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Rente et crise de légitimité en Algérie

par Achir Mohamed *

Le mois de mars en cours a confirmé un semblant de trêve entre les factions composant le système du pouvoir algérien.

Mais, force est de constater que la panique des sérails du mois de février écoulé a eu le mérite d'avoir révélé, qu'en fin de compte, ce que nous avions long temps cru comme inébranlable, n'est qu'une puissance angoissante qui se veut rassurante par un discours arrogant et auto-réalisant, abusé par des statistiques saugrenues qui font violence non seulement à eux-mêmes mais à l'ensemble de la société, même en vantant un gigantisme économique dopé par une rente suffisante et une politique dépensière de redistribution par-ci et par-là de la manne pétrolière. Cependant, la rente est incapable de voiler l'anémie morale et structurelle qui a paralysé l'économie et laminé l'Etat et la société. Intolérable et inqualifiable marche dans l'obscurité soutenue par la rente. L'aveugle n'est-il pas celui qui ne sait pas qu'il marche dans l'obscurité ?

Il est plus confortable de dire au nom de l'égalitarisme primaire que la rente doit profiter à tous les Algériens. C'est, d'ailleurs, un clin d'œil devant le forum des chefs d'entreprises, " FCE ". En tout cas, les décideurs algériens ne feront pas mieux que M. Kadhafi qui distribuait d'une manière arthritique la rente à tous les Libyens, sans pour autant leur exiger un effort de travail, mais, tristement, a fini par être lynché sauvagement par son peuple. Pour le moins qu'on puisse dire, c'est une politique populiste et d'égalitarisme primaire qui fait moins de pincement social que de dégâts dont les victimes sont la justice sociale et la valeur travail. Le travail du point de vue économique, social et éthique, est le moyen permettant à un individu de gagner dignement sa vie et d'améliorer ses conditions sociales. Le bannissement de la valeur travail est la pire et dangereuse corruption. C'est là une corruption de masse qui ouvre les portes de la société vers une sombre décadence.

Ce qui devrait profiter à tous les algériens ne doit-il pas être une richesse créée par un effort national de croissance en fonction des efforts individuels et collectifs ? Un effort des entreprises, des ménages et de l'Etat ? La productivité du travail en Algérie est l'une des plus faibles dans les pays du MENA, (Moyen Orient et Afrique du Nord), Pis encore, la manne financière à redistribuer est générée par une ressource non renouvelable. Ce qui expose le pays à un effet boumerang lorsque le tarissement des puits de pétrole nous surprendra.

À ce moment là, nous seront tous égaux, mais dans la misère parce que les décideurs vont socialiser les pertes au nom de la crise, mais sans toucher aux superdividendes de la nomenklatura.

SUBVENTIONNER PLUS EN QUETE D'UNE LEGITIMITE

Les milliers d'émeutes que le pays enregistre ont dévoilé un déficit chronique de légitimité qui frappe le système de pouvoir. Ce déficit, le fragilise de plus en plus au point où il a construit un consensus légitimant l'irrationalité économique, régie comme principe de gestion des deniers publics pour calmer les voix contestataires et acheter la paix sociale. Une politique qu'il tente souvent de justifier par la propriété des fonds publics et le rôle social de l'Etat. Un haut responsable n'a-t-il pas ordonné, lors d'une visite effectuée dans une wilaya du pays, aux banques commerciales de financer tous les projets émanant des dispositifs de création d'entreprises ? En ironisant par le fait que l'argent du pétrole appartient au peuple algérien, (Draham echaab).

Le populisme est devenu une monnaie courante de la gestion des affaires publiques, la redistribution et les subventions sont indispensables pour non seulement stabiliser le front social mais aussi pour créer de bonnes commandes pour les compradors d'importation et les entrepreneurs qui gravitent aux alentours de la nomenklatura. C'est, aussi, une disposition permettant la dissimulation des zones grises et les détournements qui frappent les finances publiques. Ceci, nous rappelle une anecdote que nous racontons si bien chez nous sur un chacal qui s'est fait couper la queue après avoir volé, et pour se dissimuler et éviter qu'il soit repéré, il a trouvé un artifice pour couper les queues de plusieurs chacals.

Il me semble, par éthique, que les générations futures ne devront pas nous pardonner, non seulement le fait d'avoir compromis leurs parts de richesses non renouvelables en travaillant moins et en profitant du système rentier, dont les dirigeants assument l'entière responsabilité, mais beaucoup plus notre abdication et le fait de ne pouvoir résister à la décadence du système de valeurs sociales, culturelles, politiques et économiques qui, jadis, structuraient notre société.

Nos ancêtres nous ont préservé et légué de grandes valeurs malgré la férocité de la colonisation qui les avaient ciblés en essayant de les détruire par la force et l'incorporation. La colonisation, forme primaire de l'actuel processus de mondialisation, avait attaqué violement l'équilibre des structures sociopolitiques de la société algérienne et son système d'économie primitive. Cependant, en dépit de la politique de la terre brûlée, de la détribalisation et ré-tribalisation et de l'esclavagisme, l'aliénation du peuple algérien s'était avérée impossible.

Au passage, faut-il souligner que les formes d'organisation traditionnelle de la société algérienne et les zaouïas, réduit aujourd'hui au comité de soutien électoral, ont rempli, certaines fonctions de l'Etat et étaient des bastions de la résistance.

Le contexte actuel est différent, nous ne pouvons pas, certes, faire face à la mondialisation, mais nous pouvons quand même éviter de la subir. C'est l'Etat développementaliste (Developmental state) qui doit s'imposer face à la mondialisation. Il se construit simultanément par les valeurs originelles de la société et les valeurs universelles. Ce n'est nullement par un Etat rentier et la bourgeoisie compradore. Les pays du Sud Est Asiatique, la Corée du Sud en l'occurrence, symbolise le rôle des Etats développementalistes qui ont su en moins d'un demi-siècle construire des Etats développés au plan économique, social et politique. Ces Etats sont arrivés à construire des gouvernements de droit démocratique, parce qu'ils ont compris que, face à la mondialisation libérale et le diktat du capitalisme financier, qui a d'ailleurs provoqué la crise de 1997, c'est la classe salariale libre et l'entrepreneuriat privé national créateurs de richesse qui, seuls, peuvent garantir la durabilité du développement et la sécurité nationale.

* Enseignant Chercheur, Université de Tizi-Ouzou.