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La prospérité inégalitaire des Etats-Unis

par Akram Belkaïd, Paris

L’Amérique est-elle de plus en plus inégalitaire ? C’est la question légitime que se posent de nombreux économistes au vu des statistiques publiées récemment et qui concernent l’évolution du patrimoine des Américains. A première vue, les choses vont bien puisque leurs avoirs ont progressé de 14% en 2013 pour atteindre le chiffre total, et impressionnant, de 80.664 milliards de dollars. Pour bien comprendre l’importance de cette «fortune» américaine, il faut savoir que le Produit intérieur brut (Pib) mondial annuel, c’est-à-dire la richesse mondiale créée chaque année, est évalué à 75.000 milliards de dollars.
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UNE RICHESSE PEU PARTAGEE
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Mais l’analyse de cette statistique, qui a été très commentée aux Etats-Unis, démontre autre chose. En effet, une partie de ces 80.664 milliards de dollars relève de ce que l’on appelle l’effet richesse, c’est-à-dire qu’elle dépend des conditions et des valorisations du moment. Pour résumer, on se sent riche, parce qu’on possède quelque chose qui a de la valeur à un certain moment même si rien ne dit que cela va persister. Et la conviction quant à cette persistance varie d’un peuple à l’autre, les Américains étant parmi les plus optimistes en ce sens et cela malgré plusieurs crises d’envergure au cours des deux derniers siècles. Dans les faits, ce sont l’immobilier et la Bourse qui dopent la richesse des ménages américains. En 2013, l’indice S&P500, qui regroupe les 500 plus grandes capitalisations américaines, a progressé de 30%. Mieux, depuis le début de l’année, il ne cesse de battre des records en atteignant des niveaux historiques (si la tendance se poursuit, il pourrait atteindre les 1.900 points bientôt voire les 2.000 points d’ici la fin de l’année). Dans le détail, la valeur des portefeuilles boursiers des Américains a augmenté de 5.600 milliards de dollars en 2013. Par ailleurs, le patrimoine immobilier aux Etats-Unis a augmenté de son côté de 2.300 milliards de dollars.

En clair, la crise des subprimes est désormais très loin de même que l’atonie des marchés boursiers après l’éclatement de la bulle internet au début des années 2000. Aujourd’hui, avoir des placements dans la pierre ou en actions est une garantie de richesse aux Etats-Unis. Encore une fois, on pourra relever qu’il s’agit d’éléments variables avec le temps et que la conjoncture peut très bien se retourner (ce qui a été le cas à plusieurs reprises au cours des quarante dernières années) mais le sentiment général voire la conviction générale des Américains est qu’il s’agit bien de richesses tangibles. Mais là n’est pas le plus important. Ce qui compte, c’est que plus des deux tiers des Américains ne profitent guère des booms de l’immobilier et de la Bourse. Salariés, détenant très peu d’épargne liquide et guère plus de titres boursiers, locataires de leurs logements, les ménages concernés sont plutôt pénalisés par une diminution de leur pouvoir d’achat (il a baissé de 15% depuis 2008) et cela dans un contexte où ils sont moins enclins à s’endetter pour consommer. Barack Obama, le président américain, a lui même reconnu que le bien-être des Américains les plus riches ne se diffuse guère dans le reste de la société. Et admis que «l’ascenseur social est en panne aux Etats-Unis».
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LA RICHESSE OUI, MAIS LA CROISSANCE ?
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A terme, si le partage des richesses continue d’être bloqué, c’est la croissance qui risque d’en pâtir. En effet, les deux tiers de l’économie dépendent des dépenses des ménages américains. Dans les années 1990, Alan Greenspan avait trouvé la parade à la baisse du pouvoir d’achat en encourageant l’endettement et l’investissement sur les marchés d’actions. Aujourd’hui, pareille alternative ne pourrait pas avoir les mêmes effets ne serait-ce que parce que la dette des ménages demeure importante. Du coup, il faudra bien que les plus riches acceptent d’investir dans l’économie de façon à ce que cette dernière profite à tous. Un thème qui sera sûrement à l’ordre du jour des élections de mi-mandat en novembre prochain.