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Lecture en Algérie, dites-vous ?

par Mohammed Guétarni*

Le monde musulman a connu une période culturelle universelle faste en réponse à l'injonction coranique «LIS» en tant que premier terme-jonction entre Ciel et Terre.

Ce Commandement divin a modifié la société koraïchite par un nouveau mode de spiritualité prônant, à la fois, Foi et Savoir. La situation géographique du monde arabe, notamment méditerranéenne, et sa nouvelle religion ont permis à sa civilisation et sa culture de rayonner sur tout le bassin de la Méditerranée pendant que l'Europe du Moyen Âge (9ème-15ème siècle) croupissait dans l'ignorance et l'obscurantisme. Des dynasties entières ont veillé scrupuleusement sur le maintien de ce patrimoine prégnant et son développement des siècles durant, particulièrement sous le règne de Haroun Rachid, El Ma'moun et bien d'autres princes-philosophes. Le Savoir était considéré, alors, comme la deuxième religion après l'Islam. Il avait sa place, d'abord, dans les cœurs des gouvernants et, par suite, dans ceux des communs des Musulmans. Ce qui a permis à l'Islam de connaître ses siècles des Lumières. Il a démontré scientifiquement que le chemin du Savoir est la voie meilleure qui mène vers la prospérité morale et matérielle ; temporelle et spirituelle.

La notion de culture dans la nation de «Iqra'», aujourd'hui

La culture est une fonction de l'esprit. Sous nos cieux, règne, aujourd'hui, une crasse ignorance et un retour rompant à une gentilité postislamique. L'intelligentsia nationale, en tant que véritable courroie de transmission culturelle fiable et viable, est mise en rupture de ban, vit en rade du pouvoir. Elle est sciemment exclue des grandes décisions inhérentes à la ?'Oumma.'' Le pouvoir préfère s'accommoder au conformisme plutôt qu'à l'esprit cartésien et moins encore, à l'esprit critique. A notre ère et dans notre aire, le divorce Pouvoir/Savoir est consommé depuis des lustres. Ils ne font plus bon ménage comme au temps de ces califes-philosophes. L'Algérie continue à faire du surplace cinquante ans après son Indépendance au lieu d'évoluer. La pensée idéologique prime (voire brime) la pensée scientifique. Ce qui a conduit à l'actuel obscurantisme temporel, spirituel, politique et culturel qui a pollué la vie sociale et dont souffre la nation.

Le hiatus abyssal entre les hommes du Pouvoir et ceux du Savoir n'a pas cessé de lézarder la société et fissurer le Moi national. N'importe qui peut devenir n'importe quoi jusque dans les hautes sphères de l'État (parlement, Sénat ?). Ce qui a engendré la perte de l'essentiel de nos repères arabo-islamiques, voire les valeurs humaines. Le pouvoir a ouvert la voie à la médiocrité sans science ni conscience ; ni Raison ni Sagesse. Une pareille situation mène droit vers une ?'dégénérescence scientifique'' et assure l'impossible édification d'une société équilibrée, saine, savante et cultivée avec des repères scientifiques clairement définis.

La culture est le premier besoin après le pain

La lecture, dans notre pays, devient-elle une option de classes ? Le livre a-t-il cessé d'être le meilleur compagnon pour nos enfants? Ont-ils perdu définitivement le goût de lire ? En tout état de cause, le livre a perdu de sa valeur. Il n'est plus ?'le riche terreau'' de la culture. Il s'est vidé de son ?'humus intellectuel'' en perdant, chaque jour davantage, du terrain face aux gadgets électroniques tels que l'internet, le SMS, la TV? qui abrutissent plus qu'ils n'instruisent. Les jeunes n'ont plus de temps à consacrer à la lecture comme au bon vieux temps. Pourtant, les bibliothèques (scolaires, municipales, universitaires, nationales ? au nombre de 120 dans le pays) existent encore. Mais sont-elles suffisamment bien fournies et variées à même d'intéresser es lecteurs ? Même si ces établissements de lecture sont fonctionnels, il manque, néanmoins, une véritable pédagogie pour inciter l'Algérien à la lecture. L'une des raisons est la cherté du livre qui est devenu inaccessible parce qu'il n'est plus subventionné. D'autre part, le monde étant soumis à la matière : ?'on vit de bonne soupe et non de bonne lecture.''

Vive le livre ?

La lecture vit-elle une crise réelle dans notre pays ? Selon le Directeur de la Bibliothèque Nationale, «Dire que les Algériens boudent le livre est incorrecte, il y a plutôt une absence des signes extérieurs de la lecture». Certes, nous ne réfutons pas l'allégation de ce responsable. Il est bien placé pour le savoir. Cependant, force est de constater que la lecture ne fait plus partie des bonnes mœurs chez nos compatriotes. Si les bibliothèques connaissent un afflux particulier durant les périodes de pointe telles que les vacances d'hiver et/ou de printemps, c'est par nécessité en ce que les élèves préparent leurs examens (6ème, BEF, Baccalauréat ?). Autrement dit, ce n'est pas par habitude purement intellectuelle. Au contraire, c'est pour un besoin intéressé. Sitôt les examens obtenus, les élèves tournent le dos aux bibliothèques.

Nonobstant, rien ne dispense le Ministère de la Culture à revoir et corriger sa feuille de route pour, non seulement (ré) instaurer mais, en sus, de booster et conforter les assises de la lecture, donc, de la culture dans notre pays. Ceci ne peut se réaliser sans le précieux concours, à la fois, des ministères de l'Éducation et de l'Enseignement Supérieur appuyés, en cela, par les médias au moyen de spots publicitaires à même de sensibiliser les lecteurs potentiels sur les bienfaits de la lecture et, donc, à reprendre le livre. L'école algérienne, sérieusement éprouvée, peine, aujourd'hui, à apprendre à lire aux jeunes générations, en dépit des budgets colossaux, voire pharaoniques qui lui sont alloués. Elle est dirigée par des responsables qui manquent de visions stratégiques à moyen et long termes. Les réformes à répétition annihilent le goût à la lecture. Il est clair que trop de réformes nuisent à la bonne santé de notre Enseignement. Le climat culturel est menacé pour le pays aujourd'hui plus qu'hier. De quoi sera fait demain ? Seul l'avenir le dira. Élèves et étudiants sont psychologiquement affectés par un défaitisme chronique à même de les décourager non seulement à la lecture, voire même à l'acquisition du savoir, en général. Les Autorités politiques ont une lourde responsabilité en ce qu'ils déconsidèrent le détendeur du savoir, négligent l'intellectuel, le traitent avec dédain, le méprisent et refusent de voir en lui le ciment pour une bonne cohésion sociale. Elles favorisent, plus tôt, le maintien et la promotion de la ??médiocrité'' pour des raisons absconses. « Pour éviter toute opposition dans les assemblées, on a fini par ne plus y admettre que les cancres. »

Le Savoir est une prescription acquisitive

Le Savoir est une prescription acquisitive pour toute nation, particulièrement la nôtre. Il est supposé être la voie royale qui mène vers les honneurs et les honorabilités ; c'est-à-dire vers des postes de pouvoir mais ? un pouvoir moralisé et rationnel ; un pouvoir où les idées s'assemblent même si elles ne se ressemblent pas au profit d'un meilleur développement national ; un pouvoir où seuls les méritants intellectuellement et les vertueux moralement sont hissés vers les hautes fonctions de l'État et de l'Administration; un pouvoir où règne la Raison et l'Intelligence nationale, la Vertu sociale et non le pouvoir immoral de la ?'chkara. C'est pourquoi, le pouvoir actuel est mis en cause. Notre société n'ose même plus rêver ni espérer tant ?'l'ascenseur moral'' est sérieusement grippé. Une bonne société ne se construit que sur la base du Savoir, la Justice et la Morale. Les pays du ?'G8'' sont riches par leur savoir en tant que richesse pérenne. Il est clair que les nations qui relèguent le Savoir, la Justice et la Morale au dernier rang, comme la nôtre, et ne suivent pas la marche de la civilisation moderne, finiront par être reléguées aux vieilleries folkloriques parce qu'elles ont refusé de s'ouvrir au savoir et forcer les portes de l'intelligence. Si l'ascenseur du Savoir monte dans certains pays émergents (Inde, Brésil, Chine?), il ne cesse de descendre. Depuis plus de cinq (05) siècles, la nation de « Iqra' » n'a pas contribué à la technologie moderne. Elle n'a rien inventé ni avion, ni train, ni voiture, ni ordinateur, ni téléphone (fixe/portable), ni internet et ? que sais-je encore ?

Certes, il faut acquérir le Savoir mais, aussi, faut-il le quérir là où il se trouve même dans les régions les plus éloignées telle que la Chine, comme le disait le Saint Prophète (QSSSL). Quinze (15) siècles après, le temps Lui donne plus que jamais raison. Dans ces contrées, le savoir coule à flot : Inde, Chine, Japon, Corée du Sud ?. Dans les nôtres, c'est le sang fratricide qui coule à flot (Égypte, Syrie, Yémen, Tunisie, Bahreïn, Soudan et ? que sais-je encore ?). L'ignorance est le premier ennemi de l'homme qu'il faut combattre sans répit. Elle entraine les misères morale et matérielle. Voilà pourquoi le Coran somme les Musulmans à lire (Iqra'), donc à apprendre, à avancer, à évoluer, à progresser, à s'instruire, à se perfectionner chaque jour davantage.

En Algérie, la lecture sous perfusion ?

Hélas, la culture (entendons la lecture), chez nous, est à l'agonie en raison de l'érosion du système éducatif. Une arabisation effrénée a provoqué l'affaissement de l'enseignement devant lequel nous assistons impuissants face à ses ravages, auquel cas, faut-il ajouter son enjeu politique. Ce dernier a mis à mort la notion du savoir au lieu et place de garder les anciens établissements franco-musulmans, à titre d'exemple, en tant que dignes héritiers des Médersas qui ont formé des intellectuels révolutionnaires durant l'époque coloniale. Les deux langues, l'arabe et le français, coexistant dans le même espace algérien, auraient donné, pour résultats, une synergie intellectuelle telle que ses retombées seraient bénéfiques : un niveau d'enseignement performant tout en maintenant, bien sûr, la primauté de l'arabe en tant que langue nationale et officielle du pays. Ce système d'enseignement performant a été troqué contre certaines réformes étrangères inopérantes parce qu'inappropriées à notre environnement socioculturel. C'est juste pour faire bonne figure vis-à-vis l'Occident. Mondialisation (culturelle) oblige.

Tout le monde s'accorde à reconnaître la faillite de la grande lecture, d'abord, au sein même du système scolaire (tous paliers confondus) puis dans la société, en général. Il n'y a aucune épreuve d'examen, durant le cursus scolaire, qui oblige, incite et/ou encourage l'apprenant à contracter cette bonne habitude de lire depuis sa tendre jeunesse. Les informations recherchées sont prêtes à la consommation via internet. Peu d'Algériens lisent les livres (ouvrages en tous genres). Les bibliothèques sont en passe à se transformer en charniers de livres rangés sur les étagères. Rien ni personne n'oblige l'élève à lire. C'est dire que la culture, en Algérie, s'est éraillée à telle enseigne qu'elle menace de s'effondrer. Le retour de la lecture est tributaire d'une profonde et urgente refonte de la politique culturelle pratiquée, actuellement, par le pouvoir central. Autrement formulé, l'école se doit de revenir au système d'élite et l'université au système modulaire d'antan. De même qu'il faut cesser la massification de l'université qui a pour seule mission de garantir le diplôme sans la formation requise. Revoir et revisiter le statut de l'intellectuel en tant que principale courroie de distribution du savoir dans la société si on veut rattraper le concert des nations nanties et se guérir du cancer des nations faibles et inutiles. Ceci peut se réaliser mais si, et seulement si, on veut que l'université algérienne redevienne le sanctuaire du Savoir.

La lecture reste le meilleur antidote contre l'immobilisme social. Elle sert de carburant dynamogénique à même de propulser la société vers les cimes de l'évolution et du développement. Lire, c'est savoir écrire, disent les pédagogues. Moins on lit et mal on écrit. D'où, penser à une nouvelle réforme (qui sera la dernière, je l'espère) à encourager l'Algérien à lire et pas seulement l'apprenant (élève et étudiant). « Apprenez du berceau au tombeau.» Tel est le Commandement du Saint Prophète (QSSSL).

«Le pain nourrit le corps, la lecture nourrit l'esprit.»

 Cette maxime souligne bien l'importance de la lecture. Malheureusement, cette activité spirituelle est mise à mal chez nous en ce XXI° siècle, notamment, chez les jeunes qui lisent de moins en moins, sinon plus du tout. Cette baisse s'explique, en partie, par l'invention des consoles de jeux, auxquelles d'adonne, à cœur joie, la jeunesse. Elle n'a plus le temps à consacrer à la grande lecture comme par le passé. Il est clair que si un jeune devait choisir entre sa console de jeu et son livre, il ne serait point embarrassé dans son choix. Il est vite fixé. Ce véritable effondrement de la lecture chez la jeunesse -que ce soit des romans, livres historiques ou autres- a pour corollaire une chute vertigineuse du niveau culturel, d'une part. D'autre part, la compétence linguistique telle que le niveau de langue (vocabulaire, orthographe, grammaire, conjugaison?) reste en constante régression.

Une étude menée par le Centre Mondial du Consulting et de Perspective est éloquente par ses chiffres. Elle indique que le taux de lecteurs parmi la population globale algérienne est d'environ 6%. Ce qui montre, on ne peut plus clair, que nos compatriotes se désintéressent de la lecture et, par la même, explique la réduction du nombre des bibliothèques passant de 180 en 2008 à 120 actuellement.

Les ouvrages littéraires et historiques sont plus prisés que d'autres, notamment chez les lycéens et étudiants dont le taux de lecteurs avoisine les 30% de la population scolaire. Pour les lecteurs occasionnels, il s'agit de la lecture, notamment, des journaux, magazines, voire la lecture électronique (internet). Cependant, si les parents lettrés ne lisent pas, ils ne peuvent convaincre ni forcer leur progéniture à contracter cette habitude fortement recommandée tant par le spirituel que par le temporel.

En conclusion, la lecture est le fer

de lance de la culture. Celle-ci est ordonnée spirituellement par L'Omniscient. Si la société algérienne s'obstine dans son refus de lire, c'est qu'elle n'obéit plus à l'ordre divin. Dans ce cas, elle ne peut que développer son sous-développement intellectuel qui est une promesse de sa régression tant morale que matérielle. L'école doit servir de socle à l'apprentissage de la lecture. Ayant pris l'habitude de lire dès la tendre jeunesse, l'esprit du lecteur refuse, par lui-même, de souffrir l'inanité intellectuelle. Notre vœu est que les pouvoirs publics procèdent à une véritable « pérestroïka » algérienne à même de réorganiser le système socioéducatif national dans l'unique but de changer les mentalités dans le sens de l'efficacité, donc, de l'évolution sociale. A commencer par reconsidérer les intellectuels en tant que ?'dignes héritiers des Prophètes,'' selon le Hadith avéré de notre Apôtre. Mais ça, c'est ? une autre politique.

* Docteur ès Lettres Maître de Conférences Université de Chlef.