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La présidentielle, une occasion pour ne rien faire

par Abed Charef

L'Algérie a vécu trois mois délicats, mais n'en a pas tiré profit. Car au lendemain du 17 avril, il faudra bien se rendre à l'évidence : tout est à faire.

A une semaine de la présidentielle du 17 avril, les grandes lignes de l'opération électorale se précisent. Elles sont sans surprise. Les grandes tendances, déjà en place depuis plusieurs mois, se sont précisées, ou accentuées. A l'exception de questions de second plan, relatives à l'existence d'un conflit au sommet du pouvoir, et à l'incertitude qui plane sur le lendemain du vote, l'opération électorale n'offre pas de suspense véritable. Elle se déroule selon le scénario annoncé.

Le président Abdelaziz Bouteflika, malgré son état de santé qui l'empêche d'exercer ses fonctions dans des conditions optimales depuis avril 2013, est bien parti pour obtenir un quatrième mandat. Malgré les mouvements de protestation, les appels de nombreuses personnalités à la sagesse, et malgré le sentiment d'humiliation ressenti chez nombre de citoyens, l'Algérie a maintenu la candidature d'un homme physiquement très diminué, qui se meut et s'exprime avec beaucoup de difficultés, et qui est réduit à mener une campagne par procuration. Les adversaires de M. Bouteflika apparaissent pour ce qu'ils sont, des lièvres, à l'exception de M. Ali Benflis, qui peine toutefois à donner à sa candidature l'envergure nécessaire pour se risquer à un grand défi, celui de la confrontation éventuelle avec le pouvoir. Comme attendu, Louisa Hanoun s'en prend plus à l'opposition qu'au pouvoir, Rebaïne a des difficultés à organiser ses meetings, et Moussa Touati semble plus soucieux de terminer une corvée que de convaincre les citoyens de voter pour lui.

La campagne électorale elle-même n'a rien apporté de fondamental. Elle a plus valu par les bourdes et les excentricités de M. Abdelmalek Sellal, directeur de campagne du président Bouteflika, que par le débat ou le discours politique. A l'exception de formules plates et de promesses alignées sans conviction, les Algériens n'auront rien retenu de passionnant. Ni le TGV dans le sud, ni l'idée de transformer Mascara en une nouvelle Californie, n'ont mobilisé les foules. A un point tel que la campagne électorale a été plus marquée par les idées et personnalités externes à l'opération que par les participants. Les interventions remarquées de l'ancien président Liamine Zeroual et de l'ancien chef de gouvernement Mouloud Hamrouche ont ainsi plus marqué l'opinion que celles des candidats. Quant au débat politique, il a été essentiellement centré sur l'idée d'une période de transition, elle aussi par des interventions de personnalités qui ne participent pas au scrutin.

Tout est à faire

A l'inverse, la campagne électorale a confirmé un mouvement de fond qui menace le pays, à travers la fragilité des institutions et l'indigence marquée d'une partie importante du personnel politique. Ainsi, l'Algérie, qui a toujours tenté de vendre l'image d'une armée unie, soudée autour de la défense de la république et disciplinée envers sa hiérarchie, a montré une ligne de fracture inhabituelle. Celle-ci a opposé un état-major favorable au maintien du président Bouteflika, et un DRS plutôt hostile à cette éventualité. Au final, le président Bouteflika a gagné le droit de postuler à un quatrième mandat, grâce à d'habiles manœuvres, soutenues par une classe politique qui n'a jamais été aussi bas aux yeux d'une opinion sidérée par le comportement de M. Abdelmalek Sellal, ancien premier ministre, et de nombreux membres du gouvernement, devenus la risée de réseaux sociaux.

Mais l'Algérie a aussi perdu gros. Dans cette aventure pré-électorale, elle a sacrifié des atouts considérables de manière inutile. La maladie de Bouteflika a sérieusement entamé la sacralité du poste de président de la République. Les dérives de la campagne ont détruit l'autorité du responsable gouvernemental, qui a perdu sa crédibilité et son aura. Enfin, la mésentente au sein de la hiérarchie de l'armée, et le fait que cela soit devenu un objet de discussion banal, a réduit cette impression de mystère et de puissance que dégageait l'armée.

Pour quel bénéfice ? Aucun. Car il faudra se rendre à l'évidence, la présidentielle ne règlera aucun problème, elle ne fait que les reporter. Y compris la succession de M. Bouteflika. A ce jour, l'Algérie ne sait pas de quoi sera fait le 18 avril. Elle ne sait pas si M. Benflis est capable de mobiliser des troupes pour dénoncer la fraude, s'il est capable d'occuper la rue, et quelle sera la réponse du pouvoir dans ce cas. Et au lendemain du 17 avril, l'Algérie se retrouvera devant une réalité surprenante. Elle se rendra compte que tout est à faire. Elle fera le constat que l'élection présidentielle n'était pas un enjeu, mais un moyen de se quereller sur quelque chose de secondaire pour éviter d'aller à l'essentiel. Plus grave encore, l'Algérie sera obligée de constater, le 18 avril, que tout est à faire, mais dans des conditions devenues plus difficiles, plus complexes, avec moins d'arguments et moins d'atouts.