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«Breaking the silence» de Yehuda Shaul : «La bête immonde» dans le ventre de l'Etat d'Israël

par Kamel Behidji *

«Nous avons cultivé une plante carnivore qui, lentement, nous dévore» D. Grossman

L'immense tragédie du génocide perpétré par l'Allemagne nazie contre les Juifs durant la 2ème guerre mondiale avec le silence complice voire la participation active de la plupart des pouvoirs occidentaux d'alors, n'aura donc servie à rien. Si ce n'est à être utilisé par les «spin doctors» de l'extrême droite sioniste au pouvoir pour créer cette «méta-peur» dans laquelle baigne la société israélienne pour faire d'Israël un Etat-ghetto juif ? Avec le même silence complice voire la même participation active des pouvoirs occidentaux actuels bien contents de «canaliser» l'immense et perpétuelle douleur ressentie par les Juifs sur les populations arabes et musulmanes elles-mêmes victimes des mêmes pratiques de détestation et de stigmatisation de l'Autre mais «lissées» sur des siècles de colonisation et de massacres. Une canalisation entretenue par une propagande mondialisée et animée par un réseau puissant de médias globalisés et contrôlés par ces mêmes «spin doctors» et qui s'évertue à diaboliser systématiquement ces populations.

ISRAEL UN CORPS SANS AME

«Définir l'Etat d'Israël comme un Etat juif est le début de la fin. Un Etat juif, c'est explosif, c'est de la dynamite » s'insurge Avraham Burg, ancien président démissionnaire de la Knesset et militant depuis du mouvement La Paix Maintenant. Dans un livre qui avait fait l'effet d'une bombe à l'époque (Vaincre Hitler, Fayard 2008) et dans lequel il compare l'état de la société israélienne à l'encontre des Arabes à celui de l'Allemagne lors de la montée du nazisme (Le monde Juin 2007), Burg lançait déjà un avertissement retentissant en déclarant à propos de la loi du retour que celle-ci est «le miroir de l'image d'Hitler» et «je ne veux pas qu'Hitler définisse mon identité» et prédisait qu'il y a, selon lui, «de bonnes chances pour que la prochaine Knesset interdise les relations sexuelles avec les Arabes. Nous sommes déjà morts mais nous ne le savons pas encore. Tout cela ne marche plus». Sa révolte va jusqu'à critiquer son «israélité» en déclarant «Des trois identités qui me constituent ? humaine, juive, israélienne ? je sens que l'élément israélien me dépossède des deux autres» (Haaretz, juin 2007).

COMMENT ETRE JUIF APRES GAZA

Après le massacre systématique et à ciel ouvert des Palestiniens à Gaza durant la sinistre opération «plomb durci», Esther Ben bassa, historienne spécialiste de l'histoire du peuple juif et des minorités et sénatrice de gauche, se demandait dans un livre d'une force humaniste intense intitulé «Etre juif après Gaza» (CNRS Editions 2009) «Comment être juif après l'offensive israélienne contre Gaza ? Mais peut-on cesser d'être juif ? Juif, en tout état de cause, probablement le reste-t-on, si du moins être juif relève d'abord d'une posture fondatrice, celle du regard constant porté sur soi et sur autrui pour établir invariablement la balance entre soi et le monde. À ce Juif-là, Gaza, de toute évidence, lance plus d'un défi». Scandalisée par le silence de la société juive israélienne, Esther Benbassa se demande «En devenant israéliens, ces Juifs ont-ils été frappés d'amnésie jusqu'à oublier les principes premiers de l'éthique, socle de leur être juif ?»

UN SILENCE HONTEUX SUR UN SCANDALE TONITRUANT

Yehuda Shaul est juif orthodoxe, officier de réserve de l'armée israélienne et fondateur de «Breaking The Silence» (briser le silence), une ONG israélienne de vétérans ayant servi dans l'armée depuis le déclenchement de la seconde intifada et qui ont pris sur eux d'exposer au public israélien la réalité de la vie quotidienne dans les territoires occupés. Comme son nom l'indique, cette ONG a choisi de briser le silence sur les conditions d'atrocité ultime et totalement contraires aux droits de l'homme les plus élémentaires que l'armée, soi-disant «la plus éthique du monde», impose à la population palestinienne. Aujourd'hui, les témoignages vérifiés et incontestables de plus de 200 officiers israéliens sur ces atrocités ont été réunis dans ce qui est considéré comme le livre noir de l'occupation des territoires palestiniens par l'armée israélienne dont la tardive version française (Briser le Silence, Editions Autrement 2013) vient tout juste de paraître . Accusés par Netanyahou d'avoir ?osé briser le silence?, Yehuda Shaul s'indigne «Mais quel silence ? C'est un silence honteux sur un scandale tonitruant ! Ils ont tout fait pour nous discréditer. Ils tombaient mal car nous sommes tous d'anciens officiers qui avons vécu ces événements pénibles» (Paris Match, Décembre 2010). Comme l'armée française en Algérie et l'armée américaine au Vietnam et en Irak, l'armée israélienne est en train de perdre à jamais son âme en Palestine. On n'humilie pas impunément un peuple. Et cela, les Juifs d'Israël et du monde entier sont les mieux placés pour le savoir. A lire absolument.

* Enseignant-Chercheur