’opposition absolutiste à toute loi visant à contrôler la possession d’arme à feu, particulièrement aux États-Unis, empêche de retirer les armes mortelles des mains de ceux qui constituent une menace envers la société.

La résistance à l’égard des biotechnologies, surtout aux aliments modifiés génétiquement (OGM), en est un autre exemple. Certaines applications pourraient apporter des avantages incommensurables à la santé humaine, mais la société ne peut en tirer parti, faisant en sorte que de vraies personnes en souffrent et en meurent, parce que des opposants rejettent systématiquement l’application des technologies transgéniques, du fait d’une méfiance fondamentale à l’égard des grandes entreprises, de l’industrie agroalimentaire ou des technologies modernes en général.

Prenons le cas du « riz doré », une variété hybride transgénique qui porte le gène de la carotte pour produire de la vitamine A. Une étude récente tend à démontrer que, pour l’Inde seulement, si le riz doré avait été autorisé lorsque techniquement prêt en 2002, cette culture aurait épargné 1,4 million en années de vie corrigées du facteur invalidité pour ceux qui au lieu de cela sont devenus aveugles ou sont décédés en raison de carence en vitamine A.

Il est temps de faire reculer ces militants lorsque leurs vues motivées par leurs valeurs font fi des preuves scientifiques reconnues et nous mettent tous en danger. Les scientifiques doivent réagir, comme ils l’ont récemment fait en Angleterre, où des chercheurs mettant à l’essai une nouvelle variété de blé ont contré les arguments des opposants aux OGM dans le cadre d’un débat public, entraînant une désaffectation du public à l’égard de la cause de ces activistes.

Tout un chacun en tant que concitoyen doit répliquer, en choisissant judicieusement les groupes auxquels se rallier ou appuyer financièrement. Nous devons répliquer également aux arguments non fondés dans les audiences publiques et les témoignages lors des propositions de loi ceci pour éviter que les voix les plus passionnées ne viennent forcer la main des politiciens et des responsables politiques qui prendraient leurs décisions dans le seul but d’apaiser les voix minoritaires les plus bruyantes, tout en empêchant la communauté élargie de profiter des bienfaits du progrès. Et lorsque les preuves sont évidentes et les risques imminents, les gouvernements doivent répliquer, comme l’a fait celui de l’Australie.

Les sentiments et les valeurs doivent toujours avoir droit au chapitre dans une démocratie. Nous avons besoin de la passion des défenseurs de toutes les causes pour faire avancer la société. Mais lorsque ces passions vont à l’encontre des faits et nous met en danger, il est tout à fait légitime qu’au nom de la santé et de la sécurité publique, vous, comme moi, ainsi que nos gouvernements clament tous haut et fort, « Assez, la coupe est pleine! ».

Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier

* Est un professeur du programme de gestion environnementale de la Harvard Extension School , Auteur de How Risky Is It, Really? Why Our Fears Don’t Always Match the Facts (Quel est le vrai risque ? Pourquoi nos craintes ne sont pas fondées sur des faits). Il est également conseiller en perception et communications en matière de risque.