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Moussa Touati, président du Front nationalalgérien (FNA) au «Le Quotidien d'Oran» : « Notre problème réside dans notre dépendance vis-à-vis de la France »

par Mohamed Mehdi

Dans cet entretien, le président du Front National Algérien (FNA), Moussa Touati, évoque la situation politico-économique du pays, les répercussions de l'état de santé du président de la République sur la gestion des affaires courantes, et les craintes d'une dégradation de la paix sociale fragile. Il est également question de l'Egypte et de la situation interne au sein du FNA.

Le Quotidien d'Oran : M. Touati, que vous inspire la situation du pays, la question de l'état de santé du président et, de manière générale, la gestion des affaires courantes ?

Moussa Touati : Si on doit parler de la situation du pays, on devrait en parler depuis l'indépendance à nos jours. Tous les présidents ont été ramenés par un pouvoir occulte, et non pas par la volonté populaire. Après 51 ans d'indépendance, nous n'avons pas encore de respect pour le peuple et pour la volonté populaire. Certains n'imaginent pas que les lois sont faites pour défendre les intérêts des gouvernés et non pas des gouvernants. 

Q.O. : Nombreux sont ceux qui pensent que malgré l'aisance financière, toute relative, l'Algérie va vers l'impasse politique, économique et sociale. Partagez-vous cet avis ?

M. T. : A vrai dire, nous avons démarré avec l'impasse dès 1962. Un seuil à ne pas dépasser a été tracé à ce peuple. Quand on essaye de comprendre pourquoi l'Algérie n'a pas pu atteindre le seuil de développement de pays beaucoup moins dotés que nous en ressources naturelles, on constate que c'est ce mur érigé par ceux qui détiennent les commandes du système qui empêche ce pays d'avancer. Je le dis en toute franchise, notre problème réside dans notre dépendance vis-à-vis de la France, l'ancienne puissance colonisatrice, qui n'acceptera jamais que l'algérien soit maître de son économie, de son éducation, de sa culture. La France nous considère toujours comme un département d'outre-mer. Nos jeunes ne rêvent que d'un visa vers la France. Cette culture a été encouragée et façonnée par nos gouvernants. Je vous donne un petit exemple. Dans le cadre des travaux d'aménagement en cours à Alger, un placard publicitaire a été conçu entièrement en langue française. Les lois de la république sont empiétées comme si le français était la langue officielle de l'Algérie. Ces agissements sont loin d'être spontanés. Il y a, derrière, une volonté de mettre en valeur la langue du colonisateur, comme il y a eu une volonté de saboter le système éducatif pour justifier le recul sur la place de la langue arabe. Tout cela pour préparer le peuple à dire que « la France c'est finalement mieux que vous » et qu'il est préférable « d'être gouvernés directement par les Français ». C'est, malheureusement, ce qui se dit.

Q.O. : Vous rejoignez la polémique concernant l'hospitalisation de Bouteflika en France ?

M. T. : J'y arrive justement. Savez vous que la Caisse d'assurance sociale algérienne est quasiment affilié à la caisse sociale française ? Pourquoi tous les transferts médicaux vers l'étranger se font uniquement en France ? La médecine française est-elle, à ce point, la meilleure au monde ? Savez-vous que la Caisse d'assurance sociale algérienne détient des biens en France et dans d'autres pays ?

Q.O. : Pourquoi n'avoir jamais dénoncé cela, vous dont le parti dispose des députés à l'APN ?

M. T. : Ce n'est pas la première fois que j'en parle. Je l'ai dénoncé il y a plus de quinze ans, à l'époque du président Zeroual, lors de la conférence économique et sociale de 1996, à l'époque où j'étais secrétaire général de l'organisation des enfants de Chouhada. Mais aucune suite n'a été donnée. Bien au contraire, on a vu plus tard, que le gouvernement a emprunté l'argent de la CNAS pour régler les salaires impayés des travailleurs de secteurs économiques en difficultés. C'est à se demander si la Caisse est un fonds du gouvernement ou bien c'est l'argent de tous les travailleurs qui y cotisent. C'est tout cela montre l'urgence de revoir les fondements de fonctionnement de l'Etat algérien. Celui qui arrive au pouvoir considère qu'il est le roi et les citoyens sont ses sujets. Nous devons revenir à la notion de l'Etat telle que décrite dans la proclamation du 1er novembre 1954, à savoir un Etat souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques.

Q.O. : Quelle appréciation se fait le FNA de la situation économique du pays ?

M. T. : Quand on parle d'économie, on doit parler de ce qu'on produit, par la force de nos bras et notre savoir, et non pas de ce qu'on exploite comme richesses naturelles des générations futures. L'Algérie n'a jamais eu une véritable économie orientée vers la production de biens et services. Bien au contraire, nous avons toujours compté sur les recettes en devises procurées par les exportations des hydrocarbures pour combler notre incapacité à produire. L'économie c'est le produit de l'être humain et de la terre, et non la gestion de la rente pétrolière.

Q.O. : Que proposez-vous comme solution ?

M. T. : Il faut que le peuple prenne conscience que ses gouvernants ne sont pas capables de le servir. Il faut une révolution. C'est le président, le gouvernement, et les élus qui doivent êtres au service du peuple. Que ceux qui ne peuvent pas gagner la confiance du peuple et travailler pour son intérêt doivent s'arrêter là. Je crois que nous devons recommencer à la base. La politique c'est d'abord respecter le peuple. Nos dirigeants mentent au peuple. C'est ce qui explique le fossé sans cesse grandissant entre eux. Les dirigeants se contentent de consommer les richesses des générations futures pour acheter la paix sociale. Et dès que le baril de pétrole baissera, ce sera l'éclatement. J'espère qu'on n'en arrivera jamais aux années où l'Algérie avait des difficultés de payer ses importations de biens alimentaires de base.

Q.O. : Vous attendez une révolution à la tunisienne ou égyptienne ?

M. T. : Non. La révolution ce ne sont pas des meetings et des marches. La révolution, la vraie, c'est que le peuple ne soit pas démissionnaire. Il faut d'abord aller voter.

Q.O. : Les élections n'ont rien changé à ce jour.

M. T. : Le peuple est absent. Il ne faut pas qu'il cesse de revendiquer ses droits et de contrôler ses élus. Je défends un Etat de droit et d'équité. Oui, voter ne suffit pas. Il faut que les électeurs puissent aussi contrôler leurs élus et exiger d'eux de concrétiser leurs promesses électorales. Les nations qui se sont développées ont respecté leurs peuples et les lois du pays. C'est par là qu'il faut commencer. Et le citoyen doit pouvoir imposer le respect des lois.

Q.O. : Vous avez dit tout à l'heure que vous sillonnez le pays. Que retenez vous de ce que vous voyez et vous entendez des revendications des gens ?

M. T. : A l'intérieur du pays c'est la misère. On sent un mépris pour le citoyen. Il est devenu sans valeur. On le laisse parler, mais on ne lui donne rien. Des travailleurs licenciés du Sud sont actuellement devant le siège de l'UGTA. Au lieu d'élargir les possibilités de travail, on licencie en plein Ramadan. Le nombre important de couffins de Ramadan distribués et les personnes qui viennent manger dans les restaurants de la Rahma est un indice suffisant que la pauvreté atteint des seuils intolérables en Algérie. La politique du couffin c'est masquer la pauvreté, alors qu'il faut la déraciner en offrant du travail et des conditions de vie décentes aux citoyens.

Q.O. : Le président de la République est revenu. Les quelques images distillées montrent que son état de santé est loin de lui permettre d'exercer pleinement ses fonctions. Etes-vous de ceux qui réclament des présidentielles anticipées ?

M. T. : Avant d'être amendée, la Constitution était claire. Le président ne pouvait faire que deux mandats. Les conditions dans lesquelles elle a été révisée pour permettre plusieurs mandats présidentiels, montrent que le système a voulu l'instaurer en roi. Sans appui et sans menaces, il n'aurait pas pu briguer ce mandat. J'ai tenté de forcer la main à mes députés pour voter contre l'amendement de la Constitution. Mais devant les pressions, ils n'ont pas pu faire mieux que de s'abstenir. Ils ont eu peur.

Q.O. : Les députés du FNA ont été menacés ?

M. T. : Ils ont été mis sous pression pour ne pas voter contre le projet de révision de la Constitution. Ils ont été appelés par les walis et par les services. La pression était énorme. Le président de la République était malade depuis ce temps. Qu'est-ce qu'il a donné. Sincèrement, si j'étais malade, je ne penserais pas à rester au pouvoir. Je penserais plutôt à ma santé d'abord. Le président a été hospitalisé deux fois au Val-de-Grâce. Il a suivi une période de rééducation aux Invalides là où, précisément, se reposent les anciens bourreaux de l'Algérie. Le centre des Invalides, ou les hôpitaux et médecins français sont-ils meilleurs que ceux de Suisse, d'Allemagne ou d'Angleterre ?

Q.O. : Etes-vous pour des présidentielles anticipées ?

M. T. : Tout ce que je souhaite c'est que ce ne soit pas les laboratoires qui vont nous imposer, encore une fois, un président.

Q.O. : Un mot sur ce qui se passe en Egypte ?

M. T. : Le peuple Egyptien s'est soulevé contre la monarchie puis contre le régime de Moubarak. Malheureusement, les cadres de l'armée, alliés à la bourgeoisie, ont réussi à destituer un président légitime. On ne peut pas qualifier ce qui se passe en Egypte autrement qu'un coup d'Etat. Les élections législatives étaient proches, il fallait laisser le processus continuer pour juger de la popularité ou l'impopularité de Mohamed Morsi et de son parti politique. Malheureusement, c'est le choix de la force qui a été fait. Il fallait provoquer des incidents et des manifestations pour justifier le recours à la destitution d'un président démocratiquement élu.

Q.O. : Vous n'avez pas peur d'un soulèvement en Algérie ?

M. T. : Si soulèvement il y aura, ce sera à cause des conditions sociales, de la pauvreté et du chômage.

Q.O. : Parlons un peu du FNA?

M. T. : Le FNA a atteint à un certain moment plus de 420.000 électeurs. Aux dernières élections locales nous avons enregistré un petit recul, dû à des problèmes internes qui ont suivi la position du parti concernant son refus de la loi communale, et la revendication d'un vote biométrique aux législatives. Nous avons payés nos positions. Quelques-uns parmi les militants ont été approchés pour déstabiliser la direction du parti. Et à quelques jours des élections locales, un journal écrit que les activités du FNA ont été gelées, et l'ENTV affirme que le parti n'allait pas participer au rendez-vous électoral. Tout ça a fait que nous avons perdu 738 listes électorales qui ont été éparpillées sur deux partis politiques.

Q.O. : Lesquels ?

M. T. : Ils sont connus. C'est le MPA et TAJ. Nous avons donc participé avec plus de 500 listes au lieu de plus de 1300. Après, nous avons pu remonter cette phase. Nous avons pu décrocher des sièges dans 500 communes (plus de 300.000 voix) et 39 listes APW (plus de 438.000 voix).

Q.O. : Le FNA compte combien de militants ?

M. T. : Après le dernier congrès, nous avons rouvert la porte aux adhésions. Les derniers chiffres qui nous parviennent des 48 wilayas, deux mois après le début de l'opération, font état d'environ 28.000 cartes d'adhésions.