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Des langues d'enseignement dans le monde

par Rachid Brahmi

«La science n'a pas de patrie; par conséquent elle n'a pas de langue maternelle» (Jan Belehradek)

Opérons un voyage virtuel via quelques pays, pour avoir une idée sur leurs langues d'enseignement, cela nous ouvre la voie à une réflexion sur la question en Algérie. Etant profane en matière de linguistique, et en ma qualité d'enseignant en sciences dites exactes, cette virée qui va viser l'enseignement des matières scientifiques, nécessite donc de fournir, quelques notions basiques récoltées çà et là sur la toile, et gravitant autour de la langue, fonction sociale, clé de la communication.Une langue est dite vivante si elle est utilisée oralement par ceux dont elle est la langue maternelle (ou natale), cette dernière désignant la première langue qu'un enfant apprend. Tel tout organisme vivant, une langue vivante évolue et s'enrichit par l'innovation ou tout apport exogène émanant d'emprunts, de pratiques sociales. Pour C. Hagège (1), professeur honoraire en linguistique, une langue est dite vivante quand il y a des locuteurs qui l'utilisent naturellement. Sinon, elle est dite morte quand il n'existe plus de locuteurs l'utilisant comme outil de communication dans la vie courante. Les linguistes affirment aussi qu'il n'existe pas de critère strictement linguistique permettant de distinguer une langue d'un dialecte, ce dernier étant défini comme une forme régionale d'une langue. Par ailleurs, une langue est appelée scientifique, car utilisée lors de discussions spécialisées et de publications scientifiques, ses traits distinctifs font qu'elle doit être neutre, claire, précise, (donc objective, contrairement au fait littéraire), normalisée et formalisée, de façon à permettre à la communauté scientifique à travers le monde, de se comprendre.

D'autre part, J. Belehradek (2) note que l'arabe a fourni pas mal de matière au vocabulaire scientifique, et affirmait en 1953, que le langage scientifique est un langage écrit. Il est connu aussi, que la proportion des termes scientifique est forte dans les sciences exactes et naturelles. Concernant les emprunts linguistiques arabo-français, on estime aujourd'hui, que la langue française compte 417 mots provenant de l'arabe, et 37 mots de l'arabe maghrébin et celui d'Espagne, la majorité des vocables ayant été probablement interceptée par la langue de Molière, durant l'âge d'or des sciences arabes.

Du fait de l'essor des sciences, ce sont évidemment, les pays producteurs de la science, pas ses consommateurs, qui développent sa terminologie ; c'est donc l'Occident en tête de peloton. A cet effet, c'est bien l'anglais, suivi du français, puis de l'allemand, qui constituent les premières langues scientifiques dans le monde. Concernant la langue française, notons qu'il existe , selon Wikipédia, 14 États ou territoires où le français est l'unique langue officielle, 20 où il est co-officiel, et 10 États partiellement francophones mais où le français n'est pas officiel, tel l'Algérie. Cela fait un total de 44 États où on utilise le français ; un site canadien consacré à la francophonie dans le monde comptabilise, quant à lui, 57 États où le français est langue officielle ou co-officielle. Pour la comparaison, qui n'est pas raison, il n'y a que 6 pays anglophones, avec les USA en tête, car il faudra tenir compte du dénombrement des populations.

En outre, si l'ONU a reconnu six langues comme étant officielles (arabe, anglais, mandarin, espagnol, français, russe), car les plus largement comprises dans le monde, même dans les régions où on ne les parle pas spontanément, tous les travaux et débats de cette organisation étant retranscrits dans ces six langues, il n'en demeure pas moins, que seuls, le français et l'anglais sont considérés comme des langues de travail (moyen de communication, pour la rédaction et la conversation). D'autre part, nous pouvons noter que la Syrie est le seul pays où les études médicales « sont dispensées » en langue arabe, mais laquelle exactement ? Pour la Turquie, toutes les formations supérieures scientifiques, économiques et politiques s'y effectuent soit en anglais, soit en français, et accessoirement en allemand, bien que ce pays à population musulmane majoritaire, a adopté depuis 1928, les caractères latins, pour l'écriture du turc. Pour l'interlude, on sait que les chiffres dits arabes ont été universellement adoptés. Je n'ai alors, pas encore «capté» un phénomène qui me turlupine; c'est celui de l'usage par nos frères du Proche-Orient, de chiffres dits hindous, où le chiffre sept est un V majuscule, le zéro est un point, le chiffre cinq est représenté par un zéro pas tout à fait rond et où le quatre ressemble à un trois qui a fait une pirouette de 180 degrés. Les historiens éclaireraient nos lanternes en nous expliquant pourquoi les chiffres dits arabes ne sont pas usités par une bonne partie des peuples dits arabes, en ce troisième millénaire où il est incontournable de formaliser et normaliser. Pourtant, si la civilisation musulmane a connu son apogée scientifique, c'est qu'elle avait su exploiter et enrichir les héritages grec et indien. C'était l'âge d'or des sciences arabes transmuté alors en un âge plombé.

Par ailleurs, nous avons déjà eu l'occasion de noter que pour aller «chercher la science jusqu'en Chine » il faut connaitre le chinois. Rappelons aussi qu'il existe au moins deux langues officielles, dans près d'une centaine de pays, soit dans la majorité des Etats de la planète. Rappelons de même que chez des cousins, l'arabe, langue de l'ennemi et l'hébreu constituent deux langues officielles, alors que l'anglais et le russe y sont largement utilisés, pour une population qui n'a pas encore atteint 8 millions d'habitants. Rappelons enfin, qu'avec ses 50 millions d'âmes, le pays de Nelson Mandela comprend quant à lui, après les dispositions constitutionnelles de 1996, onze langues officielles (l'anglais en tête), et d'autres qui ne le sont pas.

S'agissant des pays émergents, les membres du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), lorgnons du côté de l'Inde, ce pays classé, il n'y a pas si longtemps, parmi les plus pauvres au monde, occupe actuellement les premières marches du podium, en tant que puissance économique mondiale, ceci, grâce à son fort investissement dans l'Education. En effet, le système éducatif en Inde est élitiste, et forme des dizaines de milliers d'ingénieurs de haut niveau par an, pour une population de 1,3 milliard d'habitants. Donc toute proportion gardée, l'Inde qui comprend le hindi, suivi de l'anglais, puis de 21 autres langues, toutes officielles, auxquelles il faut rajouter près de 4000 dialectes différents, dispose d'écoles où l'élève doit apprendre trois langues, à savoir l'anglais, le hindi et sa langue maternelle. Dans ces écoles, les matières scientifiques (mathématiques, sciences physiques et sciences naturelles) sont dispensées en anglais, langue de l'ex colon. En guise de conclusion, ce qu'il importe de relever pour l'Inde, c'est l'investissement substantiel dans l'éducation, une politique élitiste et l'usage de son «butin » pour les matières scientifiques. Il ne faut pas alors être devin, pour imaginer quelques-unes des raisons, du saut spectaculaire de l'Inde, hier pauvre, aujourd'hui émergent. Ce que nous pouvons retenir enfin, c'est que pour un grand nombre d'Etats, les matières scientifiques sont enseignées dans les trois premières langues scientifiques citées plus haut ; des Etats peuplés d'humains, des bipèdes comme nous, et pas moins enclins au patriotisme ou à l'authenticité. Que dire après cette virée, en atterrissant en Algérie ? Ce sera fait pour très bientôt. Si la météo le permet. InchAllah.

(1) Les spécialistes semblent s'accorder sur la définition de Claude Hagège, ce linguiste ayant, pour la petite histoire, des connaissances répandues dans une cinquantaine de langues, dont la langue arabe qu'il maitrise, puisque il est titulaire d'un diplôme d'études supérieures d'arabe depuis 1957.

(2) Notons là que Jan Belehradek fut Professeur de biologie à la Faculté de médecine de l'université Charles IV de Prague, Recteur de cette même université de 1945 à 1946, Député au Parlement Tchécoslovaque de 1945 à 1948, et Représentant de son pays à l'Assemblée Générale de l'ONU, en 1946.