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Ouled Djellal - La ville du mouton et du palmier a soif

par Salim Kebbab

Dans une palmeraie comme celle d’Ouled Djellal, les réserves d’eaux souterraines constituent le support  indispensable à la vie humaine, animale et végétale. Cependant, la persistance du manque d’eau dans cette ville et ses provinces, qui dépendent en grande partie de l’agriculture et de l’élevage, hypothéquerait l’avenir de la population locale et de ses deux principales sources de vie.

Depuis quelques années, l’eau se fait rare à Ouled Djellal, deuxième ville de la Wilaya de Biskra. Les puits sont asséchés et l’eau d’irrigation continue cruellement de manquer aux palmiers de la ville. Le phénomène d’assèchement, qui perdure depuis deux décennies, s’est considérablement accru ses deux dernières années mettant en péril le capital phoenicole de cette partie du Ziban occidental. Et si pour cette année, dans certaines régions de la Wilaya on annonce une récolte record, ce n’est malheureusement pas le cas du côté d’Ouled Djellal.

En effet, toutes les palmeraies entourant la ville, notamment celle du village « Deiffel », se trouvent menacées par la pénurie d’eau. Situé à la sortie Est d’Ouled Djellal sur la route menant à Tolga et s’étendant sur plusieurs hectares, l’immense palmeraie de Deiffel est entrain de perdre ses plus beaux palmiers dattiers. La plupart d’entre eux sont entrain de crever et ceux qui s’érigent encore vers le ciel ont un aspect squelettique, quant à la culture maraichère qui florissait aux pieds des hautes grappes, il n’en reste dans cette terre jadis productive que quelques épineux jujubiers parsemés entre les fissures et les crevasses de la glèbe. Fimi le temps des ensemencements et de plantation de jeunes palmiers (Djebbars) qui ont prospéré, notamment durant les années 80 et 90. D’ailleurs, parmi les propriétaires terriens qui depuis les années 2000 et malgré les prémices de la sécheresse, n’ont pas baissé les bras pour continuer le boisement, beaucoup d’entre eux regrettent aujourd’hui leur témérité en voyant le fruit de leurs labeurs s’étioler. Même les anciennes palmeraies, appelées « El Djenna », comme celles de « Lazwadj » et « Lazmar », situées tout près de la vieille ville, qui offraient des palmes vertes et de belles couronnes en plus de plusieurs variétés d’arbres fruitiers (abricotiers, figuiers et grenadiers), sont aujourd’hui dans un état pitoyable. Les propriétaires se plaignent du même problème de la rareté d’eau. Les puits artésiens, desquels jaillissait l’eau à profusion, qui permettaient l’irrigation des terres et servaient parfois à la consommation humaine, sont presque tous taris. Sur plus d’une douzaine de puits datant pour certains des années 30, seuls trois continuent de verser un mince filet d’eau qui permet, à tour de rôle et par rationnement, d’imbiber les parcelles de jardins familiaux et surtout de maintenir les palmiers en vie ; ceci sans tenir compte de la qualité de la récolte.  

Par ailleurs, pour sauver le palmier, certains agriculteurs sont contraints de sectionner plusieurs régimes de dattes (Ardjoun) pour ne laisser que cinq ou six au plus, alors que le même palmier donnait autrefois plus d’une douzaine de régimes. En fait, cette « excision » est une alternative pour épargner la dure épreuve au palmier. La formule usitée par les fellahs est : « mieux vaut sacrifier le ‘’Ärdjoun’’ que la ‘’Nekhla’’ » car pour la poussée et la maturation des régimes de dattes, le palmier nécessite en plus de la forte chaleur, d’énormes quantités d’eau. Au demeurant, on dit souvent que le palmier est un arbre qui a les pieds dans l’eau et la tête hissée au soleil. D’autres paysans, pour pallier au manque d’eau et dans l’espoir de sauvegarder leur parcelle, qui souvent est le seul legs de leurs ancêtres, se sont équipés de pompes motorisées pour puiser les eaux usées. Sans en mesurer le danger, elles sont utilisées pour l’arrosage des plants et l’irrigation des palmiers.

Le dilemme : des palmiers pour la décoration des édifices et des autoroutes

Toutefois, le paroxysme de cette tragédie a été atteint au courant de cette année : il s’agit du phénomène de l’arrachage des palmiers qui est venu s’ajouter à celui de la sécheresse. Ainsi, moyennant une modique somme d’argent, certains propriétaires préfèrent se défaire de leur arbre vénéré au profit des paysagistes qui viennent de trouver, à leur grand bonheur et après l’avoir importé de l’étranger dans un premier temps, une manne dans le palmier local. Les palmiers déracinés seront repiqués dans les grandes villes du pays pour servir de parure aux autoroutes et autres édifices. Il faut reconnaître que face à la sécheresse et n’ayant pas d’autres choix, de plus en plus de Djellalis optent pour cette solution plutôt que voir le dattier, planté par l’arrière grand père, mourir à petit feu. Sur ce sujet, un habitant du quartier la « Zmala » au courant de ce business affirme : « le problème n’est pas dans l’arrachage des palmiers car s’il y avait suffisamment d’eau, les gens auraient planté, parallélement aux palmiers dattiers, des « Djebbars » mâles non productifs qui seront destinés plus tard à la garniture des villes, mais arracher un palmier dattier datant de plus d’un demi-siécle au lieu de le secourir dépasse tout entendemment ! ». Sur un ton ironique, il rajoute : « avec l’eau, on peut même faire pousser des pins maritimes à la place des palmiers qui serviront pour la décoration locale ». En effet, du moment que ses derniers temps le marché de l’embelissement, qui était méconnu dans la  région auparavant, est entrain de prendre de l’ampleur, les pouvoirs publics pourraient songer à structurer ce créneau, pour le moment anarchique. De même, l’avis des spécialistes en phoeniciculture sur le choix de l’espèce et des terres destinées à ce genre de culture sera décisif car le citoyen Algérien, qui côtoie désormais le palmier sur tout le territoire national, est exaspéré par le prix de la datte qui dépasse celui de la banane et du kiwi pour atteindre les 300 DA le kilo et frôle parfois les 600 DA durant le mois de ramadhan. Forcément, personne ne peut accepter cette déraison lorsqu’on sait que le palmier est devenu, prodigieusement, arbre emblématique et que la datte, fruit commun de l’Algérien, proviennent tous les deux de l’immense partie du pays, entre autre d’Ouled Djellal distante de 400 km seulement de « l’embellie » Capitale.

L’étrange assèchement du Ziban occidental

Au fait, les palmiers d’Ouled Djellal constituent avec ceux de la ville de Sidi Khaled, distante d’à peine 7 km, la grande palmeraie du Ziban ouest.  Il faut noter que l’économie des deux conurbations, désormais accolées par leurs palmiers et par l’extension de l’urbanisation constituant ainsi un bâti continu, dépend en grande partie de l’agriculture et de l’élevage. Par conséquence, le manque d’eau qui s’est accentué ses derniers temps hypothéquerait l’avenir de plusieurs familles et de leurs deux principales sources de vie qui sont : le palmier et le mouton.  Pour ce dernier, il n’est pas étonnant que l’habituelle transhumance se fait de plus en plus tôt ses dernières années, ceci à cause du tarissement des points d’eaux servant à l’abreuvement des troupeaux et de l’aridité des zones de paturage due au manque de précipitations. Aussi, le retour au bercail des éleveurs se fait, à son tour, tardivement, tandis que d’autres se sont sédentarisés avec leurs familles dans les Wilayas des hauts-plateaux, plus au moins clémentes pour leur ressource.

Cet asséchement pousse les habitants des deux Daîras, dont la population avoisine les cent mille habitants, à supposer un problème hors du commun ou spécifique à la région. Étrangement, ils se demandent comment se fait-il qu’à une vingtaine de kilomètres l’eau coule à flots et que près de la ville, le déficit hydrique persiste depuis des années. D’autres citoyens s’interrogent, toujours de manière aussi curieuse, est-ce l’urbanisation en constante augmentation, pompant une grande quantité d’eau, qui a accéléré la dégradation des plantations en les assoiffant, ou est-ce l’anarchie qui permet pour tout particulier de creuser librement des puits dans ses terres ou bien encore s’agit-il d’un phénomène hydrogéologique lié à des forages chaotiques pratiqués en amont de la région qui auraient vu les sources souterraines dévier de leur chemin habituel ? Sur ce dernier point, un habitant du faubourg « Sidi Attallah », étudiant en géologie dira: « ce problème nécessite une expertise hydrogéologique afin d’évaluer les changements enregistrés dans la région durant les vingt dernières années. De là, on pourra soit corriger la faille ou prévoir des solutions telle que la construction d’un mini-barrage ».

Polémique autour de Oued Djedi

Dans un autre registre, il est connu de tradition que c’est la crue de Oued Djedi (un des plus longs en Algérie) qui alimente les puits d’Ouled Djellal et de Sidi Khaled. Longeant le versant Sud des deux cités et passant à quelques mètres du mausolé de Sidi Khaled et de la tombe de la légendaire « Hiziya », le débordement de Oued Djedi sur les lisières des champs est décrit par la population locale comme un cadeau providentiel. Malheureusement, la montée des eaux de Oued Djedi et de son affluent Oued El Assel se fait de plus en plus rares ses derniers temps. Un octogénaire, ancien agriculteur, affirme à ce sujet : « bien qu’elles soient bénéfiques pour l’agriculture mais les rares pluies qui tombent à Ouled Djellal ne sont pas d’une grande utilité pour le palmier ». Effectivement, autrefois les Djellalis se réjouissaient des échos annoncant les averses à Laghouat car c’est là que Oued Djedi prend naissance, et avant même son arrivée à Ouled Djellal, au bout de deux ou trois jours, les gens s’empressaient à replanter puisqu’une bonne récolte leur était déjà assurée. Amplifiant les nombreuses suppositions et rajourant de la polémique comme si la nature n’était pas la seule cause, des fellahs rencontrés dans la palmeraie de Chaâoua, jouxtant cet Oued, avancent que la retenue des eaux de ce cours, qui aurait vu la construction d’une digue à Laghouat, non loin de Oued M’zi (origine de Oued Djedi), est la source du problème. Pour eux, cela a tiré d’affaire les agriculteurs de la région de Laghouat mais a compliqué davantage la situation des fellahs de la Wilaya de Biskra.

A titre d’information, les Oueds du nord Saharien sont des cours à régime hydrologique très irréguliers et demeurent parfois à secs durant une longue période de l’année ; néanmoins lorsqu’ils s’animent, ils drainent des millions de mètres cube d’eau issus des précipitations qui s’abattent sur les hauts-plateaux et l’atlas saharien. La crue « périodique » de ses cours, bien qu’elle soit redoutée par les habitués du sahara et parfois dévastatrice pour l’agriculture saharienne, elle est en revanche d’un grand apport pour cette dernière car elle remplit les nappes phrréatiques de tous les champs traversés par l’Oued. Dans certaines localités, une partie du fort débit de l’Oued est récupérée au moyen de canalisations, ce qui permet aux paysans de disposer d’un excedent d’eau couvrant leur besoin en eau en attendant la prochaine crue. Malheureusement, à Ouled Djellal, le long canal construit en béton armé durant les années 40, qui permettait la récupération des eaux de Oued El Assel et qui traversait la ville d’Ouest en Est, a été stipudement et d’une manière irréfléchie supprimé (bitumé). C’était au début des années 90 et vraisemblablement cela venait de marquer le début de l’asséchement. Les Djellalis sont unanimes pour dire que ce canal, qu’ils appellent « Esseil », et qui faisait en même temps partie du décor de la ville de par ses nombreuses ramifications à l’intérieur des quartiers de la ville avait énormément contribué dans la prospérité agricole de la ville qui, déplorablement, s’est déclinée après sa suppression. Et dire qu’à 20 km plus loin, plus exactement à Doucen, l’agriculture, autrefois limitée à la culture de la citrouille, se déploie et approvisionne aujourd’hui plusieurs villes du nord en fruits et légumes ceci grâce aux constructions de nombreux bassins d’eau. Situé àu pied de l’atlas saharien à 20 km seulement d’Ouled Djellal et à la faveur d’une bonne gestion de l’eau d’irrigation ainsi que la mise en place d’infrastructures permettant le puisage (jusqu’à 600 métres de profondeur), la retenue et l’acheminement des eaux, l’immense plaine de Doucen a vu le développement de la plasticulture et même de l’élevage bovin, alors que juste à côté, dans la ville du mouton et du palmier par excellence, c’est la période des vaches maigres qui se perpétue ! Il faut aussi reconnaitre dans cette plénitude, que les Doucenis, appelés localement les « Bouazid », sont réputés pour être des travailleurs acharnés et d’excellents fellahs de père en fils.

Concernant l’eau de consommation où le manque est moindre par rapport à celui de l’irrigation, bien qu’elle soit fournie à la collectivité à titre forfaitaire (600 DA/ trimestre), il n’en demeure pas moins que cette eau acheminée de Bir Naâm (40 km au nord de la ville) soit contestée à cause de son désagréable goût, ceci en plus d’être rationnée à raison de trois fois par semaine, pendant quatre heures au plus. Cela contraint les citoyens à recourir soit aux camions citernes qui proposent le flot à 400  DA le m3, soit à s’approvisionner des sources naturelles de « Nefaidha » alignées à l’Ouest de Sidi Khaled, sur la route de Djelfa. Cependant, les foyers disposent aussi d’une autre eau, seulement, elle est non buvable. Saumâtre et chaude, puisée depuis les années 70 d’un profond sondage situé près de l’ancien aérodrome de la ville, cette eau est réservée aux besoins des ménages évitant ainsi aux Djellalis le recours au chauffe-bain. Toutefois, soucieux de leurs palmiers, les résidants du populeux quartier ‘‘Älb El Gharbi’’, estiment que cette eau, intarissable, pourrait être refroidie et traitée, pour être destinée par la suite à l’irrigation des champs. A signaler que pour palier au récurrent problème de l’eau de consommation, Ouled Djellal vient de réceptionner, ses derniers jours, de la Wilaya de Biskra un grand projet d’alimentation de la ville en eau potable ; nonobstant, il est navrant que pour l’eau d’irrigation, on ne semble pas s’empresser de régler le laborieux problème, lorqu’on sait que le Djellali tient toujours au précepte « ancestral » qui lui rappelle : « tochrob Ennekhla, kbal ma nochrob ana ».

La population s’en remet aux hautes autorités de l’Etat

Pour mettre fin à ce désastre, les Djellalis, dont la majorité sont propriétaires de palmiers, lancent un cri de détresse en direction des autorités de la Wilaya de Biskra pour une intervention rapide des services concernés afin d’y remédier au drame et sauver ainsi leurs palmiers et leur cheptel. Ceci est d’autant plus urgent pour une Wilaya qui, paradoxalement, enregistre une des meilleures performances agricoles à l’échelle nationale, dépassant même la fertile Mitidja, hélas bien bétonnée. Mais d’après un élu de l’APC d’Ouled Djellal, le problème de l’eau d’irrigation nécessite un grand projet, celà dépasse le budget de la Wilaya qui fait face au même problème dans le Ziban oriental. En fait, au rythme de cette sécheresse et de cette détresse et à moins d’une intervention de l’Etat, tout est à craindre que d’ici peu les palmeraies d’Ouled Djellal et de Sidi Khaled disparaitront à jamais. Sur ce dernier point, il faut reconnaître que si l’Etat a octroyé des aides substantiels aux jeunes fellahs et éleveurs de la région, il est tout à fait logique qu’en l’absence de la source vitale, ses aides ne serviront à rien. En tout cas, lors de la visite de l’ex Ministre de l’agriculture à Ouled Djellal, au mois de mars dernier, pour l’inauguration du salon du mouton, de nombreux éleveurs et agriculteurs lui ont exposé le problème du manque d’eau de l’irrigation et de l’abreuvement du cheptel. Par malchance, celui qui est à l’origine du renouveau agricole vient d’être remercié ; tout est à espérer que sur cette lancée, le nouveau Ministre se penchera sur ce dossier, voire même en fera une de ses priorités car la région du palmier et du mouton en vaut sérieusement la peine !

Pour raccorder l’agriculture à l’élevage et à titre de rappel, on désignait autrefois Ouled Djellal par « Bled Ennekhla Wa Errekhla : c’est-à-dire pays du palmier et de l’agnelle ». Cette appellation vient du fait qu’elle soit proche de la Reine des Zibans, fief du palmier, dont elle a toujours dépendu administrativement mais aussi de la réputée race ovine élevée dans les anciennes provinces d’Ouled Djellal, notamment Ras El Miâad, Besbes et Chaiba (aujourd’hui communes limitrophes des Wilayas de Djelfa, Laghouat et M’sila). Gravitant autour de ses quatre Wilayas, la région d’Ouled Djellal a tirée sa réputation et ses habitudes, à la fois, du célèbre palmier de Biskra et de son renommé mouton mis bas par l’infatigable brebis dans les vastes parcours steppiques de Djelfa, Laghouat et M’sila.

Enfin,  pour le fruit et sa préservation, puisque la saison des récoltes commencera d’ici quelques jours, les spécialistes de la datte et de son goût, nous diront que les dattes d’Ouled Djellal bien qu’elles soient petites et médiocres d’aspect, elles sont de loin meilleures (plus sucrées) sur le plan gustatif que celles de Tolga qui, bien évidemment, l’emportent sur le plan calibre, couleur, transparence et esthétique des rameaux, d’où d’ailleurs elles tirent l’illuminée appellation de Deglet « Nour ». Toutefois, sans cette sécheresse qui menace la datte d’Ouled Djellal, cette dernière aurait pu, à l’instar du mouton de la ville, avoir un « label » bien sucré ; mais il est vrai que même en temps normal, les goûts et les couleurs ne se discutent pas !