Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Les stratégies pour notre manipulation (1)

par Mimi Massiva

«Garder l'attention du public distraite, loin des véritables problèmes sociaux, captivée par des sujets sans importance réelle. Garder le public occupé, occupé, occupé, sans aucun temps pour penser...»

La télévision est l'outil par excellence de cette stratégie surtout dans des pays totalitaires où seule l'information émanant du pouvoir est nécessaire et suffisante. Le cas de la Grèce ruinée qui veut se débarrasser de ses médias publics doit faire sourire bien des dictateurs dont les sujets ne survivent que grâce à l'aide humanitaire, mais qui ont toujours assez d'argent pour activer les 1001 micros et caméras pour leur sacre quotidien. Pendant que des bombes éclataient à Alger, l'Unique avait misé sur Miss Marple d'Agatha Christie sans oublier le thé anglais et les gâteaux pour nous dorloter. Quand la terre a tremblé en 2003 en engloutissant des milliers d'Algériens, le match de foot avec prolongations comprises nous a évité le traumatisme en direct. Depuis, la diversion s'est diversifiée. On a les interdits d'Orwell avec son 1949 et le tout est permis d'Huxley avec son Meilleur des Mondes avec noyade garantie. Cette stratégie de la diversion fait merveille au mois de Ramadan. Qui oserait se plaindre, gratter le vernis de cette étrange charité du voleur au volé avec couffin et table de la rahma, les prix qui explosent, les produits douteux qu'une maffia refile en toute quiétude aux jeûneurs profitant de leur somnolence? Heureusement que notre proverbe dit : «qui ne tue pas fais grossir.» Il faut reconnaitre que toutes les télés arabes se ressemblent plus ou moins dans la manipulation des masses et le terrain s'y prête à merveille puisque les gènes sont déjà formatés depuis de longs siècles. D'où peut venir l'évasion si on éteignait l'écran ? Les vieux ont perdu le verbe et la mémoire pour raconter des histoires et l'école ne reconnaît que son propre livre. On estime qu'un Arabe lit en moyenne par an le ¼ d'une feuille, l'équivalent de son extrait de naissance, pendant qu'un Américain lit au moins un livre par mois presque rien comparé aux pères fondateurs des USA et le million de lettrés qui a fui l'Angleterre pour les rejoindre. Quant aux télés occidentales appartenant en général à des groupes puissants et restreints, le tri existe même s'il est plus subtil plus intelligent. Si l'information qui dérange passe, tout est étudié pour la diluer avec l'image subliminale et le message médium des présentateurs que le professeur des médias Postman (2) appelle les plus brillants représentants du style Las Vegas, la ville entièrement consacrée au divertissement.

CREER DES PROBLEMES, PUIS OFFRIR DES SOLUTIONS

C'est la méthode «problème-réaction-solution». Mais quand tout va bien pourquoi créer un problème et s'embêter à trouver sa solution ? De nos jours, c'est l'effort qui manque le plus aux dirigeants, ces rois Fainéants pourvus de maquilleurs savants, de chirurgiens esthétiques, du top des modélistes, des as de la communication et du verbe, des virtuoses de la caméra et l'armada de chercheurs qui inventent à la demande et passent leur temps à étudier la réaction aux stimuli du cobaye humain pour mieux le manipuler. Rien d'étonnant à ce qu'ils soient incompétents pour résoudre la crise économique qu'ils ont provoquée. Leur seul souci se maintenir au pouvoir et pour cela séduire l'électeur. Mais quand on n'a pas besoin de ce dernier pour accéder au trône et s'y maintenir jusqu'au dernier souffle, le problème c'est la sécurité. Celui qui aura la chance d'hériter de la Syrie de demain, entière ou en morceaux, il pourra dormir sur ses deux oreilles. Les Syriens comme les Algériens ont compris que tout signe de vie est menace de mort. Dans de tels bleds seuls fonctionnent la police l'armée et les services secrets pour surveiller le problème, la masse et veiller au meilleur des talismans, les menottes. Pourquoi faire compliqué quand c'est simple. Au niveau international, on use de lois sécuritaires pour faire reculer les droits sociaux empiéter sur les vies privées afin de prévenir les attentats terroristes dont les commanditaires ne sont jamais à court d'armes ni d'argent pour s'arrêter un jour. Ben Laden pouvait-il venir d'un pays autre que l'Arabie Saoudite où le roi est le président le mieux payé de la planète le plus inutile aussi quand on voit l'âge et la santé avec lesquels il accède au pouvoir ? Et les armes d'Al Qu'aida sont-elles fabriquées dans les montagnes des Talibans ou dans le désert des Touaregs du Mali ? C'est rentable : créer un problème pour l'autre et attendre qu'il nous appelle à son secours.

La violence des jeunes, les émeutes, le terrorisme? tous ces maux qui laminent la société sont engendrés par la même cause toujours et partout : l'injustice et l'impossibilité de changer les choses. Au lieu de l'empêcher d'exister ou du moins la restreindre, le responsable enfile son habit de superman en pacotille pour faire son numéro sous nos applaudissements.

LA STRATEGIE DU DEGRADE

«Pour faire accepter une mesure inacceptable, il suffit de l'appliquer progressivement, en «dégradé», sur une durée de 10 ans. Chômage massif, précarité, flexibilité, délocalisations, salaires n'assurant plus un revenu décent, autant de changements qui auraient provoqué une révolution s'ils avaient été appliqués brutalement.» Si le dégradé est surtout utilisé dans les pays ayant des institutions fiables, chez nous on combine dégradé et dégradation selon l'humeur et les circonstances. On use du dégradé quand on abandonne des lieux de loisirs, des jardins publics au point qu'ils deviennent un danger pour les citoyens afin d'en faire profiter des ayants droit. Quand on nomme à la tête des sociétés nationales et des institutions publiques, des liquidateurs certifiés incompétents et experts dans les détournements pour que tout gradé n'ait qu'une main à tendre pour recueillir le fruit mûr. Ainsi le prestige est sauvé et nul n'est responsable des brebis galeuses. Et comme l'argent est le nerf de ce bas monde, les riches du système socialiste de Boumediene ont basculé dans l'ère capitaliste de Chadli en soulevant un simple voile, vraiment génial comme dégradé.

LA STRATEGIE DU DIFFERE

«Une autre façon de faire accepter une décision impopulaire est de la présenter comme «douloureuse mais nécessaire», en obtenant l'accord du public dans le présent pour une application dans le futur.» Exemple : le passage à l'euro et la perte de la souveraineté monétaire et économique des pays Européens signés en 1994-95 pour une application en 2001. Autre exemple : les accords multilatéraux du FTAA que les USA ont imposé en 2001 aux pays du continent américain pour 2005. Nous, avec le joker inchallah, on est toujours à l'aise avec le futur. En France, les politiciens avancent avec des mains de velours glissées dans des gants de la même texture concernant la réforme des retraites ou la bombe à retardement de la dette. Le différé c'est quand le pouvoir est plus ou moins partagé avec un président qui doit tenir compte, rendre compte, prendre compte. Mais quand on a la chance d'avoir un raïs à 100 % «no compte» et de surcroît diplomate, le différé c'est : «On fera ça demain, inchallah» c'est-à-dire jamais ou illico : «Tel est mon désir si Allah le veut ou ne le veut pas.».

S'ADRESSER AU PUBLIC COMME A DES ENFANTS EN BAS AGE

«La plupart des publicités destinées au grand public utilisent un discours, des arguments, des personnages et un ton particulièrement infantilisant, souvent proche du débilitant, comme si le spectateur était un enfant en bas âge ou un handicapé mental.» C'est parce que la publicité s'adresse aux enfants qui sont censés influencer les parents. Nous sommes à l'ère de l'enfant roi qui rapporte gros au marché, il est loin le temps du papa fouettard, disons du papa tout court. Coluche en reprenant simplement les mots de la pub hors de leur contexte a réussi à faire rire : «la lessive qui lave plus blanc que blanc» etc. Aujourd'hui on estime que le budget de la publicité est aussi important que celui de l'éducation aux USA et sans doute dans bien d'autres pays. Cette industrie a un message attrape-nigaud qui n'a souvent rien à voir avec le commerce ni avec le produit. Elle est devenue la première ressource des médias. Ces derniers ne sont plus le «quatrième pouvoir» mais le Pouvoir, ils font et défont l'opinion obligeant les politiciens à suivre. D'après des études américaines, la publicité est le facteur principal de l'évolution des mœurs. Elle fait «appel pour une part, à la psychologie des profondeurs et, pour une autre part, à la théorie esthétique. La raison n'avait plus qu'à se déplacer vers d'autres arènes.»(2)

FAIRE APPEL A L'EMOTIONNEL PLUTOT QU'A LA REFLEXION

«Faire appel à l'émotionnel est une technique classique pour court-circuiter l'analyse rationnelle et donc le sens critique des individus. De plus, l'utilisation du registre émotionnel permet d'ouvrir la porte d'accès à l'inconscient pour y implanter des idées, des désirs, des peurs, des pulsions, ou des comportements...» Quand les Japonais (ou Chinois) ont sublimé le message du FIS en écrivant au laser le nom d'Allah sur le ciel, la foule exaltée était constituée de désœuvrés analphabètes, mais aussi d'universitaires prêts à croire à tous les miracles. Et comme on les comprend quand on voit ce qu'est devenu le rationnel dans nos universités. Mostafa Lacheraf écrit : «Le folklore et l'exploitation abusive de l'héroïsme guerrier sont devenus les deux mamelles de certains pays du Maghreb et remplacent successivement et sur une plus grande échelle encore la sous-culture coloniale ?Quand on invite nos écrivains à parler de révolution populaire, pourtant trahie, c'est cet héroïsme et seulement lui qu'on propose à leur verve exaltée et sur commande? détourne les gens des réalités nouvelles et du combat nécessaire?» Cette stratégie de la manipulation opère donc chez nos lettrés. Ils sont sommés d'appartenir à un clan de choisir une idéologie. Au bled l'universel ne leur parle plus et loin de lui, c'est le traumatisme du déracinement.

Il suffit alors que des gourous les chauffent à blanc pour qu'ils s'entre-dévorent tels des loups enragés en dépit de leurs longues études supposées les protéger de cette barbarie. «La littérature algérienne est souvent une littérature d'errance, de déracinement, d'aliénation.» écrivait Charles Bonn en 1974 en ajoutant «l'Algérie est, de l'ensemble des pays du Tiers monde, l'un de ceux dont la littérature?connut le plus grand retentissement et la production la plus féconde.» Comment avec un tel capital a-t-elle pu sombrer plus profondément que les autres dans l'irrationnel ?

MAINTENIR LE PUBLIC DANS L'IGNORANCE ET LA BETISE

«La qualité de l'éducation donnée aux classes inférieures doit être de la plus pauvre sorte, de telle sorte que le fossé de l'ignorance qui isole les classes inférieures des classes supérieures soit et demeure incompréhensible par les classes inférieures.» L'école a été une réussite en ce sens -là. Eduquer rééduquer en faisant vibrer les fibres «animales» sans jamais réveiller la réflexion positive. Et garder l'élève jusqu'à 16 ans alors qu'à 12 ans le cerveau est au maximum de ses capacités d'apprentissage est un gâchis cérébral. On a voulu mettre tous les enfants dans un seul moule afin d'en récupérer une poignée et se débarrasser du reste en plein crise d'adolescence. Ce n'est pas pour rien que la délinquance guette aux portes de l'école. On a supprimé l'enseignement professionnel en demandant à l'enseignement général de donner une profession à chacun. Quant à la qualité, il n'y a qu'à comparer l'élève du primaire des années 50 et celui des années 2000 avec tous les gadgets modernes qui avantagent ce dernier.

Ajoutons l'argent à ce creuset et nous plongeons dans la fosse des Mariannes. Aux USA, pour poursuivre leurs études universitaires, les étudiants pauvres s'endettent sans garantie de trouver un boulot une fois leur diplôme en poche. Mais l'Amérique reste le seul pays qui peut rafler en une année 5 prix Nobel dont 4 d'origine étrangère. Quant à l'Algérie, l'école est un dossier clos sauf pour le carnaval nommé Bac et la fiesta qui en découle.

ENCOURAGER LE PUBLIC A SE COMPLAIRE DANS LA MEDIOCRITE

Encourager le public à trouver «cool» le fait d'être bête, vulgaire et inculte... Il n'y qu'à voir le classement des gens du show-business parmi les plus populaires les plus puissants les plus beaux les mieux habillés etc. Aucun ennuyeux scientifique aucun humaniste ringard aucun philosophe has been n'en fait partie. À voir la Une des journaux des magazines la page des sites influents le programme de la télé pour s'assurer que tout le monde est «cool».

D'après Postman, la meilleure manière de connaître une civilisation c'est d'étudier ses outils de conversation. En 2012 Obama n'a pas hésité à faire appel à la chanteuse Shakira comme conseillère en matière d'éducation pour la minorité hispanique qui a voté pour lui. On ne sait pas quel est le QI de la star colombienne, mais la nommer grande prêtresse dans le domaine éducatif jugé par Freud lui-même comme mission impossible c'est à donner sa langue et sa cervelle au chat. On a inventé des diplômes de docteurs honorifiques pour court-circuiter les vrais savants qui pour leur malheur passent mal à l'écran avec un langage d'extraterrestres. Alors, c'est les stars de la chanson du foot du cinéma qui nous jouent les Socrate les Einstein les Mères Theresa les Gandhi?dans tous les domaines. Forcément, à défaut de leur ressembler et face à un ciel stérile, ils deviennent nos nouveaux prophètes.

REMPLACER LA REVOLTE PAR LA CULPABILITE

«Faire croire à l'individu qu'il est seul responsable de son malheur, à cause de l'insuffisance de son intelligence, de ses capacités, ou de ses efforts. Ainsi, au lieu de se révolter contre le système économique, l'individu s'auto-dévalue et culpabilise, ce qui engendre un état dépressif dont l'un des effets est l'inhibition de l'action. Et sans action, pas de révolution !». Et si en plus du système économique nous devons nous révolter contre le Système lui-même, quelles sont les conséquences de cet échec sur notre mental ? Il n'y a pas de révolte à remplacer ; coupable, coupable, coupable même des catastrophes naturelles. C'est le séisme qui inspire le plus le discours officiel, d'Al Asnam à Boumerdès, nos péchés provoquent la colère divine. Pourtant, une semaine après le séisme de 2003, le sol japonais a tremblé avec plus d'intensité sans faire aucune victime? Allez savoir où commence et où s'arrête notre delirium tremens. Il n'y a pas de statistique pas d'enquêtes pour analyser l'opinion publique, mais combien d'Algeriens pensent au fond d'eux-mêmes que la révolte de 88 a causé plus de mal que de bien ? Combien parmi les rebelles ont basculé dans les bras du FIS avant d'être récupérés par son bras armé ? Et le plus comique c'est que ce «chahut de gamins» d'hier est devenu notre «printemps» d'aujourdhui. Cette stratégie opère en Algérie comme un couteau dans du beurre en plein désert : ça fond à distance. Il suffit de voir avec quel mépris l'administration à tous les niveaux culpabilise le citoyen lambda demandeur d'un simple papier et avec quel fatalisme cet indigène courbe le dos. Celui qui manque d'élasticité dorsale n'a qu'à se soigner sur le divan du psy ou du geôlier. Révolté ou résigné, l'Algérien est fait pour couver le virus de la culpabilité.

CONNAITRE LES INDIVIDUS MIEUX QU'ILS NE SE CONNAISSENT EUX-MEMES

«Au cours des 50 dernières années, les progrès fulgurants de la science ont creusé un fossé croissant entre les connaissances du public et celles détenues et utilisées par les élites dirigeantes. Grâce à la biologie, la neurobiologie et la psychologie appliquée, le «système» est parvenu à une connaissance avancée de l'être humain, à la fois physiquement et psychologiquement. Le système en est arrivé à mieux connaître l'individu moyen que celui-ci ne se connaît lui-même. Cela signifie que dans la majorité des cas, le système détient un plus grand contrôle et un plus grand pouvoir sur les individus que les individus eux-mêmes.» En un mot, on a réussi à déchiffrer le mode d'emploi de la machine humaine. Aujourd'hui, la NSA, agence américaine de renseignement, est en train de mettre au point un système d'intelligence artificielle ayant la capacité de «lire dans les pensées». Un chercheur de la NSA affirme : «Nous échangeons de plus en plus de données, que ce soit par le biais de téléphones, de carte à puce, de réseaux sociaux, de géolocalisation, des recherches internet etc.

Il sera bientôt possible de savoir ce que X pense de Y.» Des centaines de milliers de personnes y travaillent pour savoir ce qui se passe dans la tête des terroristes. Car depuis le 11 septembre 2001 tout a changé pour tout le monde. Et nous qui croyons naïvement que celui qui commet des attentats a tout sauf une tête qui pense. Le drame c'est que vu l'état du monde, nos manipulateurs se révèlent de plus en plus bêtes, on n'a plus affaire à des personnes qui ont un but un motif. Ils naviguent à vue sans carte ni gouvernail juste pour le plaisir de manipuler comme des psychopathes qui commettent des crimes par pulsion. Il ne suffit pas de mettre les islamistes au pouvoir dans tous les pays arabes pour vaincre le terrorisme. Ce fléau est l'explosion d'une cocotte-minute dont le bouton n'a jamais été desserré et les intégristes nous ont démontré qu'ils sont encore plus mal placés pour changer la donne. Le sociologue P. F. Lazarsfeld affirme que la manipulation parfois échoue en entrainant des réactions de rejet? On le voit en Turquie, tout rejet génère son propre rejet. Avant la manipulation était instinctive humaine maintenant elle a des techniques une «grille» et fatalement elle aboutit au broyage de la matière grise. Avec ce processus de dégénérescence on sait ce qu'on perd, mais on ignore où l'on va. Ces stratégies ne connaissent aucune frontière puisque le monde est devenu un village, le «village de Potemkine» : le village fictif.

(1) Sylvain Timsit (Extraits de «Armes silencieuses pour guerre tranquilles.)

(2) Neil Postman( Se Distraire à en Mourir )