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Émergents : l’endettement des groupes privés inquiète

par Akram Belkaïd, Paris

Et si la prochaine crise financière d’envergure venait des pays émergents, ceux-là même dont on affirmait il n’y a pas encore longtemps qu’ils étaient les locomotives de l’économie mondiale ? On le sait, depuis plusieurs mois, la Turquie, l’Argentine, l’Afrique du sud, l’Indonésie, le Brésil et l’Inde, pour ne citer qu’eux, sont confrontés à une fuite des capitaux tandis que leurs monnaies ne cessent de dévisser. L’origine de cette évolution, qui risque à terme de provoquer des défauts de paiements ou, du moins, de graves crises de liquidités, est bien identifiée. En décidant de passer à une politique monétaire plus restrictive, la Réserve fédérale (Fed) américaine a encouragé le retour sur les marchés américains des fonds placés à l’étranger, notamment dans les places émergentes. Avec la probable hausse des taux, les investisseurs estiment en effet qu’il sera plus rentable pour eux de placer leur argent aux Etats-Unis plutôt qu’au Brésil ou en Afrique du sud.
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UN AUTRE RISQUE
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Dans cette optique, les pays émergents tentent de défendre leurs monnaies et sont obligés, eux aussi, de relever leurs taux au risque d’entraver l’activité économique (quand le coût du crédit augmente, les entreprises et les ménages sont moins enclins à emprunter et donc la croissance du Produit intérieur brut en est affectée). Du coup, on assiste actuellement à une guerre des monnaies qui ne dit pas son nom et que les instances internationales comme le G7/G8 ou le G20 sont incapables d’empêcher.

Par ailleurs, un autre problème vient d’être identifié par la Banque des règlements internationaux (BRI). Cette institution internationale (l’une des plus anciennes au monde) dont le siège est à Bâle est, pour schématiser, l’instance de dialogue et de concertation entre les Banques centrales de la planète. Ses rapports concernent souvent la stabilité du système financier global et elle vient de lancer un avertissement concernant l’endettement des entreprises privées dans les pays émergents.

Selon la BRI, l’encours des emprunts obligataires souscrits par ces sociétés atteignait 788 milliards de dollars en 2013. Un montant considérable qui s’explique par l’importante création monétaire aux Etats-Unis.

Aujourd’hui, dans un contexte de chute des monnaies émergentes, les entreprises ayant contracté des prêts en devises étrangères, notamment en dollars, vont être confrontées à une situation des plus difficile. En effet, elles vont devoir rembourser des crédits libellés, par exemple, en dollars alors qu’elles se financent dans des monnaies nationales quisubissent une dévaluation de fait et que, dans le même temps, il leur sera plus difficile de se refinancer en dollars (en raison de la hausse des taux américains). Cela fait courir un risque important de faillite pour ces entreprises et, du même coup, cela met en danger les systèmes bancaires dans les pays émergents. Au début des années 1990, le Mexique avait connu une situation comparable avec des entreprises lourdement endettées en dollars et confrontées à un soudain retournement de la politique monétaire américaine. La situation avait d’ailleurs dégénéré suite à la décision controversée du gouvernement Mexicain de supprimer la parité entre le dollar et le peso ; une décision qui avait aggravé la fuite de capitaux. Une crise connue aujourd’hui sous le nom d’« effet Tequila ».
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LE ROLE DES PLACES OFF-SHORE
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Ces inquiétudes à propos de l’endettement des entreprises privées dans lesplaces émergentesmettent en exergue le rôle que continuent à jouer les paradis fiscaux dans l’économie mondiale. En effet, dans de nombreux pays émergents, les autorités cherchent à limiter l’endettement des entreprises en devises étrangères. Du coup, ces dernières ont recours à leurs filiales basées dans les places off-shore. Ainsi, selon la BRI, la moitié de l’encours obligataire souscrit par des groupes basés dans des pays émergents l’a été via ces places. La preuve que la régulation de système financier international a encore beaucoup de progrès à faire. Peut-être faudra-t-il une nouvelle crise de grande ampleur pour que la question fasse l’objet d’une réglementation plus contraignante…