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Les banques européennes sous surveillance

par Akram Belkaïd, Paris

«Nous devons accepter le fait que certaines banques n’ont pas d’avenir. Nous devons en laisser quelques-unes disparaître de manière ordonnée, et pas forcément essayer de les fusionner avec d’autres institutions ». Ces propos ont été tenus au quotidien Financial Times par Danièle Nouy, la dirigeante du Mécanisme de supervision bancaire européen (MSBE). Une déclaration, on s’en doute, qui a fait couler beaucoup d’encre à l’heure où cette institution est en train de passer en revue la qualité des actifs détenus par les banques européennes (AQR pour « assetqualityreview »). En effet, c’est la première fois qu’un officiel européen laisse entrevoir l’idée qu’un établissement bancaire pourrait être abandonné à son sort, cela dans un contexte où les conséquences de la crise financière de 2008 sont loin d’avoir disparu. Pour mémoire, le MSBE doit assurer la surveillance de quelque 130 banques de la zone euro à partir de novembre prochain, une première étape dans la mise en place de l’Union bancaire européenne.

OPERATION TRANSPARENCE

De nombreux observateurs ont salué la démarche européenne qui consiste à faire la clarté sur un système bien affecté par les turbulences ces dernières années. Pour Danièle Nouy, personne ne sait combien de banques pourraient faire faillite mais le fait même qu’elle en parle démontre que le risque est réel et admis. Du coup, l’impact pourrait être à double tranchant. D’un côté, les investisseurs, notamment ceux hors d’Europe, seront rassurés par cette opération de transparence qui vise, du moins officiellement, à ne rien cacher de la réalité du système bancaire européen. A terme, cela devrait permettre d’augmenter les arrivées de capitaux sur les marchés du vieux continent et renforcer la santé financière des banques. Mais, de l’autre, cela génère de l’inquiétude et des rumeurs circulent déjà à propos de tel ou tel établissement dont le bilan serait « plombé » par des créances douteuses. On en saura certainement plus quand seront publiés les résultats du « stress test », une série de contrôles et de vérifications destinés à vérifier l’aptitude des banques à encaisser des chocs d’ampleurs importantes. En cherchant à gagner la confiance des investisseurs, l’Europe se place donc dans une situation contraignante qui la met devant l’obligation de ne pas éluder les résultats de ses audits.

L’autre question concerne le timing de l’opération. Fallait-il lancer ces contrôles maintenant ou attendre un peu que la conjoncture économique de la zone euro s’améliore ? N’y a-t-il pas un risque pour que les banques, sous surveillance, restreignent leurs financements aux entreprises afin de garder des liquidités et améliorer leurs fonds propres ? Plus important encore, que pourrait-il se passer concrètement si une banque présente de vraies faiblesses. Est-ce au MSBE d’annoncer qu’elle va mal, au risque de précipiter sa chute, alors que l’on a vu que certains établissements pouvaient encaisser des phases difficiles et relancer leur activité. A cela s’ajoute une question fondamentale : que fera le MSBE si, d’aventure, c’est un grand nom de l’industrie bancaire qui est concerné ? Comment faire pour ne pas déclencher une panique bancaire (retraits massifs des particuliers) et engendrer du coup une crise systémique qui toucherait la planète entière ? On le voit, vérifier l’état de santé des banques est, certes, une nécessité et une démarche louable mais cela équivaut aussi à prendre des risques.

OPERATION COMMUNICATION

On peut aussi se demander si tout cela ne relève pas d’une communication savamment organisée. Les propos de Danièle Nouy vont faire certainement plaisir à celles et ceux qui considèrent que les banques ont trop été protégées et qu’il était scandaleux d’en sauver certaines avec de l’argent du contribuable. L’idée que l’industrie bancaire est intouchable car trop importante pour disparaître (le fameux « toobig to fail »). Il est donc plus que probable que toute cette opération soit aussi une manière de dire aux Européens que les banques ne sont plus à l’abri de la réalité économique.