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Ce que la ville doit à l'esprit et à la raison !

par Abdelkader Khelil *

Dans les sociétés dites modernes, la ville est perçue comme un espace de vie, fortement marqué par le souci porté par les pouvoirs publics et les citoyens, quant à la recherche permanente de l'excellence, le bien-être social et la valeur ajoutée économique et culturelle.

Chez les gens civilisés, attentifs à l'écoute, la ville est le lieu privilégié de l'expression de la citoyenneté et de la démocratie de proximité, dans la conformité des principes de l'Etat de droit.

Oui, la ville vraie, celle à laquelle rêve tout un chacun, où il fait bon vivre de jour comme de nuit, ou il n'est point besoin de se bousculer pour prendre le bus ou le tramway, ou l'eau coule régulièrement au robinet, ou l'on n'est pas à la recherche d'un coin sombre et retiré pour se soulager, ou l'on ne vieillit pas dans les chaines d'attente, ou le vulcanisateur ne cohabite pas avec la supérette, la boulangerie et la pharmacie sur un même boulevard, ou le trottoir n'est pas jonché d'amas de détritus et d'obstacles infranchissables pour les handicapés et les personnes âgées, ou la chaussée n'est pas constamment éventrée et ou les balcons fleuris étalent leurs couleurs pour le plaisir de l'œil, n'est autre, que le produit d'une gouvernance urbaine appropriée et d'une pratique de civilité, ou toutes les choses des plus petites aux plus grandes ont leur importance dans le débat interactif, fait d'échanges avec le public. Des expériences des autres, l'on sait déjà, que plus les villes sont performantes, plus la société est en mesure d'assurer son épanouissement et la pérennité de sa prospérité. A l'inverse, plus elles sont désorganisées, plus elles compromettent les chances et les efforts de développement de la société. Dans notre cas, cela veut dire, que le dessin et le destin de tout établissement humain relève plus d'une compétence partagée entre différents partenaires, que d'une attitude dirigiste des pouvoirs publics généralement peu créatifs, de par la conception de cités dortoirs, appelées communément « villes nouvelles » par effet de mode, alors que conçues selon des types d'habitats et d'équipements normalisés, dans la pure tradition du système de planification des ex républiques socialistes de l'Est, en faisant fi de la diversité de la société algérienne au plan de ses us et coutumes et des caractéristiques géo-climatiques de nos diverses régions ! Il importe de souligner cette anomalie dans la conception de toute infrastructure bâtie, indépendamment de la prise en compte de l'identité territoriale et des besoins élémentaires d'épanouissement des citoyens, dans un environnement empreint de sérénité et de convivialité. Tel est le cas, de cette « ville nouvelle », Ali Mendjeli de Constantine, devenue le siège de la contestation récurrente et d'une déferlante de violence entre gangs rivaux, dans le propre style des favellas brésiliennes, comme rapporté par les médias, pour ne citer que cet exemple à l'échelle de cette métropole de l'Est, qui aurait pu trouver une meilleure solution à son site bloqué, dans son arrière pays en direction d'Ain M'lila, dans la Wilaya d'Oum El Bouagui, cette vaste étendue des Hauts-Plateaux de la région Est, évitant ainsi, qu'elle n'ait à consommer ce qui lui restait de territoire destiné aux programmes de logements sociaux, au détriment d'équipements structurants dont elle se prive, au point d'hypothéquer son statut de métropole régionale . En principe, et même si les pouvoirs publics sont soumis à une forte pression de la demande sociale, chaque ville, voire chaque village doit avoir sa typologie architecture propre, comme il est de tradition dans les pays qui savent donner la juste mesure aux aspects socioculturels et où, la citoyenneté n'est pas un vain mot, pour faire imposer ce choix ! Dans cette Algérie de la normalisation anormale, où il n'y a aucune différence au plan architectural entre la majorité de nos villes et plus particulièrement celles du Nord et des Hauts-Plateaux, il n'y a pour les citoyens, que peu d'intérêt à visiter leur pays, où à quelques nuances prés, tout ressemble à tout, en dehors des paysages naturels, eux aussi, à bien des égards, souvent détériorés . A l'exception de moins d'une dizaines de métropoles et grandes villes, il suffit de connaitre le chef lieu de sa Wilaya pour avoir une idée sur tout le reste des villes du pays. Alors, cela induit forcément, une sédentarisation des individus et l'enfermement sur soi, d'où la crainte d'autrui et la remontée en surface de relents d'appartenance au douar, cet effet collatéral née d'un exode rural, donnant naissance à une « rurbanisation » préjudiciable à la cohésion sociale. Cette tendance au repli dans les limites territoriales du lieu d'origine, est accompagnée, confortée et encouragée administrativement par la création inconsidérée de centres universitaires et d'universités à travers les (48) Wilayas du pays. C'est là, une exception bien algérienne, dans notre contexte régional, tout au moins maghrébin, dés lors que le monde unipolaire d'aujourd'hui, est plutôt fait de mobilité et non d'attitudes casanières fortement réductrices! Encore faut-il préciser que ces entités universitaires restent généralement en retrait de la dynamique de développement et ne participent en aucune manière à la gestion des villes de par leurs travaux et encore moins, dans la formation des gestionnaires des collectivités locales. Ceci, ainsi résumé pour faire cours, car l'objet de notre propos à trait à la ville et non à l'université, bien qu'elle en est, un des éléments constituants principaux.

MAIS C'EST QUOI AU JUSTE, LA VILLE !

Trop longtemps considérée chez nous, comme réceptacle de programmes d'habitat, la ville doit être tout au contraire, un lieu d'excellence, de production et de reproduction économique, sociale et culturelle. Elle doit être aussi, un espace d'expression et de cohérence des différents groupes sociaux. Elle ne saurait donc être indéfiniment, cette cité dortoir qui génère l'exclusion et la marginalisation de pans entiers de notre société, pour devenir un « organisme vivant » qui tire l'essentiel de son énergie, de ses atouts propres et environnants qu'il faudra préserver et valoriser, pour le bien être de la population. Mais si la ville est un organisme vivant, n'est on pas en droit de s'interroger sur ses fonctions vitales, par similitude avec le corps humain ! Dans cette comparaison, l'on peut dire, que le centre ville dans sa connexion aux différents faubourgs et quartiers, à travers le système de transport, correspond au cœur, ce moteur central de la circulation sanguine qui assure l'irrigation de tout le corps humain.

Les forêts urbaines récréatives, les parcs et jardins et les espaces de loisirs représentent en quelque sorte, le système respiratoire. Les centres de décisions, d'animation et de gestion de la ville, sont à comparer au cerveau, ce siège des facultés mentales, et leurs démembrements, au système nerveux. Pour mesurer le degré de fonctionnalité de nos villes, l'on doit donc s'interroger sur l'accomplissement de ses fonctions capitales pour le bien être des citoyens. Alors, combien sont-elles, ces villes algériennes qui disposent d'un système de transport efficient qui permet au centre ville et autres espaces d'animation, de réguler correctement les activités nécessaires à la vie de la cité, et aux citoyens, d'arriver à l'heure à leurs lieux de travail ? Combien sont-elles ces villes, qui disposent d'espaces de détente et de loisirs d'une superficie à hauteur des besoins de la population ? Que font nos collectivités pour la gestion des villes, qui fait appel au management, à l'ingénierie territoriale, au paysagisme, à l'économie urbaine, à l'urbanisme commercial, aux cellules de proximité pour le suivi permanent des populations fragilisées, à la gestion des risques majeurs, à l'implication citoyenne sans exclusive, à la codification de l'acte du bâti, tout au moins au niveau des artères et boulevards principaux, et à bien d'autres domaines ? En fait, si la gestion des villes est par essence une action de nature pluridisciplinaire faisant appel à bon nombre de corps de métiers, l'on doit s'interroger sur le nombre de collectivités qui peuvent s'en prévaloir! De toute évidence, Il faut finir par admettre, que nos villes sont en réalité des organismes, certes vivants, mais «tétraplégiques», au regard de toutes ces fonctions mal assumées, plus par défaut de professionnalisme, que par manque de moyens, dans cette Algérie généreuse, qui n'a jamais était au plus prés de la comptabilité de ses sous ! Oui, si l'on n'a jamais lésiné sur les moyens financiers pour équiper les collectivités, on a par contre négligé la question fondamentale de la ressource humaine pluridisciplinaire, si nécessaire à la gestion de nos villes. Ceci d'autant plus, que le choix des élus relève plus du clientélisme partisan, que de critères rigoureux déterminants dans le plébiscite du gestionnaire le mieux indiqué, pour l'accomplissement d'une telle mission ! C'est la aussi, un autre effet collatéral de la marginalisation et de l'éclipse de l'élite, qui aurait pu apporter son concours et son regard critique au sein d'un centre, tout au moins consultatif, d'observation de la cohérence dans le fonctionnement de la ville. Hélas, il y a de cela plus de deux décennies, que le projet merveilleux et plein d'espoir de « covilles », qui fait référence à cette question, fût abandonné, à défaut de suite dans les idées et de continuité dans les actions!

COMMENT VOIR AUTREMENT LA VILLE!

La ville algérienne, telle que conçue par à-coups, au gré des circonstances d'arrivée et de départ des responsables des collectivités locales, ne pouvait être dans sa discontinuité d'actions, que cette cité dortoir faite de morosité et de négligence, cette négation de l'effort d'autrui que symbolise cette attitude désormais généralisée à l'échelle nationale, dans la recherche de la marque personnelle, y compris dans le choix des couleurs des bâtiments, donnant lieu à des pratiques de gaspillage des deniers publics.

C'est ainsi, que les trottoirs sont faits, défaits et refaits plusieurs fois. Il en est de même pour le mobilier urbain, pour le traitement des façades et pour bien d'autres choses. Aujourd'hui, la tendance et dans la plantation du palmier ornemental importé d'Espagne en devises fortes, que toutes les collectivités à l'échelle nationale, s'emploient à se le procurer. Il faut dire, que si cette arbre présente quel qu'intérêt esthétique pour orner l'entrée d'une résidence ou d'un établissement public, il n'est pas tout à fait indiqué pour meubler les principaux boulevards de nos villes qui restent peu ombragés dans le contexte du climat semi-aride de notre pays, et soumis à de plus en plus de pollution, avec l'accroissement du parc véhicule. En tout état de cause, même si importé d'ailleurs et chèrement payé, cet arbre a piètre mine au côté du majestueux platane de chez nous, qui fait la fierté et le charme des boulevards des villes de Tlemcen, de Cherchell, de Miliana, de Médéa, de Souk Ahras et de bien d'autres, même si elles n'ont pas encore acquis pour la plupart, toute la plénitude de leurs attributs de cités par excellence. D'autres espèces sont également mieux indiquées, comme par : le peuplier, l'eucalyptus, le caroubier, le ficus, le robinier, le marronnier, le saule pleureur et l'olivier de bohême pour ne citer que ceux là, de par le fait de leurs envergures et de la masse végétale qu'ils produisent, d'où une plus grande capacité d'assimilation de l'oxyde de carbone et sa transformation en beaucoup plus d'oxygène. C'est comme cela que doit être pensée dés à présent, la composante paysagère de la ville, dans la perspective de l'inévitable réchauffement climatique, qui pose également la question de la constitution de ceintures vertes les plus larges possibles, de la densification des forêts urbaines et périurbaines, de l'aménagement et de l'ouverture au public, des parcs et jardins, du développement des pépinières et de la floriculture, et du traitement des abords routiers par des espèces utiles, comme l'olivier qui présente un intérêt économique évident, tout en étant cette culture pérenne à système racinaire traçant, qui consolide la chaussée et augmente par conséquent, sa durée de vie.

Dans le contexte d'une économie verte, il n'est pas étonnant qu'avec un peu de conviction, les ponts et chaussées puissent devenir un jour, un centre de production d'huile d'olive, quand le bitume viendra à manquer ! En effet, si l'on venait à planter l'olivier le long des axes routiers, à raison de 100 arbres au kilomètre sur chaque côté de la chaussée, soit un hectare, à partir d'un rendement moyen de 50 kilos par arbre dès les premières années, la production serait de 100 quintaux au kilomètre, ou 25 litres d'huile, sur la base d'un taux d'extraction de 25%. Pour un programme de 50.000 hectares au niveau des Wilayas du Nord et des Hauts-Plateaux, soit une moyenne d'environ 1.200 hectares par Wilaya, objectif tout à fait raisonnable, la production serait de 12.500 quintaux d'huile annuellement, pour une valeur de 375 Millions de dinars, à raison d'un prix moyen de 300 dinars le litre. Cela équivaut à un manque à gagner de plus de 100 logements sociaux ! Je voudrais également dire, qu'Il y a de cela plus de 20 années, le bois de peuplier importé par l'Algérie pour la fabrication d'allumettes et de cageots, provenait des parcs et jardins et des abords routiers de la Belgique! Ceci pour dire, ce qu'il est possible de tirer d'une gestion bien inspirée, en termes de retombées économiques au bénéfice de la collectivité, pour peu que les orientations soient claires et que des objectifs soient fixés aux différents secteurs! L'enseignement qu'on peut en tirer d'une telle initiative, est que la ville se fait plus par l'esprit et le cœur, que par la seule dépense publique. Au chapitre de la gestion des cités, les espaces verts généralement abandonnés dès leur inauguration, après un cours délai de grâce, gagneraient à être convertis en jardins potagers à confier à des personnes âgées à la retraite qui en feraient des espaces de production, où cohabiteraient arbres fruitiers, cultures maraîchères, plantes ornementales et aromatiques. C'est à partir de là, que commence l'éducation des plus jeunes à l'écocitoyenneté et que pourrait être développée cette pédagogie du compter sur soi, dans la perspective de l'ère de l'après pétrole ! C'est ces petites actions initiatiques qui feront de nos concitoyens, faut-il l'espérer, des individus conscients de l'enjeu du monde de demain, où l'accès aux denrées alimentaires sera de plus en plus problématique ! Attirer l'attention sur ces quelques éléments de dysfonctionnement qui ont trait à l'inefficience des plans de transport, à la faible capacité en espaces de détente et de loisirs, à l'insuffisance, voire à l'absence de ceintures vertes et à l'esprit de cités dortoirs de nos villes, n'est nullement une façon de nier les efforts entrepris ou de faire l'impasse sur les réalisations prestigieuses que comptabilisent déjà, certaines villes comme Alger, Oran, Tlemcen, Constantine et d'Annaba. L'objet de notre propos est de dire, que la voie du tout social, n'est certainement pas le meilleur choix dans la mesure ou la question qui nous interpelle aujourd'hui, est de savoir s'il faut continuer à considérer nos villes, comme centres d'accueil des populations de leurs arrières pays, ou comme centres émergents, dans le concert des villes Maghrébines, Méditerranéennes et Africaines ? Oui, il faut finir par s'en convaincre, le défi de l'heure a pour corollaire, le dynamisme de la ville, sa qualité urbaine et ses repères d'excellence dans les secteurs du tertiaire, des télécommunications, de la technologie, du transport, du management, de la culture, des loisirs et de l'environnement. Cet objectif majeur de l'Algérie de demain, disqualifie de fait, l'utilisation inappropriée du foncier intra-muros et prône tout au contraire, sa réservation aux équipements structurants de haut niveau, qui valorisent au mieux le foncier urbain. Il s'agit en fait, d'inscrire la marche de l'Algérie, en rupture avec la logique de l'urbanisation spontanée, dans la mesure où cette démarche abandonne l'évolution des villes aux pressions de la demande sociale et hypothèque ainsi, les chances d'émergence de nos grandes villes, comme pôles organisateurs d'espaces régionaux compétitifs. La ville algérienne ainsi raisonnée, renvoie aussi, à la nécessité dans l'organisation de la vie de nuit qui demeure indispensable pour l'émission d'un message, d'une société algérienne qui a vaincu sa peur et qui a retrouvé sa joie de vivre. Cela devrait être une volonté collective, qui ne saurait être décrétée ! Nous devrions tous, faire en sorte, pour que ce retour à la normalité soit avant tout, une expression citoyenne. Encore faut-il, que la bureaucratie qui pèse lourdement sur la vie de jour, soit moins intense et moins stressante, pour permettre à nos concitoyens, de retrouver le courage et le plaisir des sorties et des randonnées nocturnes ! Pour ce qui concerne la capitale, dans un premier frémissement, la vie de nuit a commencé de façon timide à s'organiser, autour du boulevard animé de Sidi Yahia à Hydra, des crèmeries de Staouéli, des rôtisseries de Draria et tout récemment, au niveau du centre d'Alger qui semble renaître à travers l'apparition des terrasses de cafés. Ce n'est là en fait, qu'un début, et cette « contagion positive » devrait s'élargir à Alger centre, qui a perdu ses réflexes de veille nocturne, aux placettes des quartiers populeux, aux complexes touristiques de la banlieue Ouest, à l'aéroport, à la gare routière, à Riad El Feth, au théâtre et aux cinémas, aux parcs d'attractions, mais aussi, à l'université qui devrait pouvoir programmer des cours, le soir, afin de mieux optimiser ses capacités pédagogiques, qui ne sauraient être développées de façon exponentielle, eu égard à la demande croissante ! Ceci demeure valable pour toutes les grandes villes qui trouveront ainsi, autant d'opportunités pour la création de nouveaux emplois en nocturne, dans les services du transport, de la restauration, du gardiennage etc. Le retour à cette normalité qui a bien existé durant les années 70, est aussi, un atout maître pour le développement du tourisme domestique, surtout si l'on venait à exploiter de façon optimale, cette façade de 1.200 Kms de côtes, à travers la création de gares maritimes et leur mise en concessions ! N'est-il pas merveilleux, que de faire voyager nos concitoyens, de Ghazaouet à Annaba, en faisant des escales au niveau de chaque des villes côtières qui s'y prête à l'animation et qui dispose d'une capacité hôtelière ? Ne peut-on pas faire de ce rêve, une réalité qui nous fera davantage aimer ce pays où il fait et fera davantage si bon vivre ? Oui, cela est possible, pour peu que l'on sache correctement évaluer nos intérêts, dans le sens bien compris du général, et non du particulier.

* Professeur