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Mostaganem, une des expressions citadines de la ville

par Farouk Zahi

Il est rarement ressenti ailleurs qu’à Mostaganem, cet agréable sentiment de mieux-être au premier abord de cette chaleureuse ville des mimosas. Que l’on vienne par la côte, en empruntant la pittoresque  route nationale 11 qui vient de Ténès, ou celle des profondeurs du Sersou,  le plaisir de la découverte est presque identique.

A Sidi Lakhdar à une cinquan taine de kilomètre à l’est, la  pinède verdoyante dégringole pour avoir le pied dans l’eau à Ain Brahim assoupie après le départ des derniers estivants. Proprette, la cité de Sidi Lakhdar est un modèle de rectitude et d’ombrage. Le nouveau tissu urbain n’a rien à envier au bâti colonial, il n’a fait que le valoriser encore. La polyclinique ouverte à une heure indue (12h30) délivrait des soins sans discontinuer. Le Dr Boudaoud, jeune médecin et ses collaborateurs, affables et avenants, exerçaient leur art dans le calme. La pharmacie de ville, tenue par 2 jeunes dames est feutrée. La carte magnétique présentée par le patient, est prestement introduite dans le pc et le miracle électronique fut ! Le médicament est délivré sur le champ pour un assuré social qui venait de très loin. L’Etat social, trouve dans ce geste, apparemment anodin, toute sa plénitude.

La route aux abords immédiats de Murustaga, ancienne appellation du comptoir phénicien, fait l’objet de grands travaux d’élargissement et éventuellement de dédoublement futur. La ville est annoncée dès l’agglomération de Kharouba où le nouveau campus universitaire s’étend à perte de vue. La faculté de médecine flambant neuve et le chantier de construction du nouvel hôpital-universitaire augurent de meilleurs soins de santé, pour l’avenir. L’accès à la ville pourra se faire à partir de la pêcherie et de là au centre de la  ville moderne ou sur les hauteurs dans le quartier mythique de Tijdit. Ce toponyme à consonance berbère, évoquerait le sable ou la sablière selon toute vraisemblance. La cité n’a-t-elle pas été successivement, le fief zénète de la tribu des Maghraoua et autres Mérinides ? Situé sur la rive droite de oued l’Ain Sefra, cette ville dans la ville est l’ancien noyau urbain de la capitale du Dahra. Il abritait les communautés, tant arabe, que juive, turque et koulougli. Plusieurs vieilles mosquées et une synagogue s’y trouvent, preuve d’une cohabitation pacifique en cette terre d’Islam. Si Maâzouz El Bahri mystique berbère médiéval  y a élu domicile  dans un mausolée qui lui est dédié. Kadous El Meddah, comme son nom l’indique, a été de tout temps, le lieu de rencontre des poètes et autres bardes du terroir. Mémoire populaire s’il en était, ces joutes poétiques rappelaient à la plèbe ses magnificences et ses gloires d’antan. La célèbre zaouia «Alaouia» érigée, au Xè siècle, par Cheikh Al Alaoui le novateur de la tariqa (rite) «Darkaouia echadoulia» est le point de convergence d’adeptes ou de visiteurs venus de tous les horizons. Ce centre spirituel dont le rayonnement cultuel et culturel s’étend à tout le Maghreb est, pour beaucoup, dans le prestige de «Machta El Ghanem», appellation plutôt pastorale de la cité. Le vertigineux minaret de conception maghrébine de la zaouia,  semble veiller sur les lieux.
   
.S’il fallait comparer, Mostaganem à un objet ou à un article, la seule comparaison qui lui sied c’est un livre ouvert qui raconte son histoire. Son tissu urbain truffé de monuments historiques et ses panneaux indicateurs renvoient à eux seuls, aux moments forts qui ont émaillé la vie de la cité. Mazagran, la cité satellite qui est déjà dans cette immense unité urbaine de 165.000 âmes, renvoie à la défaite espagnole du 26 aout 1558 que Sidi Lakhdar Benkhlouf, a immortalisée par une célèbre «Qacida» (ode épique). L’insurrection de février 1840  menée par  Mostefa ben Tami, khalifa de l’Emir Abdelkader, contre la garnison du capitaine Lelièvre eut pour théâtre les mêmes lieux.  Reconnaissant clairement la déroute du comte espagnol d’Alcaudette, les historiens de Bugeaud minimisèrent l’effet qu’ils réduisirent au simple siège d’une compagnie de chasseurs. Le boulevard du Dahra, évoque quant à lui, les «faits d’armes» de Pélissier et consorts dans les emmurements et les enfumades dans les grottes d’El Frachih-commune actuelle de Nekmaria-  en mai 1845, de centaines d’hommes de  femmes et d’enfants. Mêmes les animaux domestiques y périrent avec leurs maitres. Bugeaud s’en justifiait devant son assemblée nationale par cette sinistre déclaration : «Elle est sans doute inhumaine la méthode, mais c’est la seule manière d’en finir avec  la guerre en Afrique».
L’hôtel de ville, jouxtant le jardin  «Emir  Abdelkader», rappelle ces grandes bâtisses blanches des Antilles où la cotonnade faisait le bonheur des lingeries fines de Paris et de Londres. Dominant la ville, elle est flanquée d’une tour de type vaguement ksourien pour ne pas manquer à la couleur locale avec cependant, une horloge de chaque coté du quadrilatéral. Et c’est justement de son balcon, que de Gaulle lançait, en juin 1958 pour l’ultime fois, son «vive l’Algérie française !». Sidi Said, saint patron de la ville, et dont le sanctuaire n’est pas loin a du mettre toute sa foi, pour que le vœu ne soit pas exaucé. L’autre monument historique qu’est «Dar El Caid» ne laisse personne indifférent. Cette belle résidence de style arabo-andalou est constituée de deux niveaux et d’une terrasse avec des meurtrières tout au tour.

La porte d’accès ogivée qui cen-tre la façade principale, est flanquée de deux meurtrières de part et d’autre. Par contre, le premier niveau qui décroche par une sorte de mezzanine comporte cinq fenêtres en forme de trou de serrure. L’intérieur comme tous les intérieurs cossus, comporte des colonnades et des arceaux entourant l’inévitable patio, source de lumière et d’air frais. Cette demeure de pacha, rappelle pour l’avoir occupée, le général français Louis Alexis Desmichels signataire, le 24 février 1834, avec Abdelkader le traité portant son propre patronyme. Il sera le 3è cosignataire du Traité de la Tafna avec le même Abdelkader et le général Bugeaud commandant en chef des forces d’occupation. Les bains, autre relique d’une Andalousie mauresque fugitive sont toujours là, ils témoignent du raffinement citadin de leur descendance si besoin était. La muraille ottomane, vestige de la place forte musulmane qu’à été la cité, raconte les velléitaires tentatives d’invasion hispaniques lancées à partir d’Oran sa rivale. Véritable musée à ciel ouvert, la ville gagnerait à mettre en valeur tout son matériel patrimonial en quittant les sentiers battus. Simple avis d’amateur.

La chance qu’a eue cette radieuse ville est, sans nul doute, son plan d’aménagement et d’extension urbains élaboré dans les années 70 et que tout le monde s’est évertué à suivre. Dans ce cadre, la route nationale 90 prolongée par la 90 A, partant du carrefour de Kharouba pour joindre la route d’Oran au niveau de la caserne militaire, l’enserrant dans une demi-sphère a, assurément, joué le rôle de barrière artificielle endiguant ainsi, l’avancée du bâti vers les terres agricole dont la fertilité est légendaire. D’ailleurs sur les vues aériennes de l’agglomération, la séparation est bien nette. Quel bonheur pour cette région maraichère, agrumicole et jadis vinicole. Ce dernier statut a du, certainement, être perdu par la rétraction du vignoble de raisin de cuve. La ville nouvelle, tout autant que l’ancienne, est noyée dans la verdure, même si dans certains lotissements ce ne sont que de jeunes pousses. Le logement individuel ou semi collectif est le plus dense, il existe évidemment des ilots où des tours élancées comportent jusqu’à 12 étages tels que ceux de l’AADL. L’histoire récente du pays est déroulée à travers les figures marquantes du mouvement national et dont des lieux et des sites portent le nom. C’est ainsi que l’université porte la dénomination de l’illustre Cheikh Abdelhamid Ibn Badis et ce n’est que justice rendue au Savoir. Ouverte en 1987, elle est implantée sur 7 sites disséminés à travers l’agglomération. Elle ferait partie du gotha des 5 plus grandes universités du pays. Quant aux ilots urbains, ceci se déclinent en : Asselah Hocine, Hammou Boutlélis, Abane Ramdane, Ahmed Zahana, Zighout Youcef, Si El Haouès, Benboulaid, Amirouche, Didouche Mourad, Lotfi, 5 juillet 1962, 19mars 1962, 1er novembre 1954. Et ce n’est pas étonnant pour une région où la nuit de la Toussaint a ébranlé Cassaigne (Sidi Ali) tout autant qu’Arris et Boufarik.  D’autres sites, certainement, plus anciens portent le nom évocateur de : La Marine,  Citronniers, les Castors, Monplaisir et Tobbana. Cette dernière est une distorsion linguistique de Top Hana (garnison turque dotée d’une batterie de canons). Cette manière d’humaniser l’environnement en le cultivant, participe d’un réel souci de préservation de l’immatériel patrimonial pour sa pérennité. Basta de ces faubourgs numérisés ou portant carrément les noms de leurs constructeurs. La post colonisation a consacré des Dumez, Dragados et autres Bouygues.
Constituée pourtant de grands ensembles immobiliers, la grande cité «Sidi Lakhdar Benkhlouf» dissimulée au regard par deux grandes arches, est un modèle de convivialité. Transpercée par une double voie et une rotonde fleurie, elle pulse à la vie avec ces terrasses de café, ses restaurants, ses boutiques et tout dont ont besoin les ménages en première main. Le transport urbain y est assuré. Un CEM dont l’architecture rappelle les anciens instituts islamiques donne par ses dimensions, une idée sur sa population scolaire. Un peu plus haut se trouve, ce qui semble être une cité administrative, dotée de plusieurs directions exécutives avec chacune son style architectural propre.
Le standard aura fait long feu dans les murs de la capitale du Dahra dont les cités calmes et apparemment tranquilles, constituent des microcosmes fonctionnels ne s’embarrassant d’aucun atelier de soudure ou de vulcanisation encore moins de bruyante menuiserie. Les pas de portes fleuris ne permettent, d’ailleurs, aucune exception. A bon entendeur…

Royaume du rhododendron, du chèvre feuille et du géranium, ces unités de voisinage offre chacune, une palette de couleurs et de tons. Les terre plein, quant à eux, sont le domaine du rustique laurier rose. Point d’ordures, ni sacs poubelles éventrés. A croire que la ville n’a point de déchets. Bravo à la municipalité et bravo à ceux qui veillent au grain. Le département en charge des Collectivités locales devrait ériger ce sanctuaire citadin, en terrain de démonstration pour les édiles,  ceux des grosses métropoles urbaines, notamment, et dont la perception de salubrité publique ne semble aller pas plus loin que : « là où regarde Ahmed !», comme disait si bien ma défunte mère. La seule et probable exception, serait l’esplanade des Sablettes qui soumise au rush des vacanciers déroge à la règle générale. Les commerces à la sauvette et les restaurants «Quatre saisons» déglingués et vieillots jurent par leur décalage.  La belle avenue Ould Aissa Belkacem qui dévale dès le carrefour de la Wilaya  offre à la vue, les dômes jumeaux de ce magnifique ouvrage que dessert une allée particulière faite dans le but évident de ne pas gêner le flux circulant de cette grosse artère. La large esplanade intérieure du siège de wilaya donne accès par un  perron marbré au hall d’accueil spacieux et aéré du cabinet. Les bois lambrissés ajoutent une note de chaleur supplémentaire, comparativement au tout- aluminium  martial et impersonnel. En face et en contrebas, la futuriste Maison de la Culture «Ould Abderrahmane Kaki», l’hôtel «Les Palmiers» éblouissant de blancheur, rappelle vaguement les palaces de la Côte d’Azur. L’Etablissement portuaire quant à lui, arbore son building de verre, manière de dire qu’on peut faire comme les autres, sinon plus, quand on y met les moyens. Selon une information non vérifiée, le port de Mosta serait relié, en dehors des lignes européennes, à Houston aux USA. Le siège de la daïra, apparemment récent, semble puéril par le ton crevette de sa peinture en regard de l’austère bâtiment de la Cour de justice d’un blanc immaculé. Le génie qui a présidé à la conception de la circulation intramuros et en périphérie en double voie est  louable à plus d’un titre. La différence est ressentie dans l’ancienne ville coloniale, par la strangulation de ses rues et  la perceptible émanation de gaz d’échappement. Nous ne quitterons pas cette émeraude de mare nostrum sans jeter un dernier regard au port de pêche et de plaisance de la mythique Salamandre. L’antique Carenna se paie un port commercial, «étranglé» par les véhicules neufs d’importation et un port de pêche et de plaisance.

C e petit havre offre aux pêcheurs à la ligne de tout poil, un moment de silence intérieur que nulle autre activité ne procure. De grandes citernes, bien en vue, recueillent l’huile de vidanges des embarcations du hors bord au gros chalutier ce qui explique l’absence de pellicule huileuse en surface. Signalée par un phare trapu, le plan d’eau est enlacé en un seul tenant par une haute jetée en béton surmontée de brises vague. L’avenue de même nom, a une encablure, a changé de look radicalement. Elle est à sens unique en allant vers les Sablettes. Des buildings, tous récents, ne dépassant guère les 4 niveaux déploient leur façade en direction du grand bleu. Le niveau zéro ou du moins celui qui en fait office, est protégé par un auvent maçonné protégeant les flâneurs des rayons solaires ou de la pluie. Les parois inférieures sont toutes parées de marbre gréseux ; les chromes et le verre donnent cette touche nickel que seules les grandes boutiques ou les snacks modernes savent délivrer. Le front de mer en vis-à-vis dispose d’une large esplanade, sertie de bancs en bois confortables et des poubelles à portée de main. La longue rambarde en fonte ajourée, permet même aux tout petits de contempler la mer. L’éclairage profus la nuit, est desservi par 3 rangés de points lumineux. La nuit, le calme est roi ; point de musique cacophonique, point d’interpellations tonitruantes, ni d'écarts de langage. Les règles d’urbanité librement consentie permettent à chacun de jouir de moments agréables. Les gardiens de parking, n’ont pas droit de cité sur ces lieux. Les agents de l’ordre public, omniprésents, dissuadent par leur seule présence toute tentative de dérive. L’unique reproche à faire aux responsables exécutifs de cette belle œuvre, est l’état de  dépérissement de la moitié des palmiers oasiens, faute d’attention soutenue. Notre départ se faisant par la route d’Oran, il nous sera permis de revoir encore une fois, les statues de Cheikh Hamada et de Kaki. Ce duo légendaire, a su par on ne sait quel mystérieux mixage faire côtoyer la représentation théâtrale d’essence citadine et l’harmonie syncopée bédouine. Deux cultures, l’une raffinée d’origine à la fois turque et andalouse et l’autre, supposée rustre et néanmoins noble de lointaine descendance hilalienne, se sont brassées pour générer un terreau fécond. Nombreux et nombreuses, ces érudits, poètes, écrivains, peintres, cinéastes, chanteurs et sportifs que la cité s’enorgueillit d’avoir enfantés pour être tous cités dans ce survol hâtif et bref.