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Sans l'existence du PPA, le 1er Novembre 1954 aurait-il été possible ?

par  Afif Haouli *

Tous les partis politiques, qu'ils soient nationalistes, islamistes ou laïcs, sacralisent dans leurs programmes les valeurs et les objectifs du 1er Novembre 1954.

De Abdelaziz Belkhadem à Saïd Saâdi, de Hocine Aït Ahmed à Djaballah, de Louisa Hanoun à Soltani, tous les dirigeants des partis politiques reconnaissent la légitimité et la grandeur des valeurs sacrées de Novembre, condensées dans les trois objectifs suivants :

1) un état algérien souverain, démocratique et social, qui ne soit pas en contradiction avec les principes de l'Islam (amendement du CNRA 1957) ;

2) le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de races et de confessions ;

3) réalisation de l'unité nord-africaine dans son cadre naturel arabo-musulman.

Mais tous les partis, excepté un ou deux, font table rase de la genèse du 1er Novembre 1954 et de la continuité nécessaire du mouvement national indépendantiste incarné par l'Etoile Nord Africaine (ENA), le Parti du Peuple Algérien (PPA) et le Mouvement pour le Triomphe des Libertés démocratiques (MTLD). Comment comprendre le 1er Novembre 1954 et respecter ses valeurs, si on ne se réfère pas à son géniteur.

Le 1er Novembre 1954 est-il arrivé par hasard ? Imaginons qu'en 1954, le PPA n'existât pas dans la sphère politique algérienne qui ne serait alors composée que de l'UDMA de Ferhat Abbas, du PCA (Parti Communiste Algérien) et de l'Association des Oulémas. Qu'offraient ces trois organisations au peuple algérien pour se débarrasser du colonialisme ? Avaient-elles une structure armée comme l'Organisation Spéciale (OS) du PPA qui a été à l'origine du déclenchement de la Révolution ? Non, et pour cause, ces trois organisations n'avaient pas pour programme l'indépendance du pays, mais elles militaient pour l'égalité des droits dans le cadre français. Par conséquent, si le PPA n'avait pas existé, l'Algérie serait toujours française et le 1er Novembre 1954 n'aurait pas eu lieu.

En effet, c'est l'existence du PPA et son organisation armée l'OS qu'il a créée en 1947, sept années avant le 1er Novembre 1954, qui a permis le déclenchement de la Révolution pour l'indépendance, objectif revendiqué depuis 1926 par l'ENA, puis par le PPA à partir de sa création en 1937, et enfin par le MTLD à partir de 1947.

S'il y a le moindre doute là-dessus, il serait balayé par la composition des organes de direction de la Révolution connus de tout le monde : les membres du Comité des Neuf dont fait partie le Comité des Six, ceux du Comité des 22 et ceux du groupe de Khraïchia, wilaya de Blida (stage en explosifs août 1954, présidé par Ben Boulaïd), sont tous des militants du PPA. Aucun d'eux n'est membre ni de l'UDMA, ni du PCA, ni de l'Association des Oulémas. Il serait fastidieux dans un article de presse de citer les noms de tous les membres de ces structures qui ont été à la base du 1er Novembre, citons au moins les noms de la structure de direction, à savoir le Comité des Neuf : Aït Ahmed, Ben Bella, Benboulaïd, Benmhidi, Boudiaf, Bitat, Khider, Didouche, Krim (dans l'ordre alphabétique de la langue arabe). En outre, en dehors de la direction et des cadres, tous les militants de base qui ont participé au déclenchement du 1er Novembre ne sont aussi que des militants du PPA, il n'y avait pas un seul militant d'un autre parti ou organisation quelconque.

Enfin, l'importance du PPA n'a pas résidé seulement dans le déclenchement du 1er Novembre : par la suite, durant la Révolution, l'écrasante majorité des cadres civils et militaires furent d'anciens militants du PPA. Ainsi, en 1956, le Congrès de la Soummam était à 100% PPA : Ouamrane, Bentobal, Benmhidi, Zighoud, Abbane, Krim (dans l'ordre alphabétique de la langue arabe). Ce n'est qu'au CNRA de 1957 qu'apparaît un membre de l'Association des Oulémas sur un total de 23 participants dont 17 étaient PPA, soit 75% (1). Cette proportion de 75% PPA et de 1 à 2% Oulémas est restée ainsi jusqu'à la fin de la guerre. La même proportion est constatée aussi au niveau de l'ALN : sur 26 colonels qu'a connus la Révolution, 19 d'entre eux sont PPA, soit 73% PPA, 1 UDMA, 1 Oulémas et 5 sans parti (2).

Ainsi, l'examen des faits historiques démontre que le FLN et l'ALN de la Révolution étaient principalement composés des anciens militants du PPA. Malgré cette évidence, et bien que tous les partis politiques revendiquent les valeurs de Novembre, le programme de la plupart d'entre eux occultent le PPA.

Aussi, doit-on s'interroger sur le motif de cette occultation. La seule explication possible se trouve dans la grosse falsification qui a été enseignée dans les lycées à partir des années 70, dont le texte a été rédigé comme suit : « La vaste prise de conscience politique du peuple algérien a été l'aboutissement naturel de l'action menée par l'Association des Oulémas en Algérie. Ella a constitué en fait la seconde étape qui a fait suite à une prise de conscience intellectuelle et religieuse. Les révolutionnaires algériens ne sont que les fils de cette génération formée à l'école de l'Association des Oulémas et de ses dépendances (cercles) tant en Algérie qu'en France. La guerre de libération elle-même fait partie d'un vaste plan élaboré par les fondateurs de l'Association et les révolutionnaires qui se sont distingués par leur héroïsme au cours de cette guerre ne furent que les dignes fils de l'Association et les exécutants sincères d'un plan sagement établi. » Ce texte est paru dans le livre de troisième année secondaire EL MOKHTAR, pages 287 et 288, sous la plume de Mohamed Tahar Foudhala, préparé et dirigé par l'Inspecteur général Abderrahmane Chibane.

Messieurs Chibane qui occupera plus tard le poste de Président de l'Association des Oulémas et Foudhala, ne se sont pas contentés de louer le rôle éminemment positif des Oulémas, dans l'éducation intellectuelle et religieuse du peuple algérien et dans l'enseignement des valeurs arabo-islamiques, rôle qui a permis d'affermir la prise de conscience nationale, ce que tout le monde lui reconnaît. Non, ces personnalités qui maîtrisent parfaitement notre sainte religion, ses prohibitions et ses interdits, n'ont pas hésité pas à induire en erreur des générations d'algériens en inventant un plan qu'auraient exécuté les moudjahidines pour libérer le pays, sans que ce plan ne soit connu ni des moudjahidines, ni des historiens, et deuxièmement, qualifier les révolutionnaires du FLN/ALN de fils de l'Association des Oulémas, alors que ses adeptes ne représentaient qu'un infime pourcentage dans l'encadrement de la Révolution, comme on l'a démontré plus haut. Les effets néfastes de cette falsification des années 70 sont toujours d'actualité en 2013 : ainsi, tout récemment, le 24 octobre 2013, lors d'un face-à-face télévisé d'Ech Chourouk, un jeune cadre du FLN répétait avec assurance, sûr de lui-même, que les militants du FLN/ALN étaient des élèves de l'Association des Oulémas, répétant ainsi ce qu'il a appris dans les bancs des lycées. Nonobstant les dégâts causés par la falsification historique suscitée, il est très étrange de constater que le FLN, en tant que parti, n'ait pas enseigné à ses militants qu'il a été créé et composé dans une grande majorité par les militants du PPA. Que dire alors des autres partis qui n'ont aucune relation historique avec le PPA ?

Aussi, il est temps pour l'Association des Oulémas, incriminée dans cette grossière falsification de l'histoire, de rétablir elle-même la vérité : cette vénérable association religieuse n'a jamais eu pour vocation de jouer un rôle politique, et de surcroit, d'organiser la lutte armée. Aussi, son rôle et son influence réels devraient être de nouveau revus et définis pour la vérité historique et par la même occasion, enseigner la vérité sur la Révolution et sur l'apport immense politique et organisationnel du PPA.

Par ailleurs, il est important de souligner qu'au plan politique, cette version erronée de l'histoire citée ci-dessus, qui a été enseignée dans les établissements de l'Education nationale, empoisonne les relations entre deux courants politiques qui, pourtant, partagent les mêmes valeurs, à savoir le courant nationaliste authentique et le courant islamiste, elle constitue un frein préjudiciable à l'union nécessaire de ces deux courants pour le salut de la nation.

Enfin, il est connu que la grande majorité des héros de la guerre de libération nationale sont, comme Ben Mhidi, Zabana, Amirouche, Zighoud, Si Mhammed Bougara et des milliers d'autres sont des anciens militants du PPA. Comment sacraliser ces héros et ignorer leur parti, ce n'est pas sincère. Revendiquer les valeurs de Novembre n'est-elle pas tout simplement démagogique et populiste pour gagner la sympathie des algériens ?

* P/ Les Amis du PPA

(1) : « La Crise de 1962 » de Benyoucef Benkhedda (annexe page 132)

(2) : « Le FLN, Mirage et Réalité » de Mohamed Harbi (annexe pages 384 et 385)