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Quand la Fed surprend les marchés

par Akram Belkaïd, Paris

La Réserve fédérale américaine serait-elle devenue une adepte du contre-pied ? La semaine dernière, les marchés et la majorité des observateurs s’attendaient à ce qu’elle augmente ses taux et qu’elle mette fin à sa politique de soutien actif à l’économie américaine (Quantitative easing ou QE) en cessant progressivement ses achats de Bons du Trésor à long terme et de titres hypothécaires. Or, le dernier Comité de politique monétaire (FOMC) a décidé de ne rien en faire en maintenant son taux directeur au plus bas (il est de 0,25%) et en injectant chaque mois 85 milliards de dollars dans les circuits financiers.

Le «QE» est maintenu

La nouvelle a été saluée par les marchés mais aussi par les capitales émergentes confrontées à une fuite de capitaux vers les Etats-Unis (si la Banque centrale américaine remonte ses taux, placer son argent sur les marchés étasuniens sera plus rentable). Pour se justifier, la Fed – qui doit changer de président en 2014 (Janet Yellen, vice-présidente de l’institution est annoncée pour succéder à Ben Bernanke) - a estimé que la reprise de l’économie américaine reste encore fragile et qu’elle nécessite le maintien de son soutien. Un avis que confortent les chiffres de conjoncture puisque si la croissance du Produit intérieur brut (PIB) est de retour, le chômage peine à diminuer ce qui place les Etats-Unis dans la situation inconfortable de la «jobless recovery» soit la reprise sans emplois nouveaux. La Fed a d’ailleurs abaissé ses prévisions de croissance pour 2013 et 2014 ce qui laisse présager d’un maintien plus long que prévu du Quantitative easing, une politique d’intervention monétaire dite «non-orthodoxe» (jusqu’en 2012, l’approche habituelle excluait qu’une Banque centrale rachète la dette de son propre pays ce qui, in fine, revient à faire fonctionner la planche à billet).
 
Mais la bonne surprise passée, des critiques se sont fait entendre. Plusieurs experts ont regretté ce qu’ils qualifient de laxisme de la Fed. Pour eux, il est temps que la Banque centrale américaine mette fin à cette période «d’argent gratuit» dont les conséquences pourraient être catastrophiques à terme. En effet, avec cette abondance de liquidités, il y aurait au moins trois bulles en formation : dans l’immobilier, sur le marché des actions et sur celui des Bons du Trésor (treasuries). Et qui dit bulle dit, au final, éclatement et donc nouvelle crise. Car en se gardant de resserrer le marché du crédit, la Fed serait finalement fidèle à sa réputation grandissante de «serial bulber», comprendre un provocateur de bulles en série, la première ayant été celle des marchés d’actions et des valeurs internet il y a une quinzaine d’années.

La Fed n’a que faire des anticipations

Si ces critiques sont recevables et même nécessaires, d’autres sont pour le moins étonnantes. Ainsi, de nombreux acteurs du marché ont reproché à la Fed son «manque de sérieux» pour n’avoir pas adopté la position largement anticipée par le marché. Donc, et à suivre ce raisonnement, il aurait fallu que la Réserve fédérale augmente ses taux parce que le marché en était persuadé… Voilà qui redéfinirait les règles de cette institution, cette dernière s’obligeant à respecter les anticipations des investisseurs. En réalité, il n’est nulle question de crédibilité dans cette affaire car il est bon que le marché soit confronté à quelques surprises de temps à autre. Et il est aussi  bon pour lui de se rappeler qu’une anticipation n’est rien d’autre qu’un pari plus ou moins risqué.