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Marasme à l'université

par Ali Derbala *

« Une vertu que l'on peut exiger d'un «intellectuel professionnel », c'est l'obligation, à lui recommander d'ailleurs instamment, et, s'il le faut, de « nager contre le courant ». Max Weber [1].

Un marasme sévit dans nos universités qui sont classées parmi les dernières du monde. Il est alimenté par l'incompétence de beaucoup de gestionnaires des universités, qui ne sont pas élus par leurs pairs, mais nommés par le MESRS, la non participation des enseignants à la vie universitaire et la faiblesse du niveau des étudiants de l'Education Nationale. Les fractales, la théorie des graphes, l'ordonnancement, la fiabilité, les processus stochastiques, la théorie des nombres, l'analyse mathématique, les EDP, les EDO, le codage-décodage, etc., sont des thématiques de la mathématique moderne. Seulement, les esprits des chercheurs algériens sont « gelés » par de « faux-vrais » ou « vrais-faux » problèmes.

1. De la responsabilité en recherche

La recherche en Algérie a été proclamée d'une grande priorité où un (1) milliard de dollars a été voté et débloqué pour la DGRSDT. Beaucoup d'universitaires croient en une carrière scientifique. La réalité n'est pas exaltante. Le développement d'une crise, la difficulté de gestion des laboratoires de recherche dans les universités scientifiques, a rendu la critique possible [2,3]. Les laboratoires sont régis par le Décret exécutif n° 99-244 du 31 Octobre 1999. Au chapitre III : organisation et fonctionnement et dans son article 13, il est stipulé que : Le directeur du laboratoire de recherche assure la direction scientifique et la gestion financière du laboratoire. Il est ordonnateur des crédits alloués au laboratoire. Il est responsable du bon fonctionnement du laboratoire de recherche et exerce l'autorité hiérarchique sur l'ensemble des personnels de recherche et de soutien affectés au laboratoire.

Tous les pouvoirs administratifs et financiers sont entre les mains d'une Seule personne qui en général ne participe même pas aux activités du laboratoire, la personne du Recteur d'une Université, un enseignant de rang magistral, de même grade que le directeur du laboratoire, qui parfois n'a pas la compétence du même directeur de laboratoire, et aussi parfois il est externe à l'université, nommé par le MESRS et non élu par ses pairs. Il est du devoir de cette institution de recherche d'attribuer des vrais pouvoirs financiers aux directeurs de laboratoires. Il faut libérer les esprits. Laissez les scientifiques réfléchir dans leur tête.

2. Crise dans le milieu scientifique algérien

Elle s'est traduite par la perte de motivation de nombreux chercheurs.

l La recherche est réalisée sous forme de projets CNEPRU, des projets qui marchent convenablement, ne sont pas contraignants et des projets PNR, où nous avons subi les pires désagréments. Les rémunérations des mois de l'année 2012 ne sont même pas encore virées en 2014, sachant qu'une inflation dévoreuse de l'épargne des citoyens est subie en Algérie où un litre de lait en Tetra Pak ou un Tetra BriK aseptique coûte 100 DA !

l Des difficultés pour les soutenances de doctorat par les chercheurs se font signaler dans nos universités. Selon la maxime algérienne « ils sont montés et ils ont enlevé les échelles », les responsables actuels ont eu des grades et des postes mais ne veulent pas de concurrents. En effet, lors de cette fameuse réunion de la CRUC, Conférence Régionale Universitaire Centre, du 09 Décembre 2013, dans le Procès-verbal de la réunion, dans son paragraphe 2 intitulé Soutenance de doctorat et Habilitation universitaire, des débats sur les catégories de journaux scientifiques se sont installés.

 Un responsable de la DGRSDT a donné des informations et des éléments de réflexion afin de mieux guider le chercheur. On peut lire aussi que 251 micro-domaines sont répertoriés dans le Web of sciences qui est un bouquet se trouvant dans Thomson Reuters. Il a donné aussi une catégorisation des revues scientifiques en revues de : catégorie exceptionnelle (type « Nature », « Science »), Catégorie A+, Catégorie A, Catégorie B (Scopus d'Elsevier), Catégorie C (revues avec ISSN et un comité de lecture et visible sur le net), Catégorie D (revues sans comité de lecture avec des abstracts visibles sur le net), catégorie E (Revues ou ouvrages de vulgarisation) et les revues nationales algériennes. A mon avis, cette catégorisation n'est faite que pour « obstruer » la « voie des hauteurs » aux chercheurs. Des répercutions de cette catégorisation de revues se font même sentir rapidement. En effet deux doctorants de notre département de mathématiques n'ont pas encore reçu d'autorisation de soutenance, faute d'existence de la revue où ils ont publié leurs travaux sur le fameux bouquet Thomson Reuters, d'origine américain et capitaliste. La sous commission de mathématique de la CUN 2013 du MESRS, dont sa composante est anonyme, m'a refusé le grade de Professeur bien que je remplis « haut la main » les conditions de passage au grade de professeur [4]. Cette catégorisation des revues est une politique de « Publier ou périr » (de l'anglais « Publish or perish »), une politique récente qui a mis la pression sur les chercheurs du monde et qui sont tombés dans la fraude scientifique.

Une pression sur les chercheurs se renforcera et on arrivera naturellement aux cas de tromperies du biologiste coréen escroc ès clonage, l'immunologiste américain truquant ses souris de laboratoires, du paléontologue japonais maquillant des fossiles, du physicien allemand trafiquant ses courbes d'expérience?[5]. « Il y a apparemment beaucoup plus de tricheurs dans la science qu'autrefois ; c'est aussi qu'il y a beaucoup plus de savants. Une infime minorité d'entre eux plagient les travaux des autres, se les approprient ou falsifient leurs résultats. Seuls d'autres savants peuvent les débusquer ; mais encore faut-il qu'ils soient aidés par la chance » est l'introduction d'un article en Recherche qui s'intitulait, les savants trichent parfois [6].

Que faire des cas de « Professeurs célèbres » où l'impunité de ceux qui sont devenus célèbres par le plagiat et la complaisance et qui sont membres, présidents dans des commissions pédagogiques et de recherches, parfois doyens, chef de département, etc.

La réponse est que : Exigeons de « revoir les nominations » de tous les Maîtres de Conférences-A et Professeurs, une revue des nominations telle qu'elle a été entreprise par les « allemands » lors de la réunification des deux Allemagnes de l'Est et de l'Ouest. On va sûrement découvrir le pot aux roses.

 Il est à remarquer que certaines universités ne disposent même pas de boites de messagerie pour les correspondances officielles de type : «fonctionnaire@univ-VilleUniversitaire.dz ». Un collègue m'a confirmé qu'il a effectué certaines télés-conférences à partir de cybers-cafés. C'est honteux !

3. Qui sont ces chercheurs algériens et quelle est leur compétence? [7]

Dans le même Procès-verbal sus cité, du point b-Recherche du paragraphe 3 intitulé colloque Algéro-Canadien, on peut lire « Il s'agit de redynamiser les projets déjà existants et proposer ensuite de nouveaux projets, en examinant ceux qui ne présentent pas d'obstacles et qui sont réalisables. Le privilège sera donné aux Universités canadiennes impliquant des chercheurs algériens?. ». Je suis très réticent à tout contact avec les « fuyards scientifiques » de cette Algérie qui était « A Feu, à Sang et en Pleurs » dans les années 90 et même avant. Ils étaient « compétents » mais ont laissé la « place grande » à la médiocrité pour s'installer. Beaucoup d'universitaires n'étaient pas réellement menacés mais ils étaient égoïstes. Ils ont préféré leur avenir « financier ». Ils ont fait un choix, ils doivent l'assumer. Si on a quitté l'Algérie en ce moment difficile, on aurait honte d'y revenir plus tard pour reprendre la même activité pédagogico-scientifique. Notre Université est située au Piedmont de l'Atlas Blidéen, à la frontière d'Ouled Yaich, dans la commune de Soumaa et en plein maquis, des noms remarquables et hautement symboliques dans cette « Algérie nouvelle » que des chancelleries étrangères et des chaînes de radio et de télévisions du « monde entier » ont eu à évoquer ou à prononcer au moins une fois dans leur existence. On est resté pour enseigner à nos concitoyens, on n'a pas fui l'Algérie. Nous n'étions pas intéressés par le « billet vert, le dollar » ou la « nationalité » des pays étrangers. L'Algérie pédagogique et scientifique, bien qu'elle soit de « niveau faible » a tenu le coup. Maintenant qu'on a des réserves de change à hauteur de 300 Milliards de dollars, tout le monde se bouscule à nos portes. Nos responsables veulent-ils les côtoyer pour un transfert de savoir ou de technologie qui ne peut pas se faire ou probablement pour transférer des devises à l'étranger dans un cadre bilatéral ? Au Canada, les « séniors » canadiens ou les gens « retraitables », pour éviter des blessures graves telle la fracture du «col du fémur » due aux glissades du « Grand gel » et le « grand froid », préparent leur départ en retraite aux USA dans les deux états de Californie, La Floride, dans les Caraïbes ou en terre sainte de la Palestine, des pays chauds. De nos jours, les canadiens originaires du Maghreb pensent au Maghreb à climat californien. A titre de témoignage personnel, en France, dans les années 90, certains algériens n'osaient pas se présenter en tant que tel mais se présentaient comme marocains ou tunisiens. Beaucoup d'algériens installés à l'étranger ont acquis la nationalité de leur pays de résidence. Les pouvoirs publics vont-ils leur appliquer le nouveau statut fixant les conditions de recrutement des personnels étrangers dans le service de l'Etat algérien, le Décret n°09-272 du 30 août 2009 ? Ce statut leur offre un salaire de base, le quadruple de celui octroyé aux métropolitains et d'autres droits très alléchants. En Algérie, des enseignants meurent d'amertume et de dépit. La stratégie des industries minières de l'Algérie nous incite normalement à collaborer scientifiquement et techniquement avec l'Afrique du sud ou l'Australie. Des pays certes lointains, riches et leurs chercheurs sont réputés dans ce domaine.

Conclusion

Selon Marx : « Nous savons qu'il n'existe de science pure qu'à la condition de la purifier sans cesse, de science libre dans la nécessité de son histoire qu'à la condition de la libérer sans cesse de l'idéologie qui l'occupe, la hante ou la guette. Cette purification, cette libération ne sont acquises qu'au prix d'une incessante lutte contre l'idéologie même» [8].

 Il faut interdire toute « sédentarisation» du personnel des directions des « études » afin d'éviter des scandales récents de type de « gonflement de notes » au département de biologie de l'Université de Annaba. Tous les deux ans, le personnel doit être polyvalent et « roulant ».

* Universitaire

Références :

1. Max Weber. Le savant et le politique suivi de : essai sur la neutralité axiologique.

Enag/Editions 1991, p.222.

2. Ali Derbala. La bureaucratie freine le développement de la recherche scientifique en Algérie. El Watan, rubrique : Idées-débats, Mercredi 17 Juillet 2013, p.22.

http://www.elwatan.com/contributions/la-bureaucratie-freine-le-developpement-de-la-recherchescientifique-en-algerie-17-07-2013-221386_120.php

3. Ali Derbala. Halte à la bureaucratie dans la gestion des laboratoires de recherche en Algérie. El Watan, en deux parties. - Mardi 01 Décembre 2009, Rubrique: Idées-Débats, p.22.

http://www.elwatan.com/Halte-a-la-bureaucratie-dans-la - Mercredi 02 Décembre 2009, http://www.elwatan.com/Halte-a-la-bureaucratie-dansla, 144697 ( http://www.santemaghreb.com/algerie/poivue64.htm )

4. http://www.univ-blida.dz/index.php ?option=com_content&view=

article&id=1939:recherchederbala& catid=197:cv-enseignants-math&Itemid=203

5. Cécille Bonneau. A la une : Fraude scientifique. Quand les scientifiques trichent. Science & Vie, Novembre 2008, pp.56-69.

6. Jean Ferrara. Les savants trichent parfois?Science & Vie, Rubrique : Recherche, N?791, Aout 1983, pp.33-36.

7. Ali Derbala. De l'ingratitude à l'égard des universitaires. El Watan, Samedi 07 Novembre 2009, Rubrique: Idées-Débats, p.23. http://www.elwatan.com/De-l-ingratitude-a-l-egard-des

8. In Hilary Rose, Steven Rose et Jalna Hanmer, Hans-Magnus Enzensberger, Robert Franck, Jean-Marc Lévy-Leblond, Liliane Stéhelin. L'idéologie de/dans la science. Editions du Seuil, 1977, p.28.