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Les œillères de la troïka européenne

par Akram Belkaid, Paris

C’est une information qui est presque passée inaperçue en raison de la focalisation générale à propos de la tension provoquée par la crise ukrainienne. Jeudi 13 mars, le Parlement européen a adopté à une large majorité (448 voix pour, 140 contre et 27 abstentions) un rapport critiquant avec sévérité l’action de la troïka face à la crise financière qui a affecté l’Europe en 2009 et durant les années qui ont suivi. Pour mémoire, la troïka est composée du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque centrale européenne (BCE) et de l’Union européenne (UE). Et les pays où elle a été obligée d’intervenir sont Chypre, la Grèce, l’Irlande et le Portugal.
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MANQUE DE LEGITIMITE DEMOCRATIQUE
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Que dit ce rapport ? Il insiste d’abord sur un fait qui, de manière générale, empoisonne le fonctionnement des institutions européennes mais qu’aucun gouvernement du Vieux Continent ne semble vouloir ou pouvoir résoudre. Il s’agit du manque de transparence dans le fonctionnement de la troïka. En effet, cette dernière ne répondait devant personne de son action et de ses décisions dont certaines sont à ce jour très contestées, à l’image des mesures d’austérité imposées à la Grèce. Dans le même ordre d’idée, le document met en exergue, en le déplorant, le manque de légitimité démocratique du trio BCE-UE-FMI. « La plupart des décisions furent prises sans contrôle parlementaire, à l’Eurogroupe, instance formelle où la voix de l’Allemagne prime », a commenté Liêm Hoang-Ngoc, député socialiste et rapporteur de la commission d’enquête mise en place par le Parlement européen pour juger du travail de la troïka (rappelons que l’Eurogroupe est la réunion mensuelle des ministres des Finances de la zone euro). Pour résumer, la troïka a agi seule tout en étant sous influence de l’Allemagne (opposée à toute indulgence à l’égard de la Grèce) et sans rendre compte de ses décisions auprès du Parlement.

Mais c’est surtout à propos du fond que les conclusions du Parlement méritent d’être connues. En effet, le rapport reproche à la troïka sa persistance à ne vouloir imposer qu’un seul point de vue dans les remèdes qu’elle a imposés aux pays concernés. Sans tenir compte des disparités entre chacun, elle a systématiquement privilégié l’approche orthodoxe qui passe par des cures d’austérité et des diminutions drastiques de dépenses publiques. Cette thérapie de choc a eu, on le sait aujourd’hui, des conséquences sociales dramatiques en Grèce et, à ce jour, seul le Fonds monétaire international a fait son mea-culpa, reconnaissant que l’austérité n’était pas la solution unique pour faire face à la crise. A l’inverse, ni la Commission européenne ni la BCE n’ont esquissé la moindre autocritique. Rien d’étonnant à cela pour qui connaît un tant soit peu la morgue idéologique qui caractérise le personnel de ces institutions…
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UN FONDS MONETAIRE EUROPEEN : OUI, MAIS POUR QUOI FAIRE ?
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Tirant les conclusions de l’action de la troïka, le rapport suggère donc que la BCE n’en soit plus un membre actif et qu’elle se contente d’un rôle de consultant. Les parlementaires estiment aussi que l’idéal serait que l’Europe dispose demain de son propre fonds monétaire. Une option qui réduirait l’influence du FMI mais aussi de la BCE. Mais rien ne dit que cela changera les choses quant au fond. On le sait, dans toutes ces organisations, le personnel est formaté selon la pensée unique de l’orthodoxie monétaire et l’on voit mal un Fonds monétaire européen se comporter différemment de la troïka. Malgré ce qui se passe aujourd’hui encore en Grèce, nombre de fonctionnaires et d’experts internationaux continuent d’ailleurs de défendre les mesures d’austérité et de réduction des dépenses publiques. En Europe, comme dans le reste du globe, le renouvellement des idées et approches économiques n’est toujours pas à l’ordre du jour.