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L'impact des «hallaba» sur le marché des carburants est marginal, selon un spécialiste

par Abed Charef

A contre-courant d'une idée répandue, un spécialiste de l'énergie estime que la pénurie de carburant n'est pas le fait de «hallaba», ces trafiquants des régions frontalières, mais d'un déséquilibre du marché.

Le trafic de carburants aux frontières de l'Algérie n'a pas provoqué de pénurie. Il a seulement amplifié un phénomène qui résulte d'une absence de politique. Un ancien cadre du secteur de l'énergie est catégorique : l'impact du trafic, malgré son ampleur, reste marginal. C'est l'explosion de la demande et le rétrécissement de l'offre qui provoquent la tension actuelle.

Le trafic organisé par les fameux «hallaba», avec des voitures munies de réservoirs spécialement aménagés, franchissant la frontière remplies de carburant pour ramener de la drogue, est une réalité, mais son impact est «très limité», dit-il. Pour cet ancien cadre du secteur, «le côté spectaculaire de la contrebande sert à occulter une autre réalité, celle du manque d'anticipation de l'évolution du marché algérien». Pour lui, le marché algérien des carburants est «toujours au bord de la rupture. Et quand le marché est aussi tendu, il suffit du moindre incident, de la moindre perturbation, pour que tout le circuit s'écroule. Le trafic aux frontières joue ce rôle de perturbateur, mais il n'est pas à la base de la pénurie», dit-il.

Pour lui, les pénuries sont le résultat de plusieurs facteurs qui agissent dans la même direction. L'explosion de la demande, avec le boom du parc automobile et des importations qui ont augmenté de plus de 40% en moyenne sur les trois dernières années, a brutalement poussé la consommation vers le haut. A cela s'ajoute la stagnation, voire la baisse de la production de carburants, due aux vieillissements des raffineries existantes. La production s'est stabilisée à un niveau très bas, après avoir connu une baisse de 35%, selon des informations de presse.

BAISSE SENSIBLE DE LA PRODUCTION

Quand la production s'est effondrée, Sonatrach s'est trouvée face à un dilemme : lancer la rénovation des raffineries existantes, quitte à faire baisser encore la production de manière momentanée, ou attendre la réalisation d'au moins une nouvelle raffinerie, pour rénover les anciennes usines. Finalement, un vaste programme de rénovation a été lancé, ce qui a perturbé davantage un marché déjà fragile. La raffinerie de Skikda, la plus grande du pays, a notamment subi une série d'incidents, qui ont provoqué de nouvelles perturbations dans la production. La rénovation des raffineries d'Arzew, Skikda et Alger devrait coûter 4,2 milliards de dollars.

«Tout ceci est le résultat direct de l'absence d'investissements au bon moment», a déclaré ce spécialiste à Maghreb Emergent. Selon lui, l'Algérie doit disposer de capacités de production de carburant de 15 à 20% supérieures à ces besoins. «Mais pour cela, il faut connaître ces besoins qui ont brutalement explosé en quelques années», dit-il à la décharge du gouvernement. Ceci a débouché sur un nouveau paradoxe : exportateur de pétrole et de gaz, l'Algérie importe des carburants. La facture s'est élevée à deux milliards de dollars en 2012 et risque encore d'augmenter les deux prochaines années, jusqu'à l'entrée en production des nouvelles raffineries projetées. Depuis 2010, la consommation a augmenté de 7% par an.

Les autres facteurs de la forte pression sur l'offre sont plus connus : un modèle de consommation gaspilleur, en raison de prix fortement subventionnés, et l'absence d'une politique vigoureuse dans le domaine de l'énergie. «Le recours au GPL pour les véhicules a été pratiquement abandonné», note ce spécialiste, qui souligne que «la marge de prix entre essence, gasoil et GPL est insignifiante», donc «peu incitative». «En Algérie, tout le monde roule au super», dit-il avec ironie.

LES «HALLABA», FACE FOLKLORIQUE D'UN SERIEUX PROBLEME

Les erreurs du passé pèseront encore longtemps sur l'avenir. Avec notamment l'absence d'une politique vigoureuse de transports. Selon ce spécialiste, «l'absence de choix est devenu, avec le temps, une option pour le véhicule particulier. C'est le choix le plus coûteux», dit-il. A ce rythme, l'immense programme lancé par Sonatrach en vue de doubler la capacité de raffinage de l'Algérie «risque d'augmenter les gaspillages et les trafics, alors que l'objectif est de rationalisme la consommation».

Ce n'est qu'en bout de course qu'interviennent les «hallaba». Mais là encore, c'est une question de prix. «Il faut que le trafic de carburant devienne peu attractif», dit-il, plaidant pour une évolution des prix, «sur deux à trois années», en vue de «réduire l'écart des prix entre l'Algérie et ses voisins». «Rien n'interdit à l'Algérie de maîtriser son marché de l'énergie», dit-il. Mais pour cela, le gouvernement doit simplement «arrêter une démarche, et s'y cramponner. Cela risque de provoquer quelques remous, à cause de la hausse des transports, par exemple», mais l'enjeu en vaut la peine, selon lui, car «cela permettrait à l'Algérie de mieux gérer ses ressources». Et de découvrir que «les hallaba ne constituent pas un problème. Ils sont la manifestation folklorique d'une mauvaise politique».