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Délivrance

par Mazouzi Mohamed *

«Il est très vrai que les démocraties sont perpétuellement menacées par la décadence qu'entraînent l'anonymat des pouvoirs, la médiocrité des dirigeants, la passivité des foules sans âme.» «Le Savant et le Politique » Raymond Aron

Cette histoire aurait pu commencer par une nuit de pleine lune, moment propice où toutes ces créatures hideuses surgissent de leurs terrifiantes cryptes pour venir harceler les humains et installer le règne des mythes. Hélas ! Il n'y a point de monstres hormis ceux que notre imagination ou notre lâcheté congénitale produit à l'infini. Cette mascarade qui nous sert de destin n'est en fait que cette légende des siècles, celle qui raconte invariablement l'insatiable appétit des ogres combinée à notre penchant incompréhensible pour la soumission, la servitude et une pétoche idiosyncrasique.

Tout le monde parle de ce méchant système politico-affairiste comme s'il s'agissait d'un mystérieux trou noir qui avale tout ce qui gravite autour de lui, alors qu'en réalité ce foutu système n'est que la concrétion de nos peurs et de nos capitulations indécentes.

Les dès sont jetés. Dans quelques heures, on saura qui présidera la destinée de ce pays pour cinq ans encore. « Fluctuat nec mergitur! ». Peut-être que ce Système commence à prendre l'eau, mais son naufrage n'est pas pour aujourd'hui.

Bientôt le peuple sera enfin délivré non pas du Système puisqu'il en fait partie, mais de cette attente emplie de doute, de lassitude et de dépit. Il est loin ce temps où l'histoire d'une nation s'arrangeait toujours par inspirer aux masses le souci de la vertu, de la dévotion et du sacrifice, élixir de vie et source de folles espérances. Il est loin ce temps où de pauvres gens avaient la possibilité de rêver ensemble et d'imaginer des lendemains surréalistes.

Si le peuple n'existe désormais que dans le langage, alors la réalité voudra forcément que chacun de nous se hâte à protéger ce qu'il a pu dégoter miraculeusement. Et ce sera là l'essentiel de nos aspirations.

Il est loin ce temps où les urnes avaient un sens et le pouvoir de créer cette alchimie si précieuse et nécessaire à l'existence.

Fichtre alors ! On peut dire donc que temps qu'aura duré ce mois de racolage, les yeux hagards et l'esprit ailleurs, tels des zombies, sans le moindre intérêt pour un destin « prêt-à-porter », nous avons impassiblement rasé ces murs où se projetaient des ombres chinoises qui mimaient des fables dont nul ne fût convaincu. Laissez-nous notre royale indifférence et gérez ce pays comme bon vous semble, marmonnera la foule.

D'une cinquantaine de campus qui essaiment notre territoire, vivier de la matière grise nationale et future élite qui s'ignore, on a pu recenser uniquement deux ou trois chapelles dissidentes, toujours les mêmes, qui se sont élevés pour crier au scandale.

Jamais dans l'histoire de ce pays, sauf au temps de notre glorieuse U.G.E.M.A (l'Union générale des étudiants musulmans algériens), les étudiants n'ont eu à exprimer avec autant de hargne un « No Passaran » aussi franc à l'égard d'une gérontocratie de droit divin et d'un système inique qui ne voit dans l'alternance au pouvoir qu'un processus à sens unique pour un pouvoir unique.

Ces dissidences et ces voix sporadiques et éparses que nous avons pu entendre çà et là, pour autant qu'elles puissent témoigner d'un désir sincère et spontané au changement, sont-elles annonciatrices d'un véritable tournant dans l'histoire de ce pays, prémices d'un sursaut démocratique prometteur ou ne sont-elles que de bravades passagères. Assisterons-nous, quelle que soit l'issue de ces élections monotones, à l'intrusion des masses dans la sphère publique de la contestation, instituant par là ce que le philosophe Jürgen Habermas nommera le «pouvoir d'assiègement permanent ». Verrons-nous en fin l'éclosion de cet espace public chimérique qui induira enfin la «revitalisation de l'État de droit par la délibération constante et publique des individus. », ou bien serions-nous condamnés à essuyer une nouvelle ère de glaciation politique et intellectuelle faite de clans qui se superposent et s'imposent dans la pratique de l'ostracisme et du repli.

Dans un monde où plus personne ne tient ses promesses, « Notre Serment », aura été le crédo désuet de l'équipe sortante. Quel crédit pourrait-on accorder à ces déclarations solennelles si celles-ci ne sont que des vœux pieux. Le Président sortant, en véritable pourfendeur de la corruption et de l'affairisme décadent, n'a-t-il pas fait en 1999 les mêmes serments, clamant tout haut : « Je montrerai qui est le plus fort !».

Invectives et serments. Voilà ce à quoi nous avons été allaités pendant deux décennies. Les écuries d'Augias ne sont pas encore nettoyées. Et ce « Magma de brigandage, de mafiosi et de gens véreux. » dont parlait le président, se confond toujours avec l'Etat. Un « Etat bien pourri » selon ses propres termes.

Jamais, la corruption et l'affairisme n'ont prospéré avec autant d'insolence et d'impunité que pendant le règne du président sortant. S'il a été impuissant à réfréner les ardeurs de tous les larrons qui pullulent dans le sérail avec des postures d'apôtres qui se tiennent à ses côtés de part et d'autres, on en arrive à douter que cette tâche soit un jour possible.

Quel que soit le nouveau locataire d'El-Mouradia, les mêmes reflexes seront reproduits encore et encore si nous continuons à instiller dans l'âme de cette nation le poison de fourberie et de la discorde.

Le président sortant pourra-t-il, s'il sera réélu, accomplir agonisant ce qu'il n'a pu réaliser lorsqu'il était en possession de toute sa vigueur impétueuse. Je m'imagine assis dans un engin à explorer le temps et voir s'il était possible de faire un saut en arrière et s'embarquer pour une autre dimension temporelle où seraient évacués tous les fléaux que le pays a enduré. Une diaspora de l'élite dont le génie se chiffre en milliards de dollars crédités au compte de la nation d'accueil. Une massive trahison des clercs, larbins cooptés, inféodés et transformés en grooms de service.

La caporalisation de la justice. La restriction des libertés individuelles. Le dressage des foules en hordes distinctes dont les unes vivent à la marge du système au moyen d'expédients divers pendant que les plus chanceux s'ingénient à prospérer de manière illégale avec l'appui de multiples réseaux de soutien au sein des institutions mêmes de l'état , et au beau milieu une classe moyenne , étrange et discrète dont le seul rêve est de vieillir indemne dans sa bulle aseptisée et étanche.

« Et quand on leur dit : «Ne semez pas la corruption sur la terre», ils disent : «Au contraire nous ne sommes que des réformateurs !» Certes, ce sont eux les véritables corrupteurs, mais ils ne s'en rendent pas compte. » (Sourate Al-BAQARAH, le Coran)

* Universitaire