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Quand le FMI reconnaît ses erreurs…

par Akram Belkaïd, Paris

Le rapport, ultra-confidentiel, n’aurait jamais dû être connu du public mais des fuites dans la presse étasunienne ont obligé le Fonds monétaire international (FMI) à le diffuser dans sa totalité. Il faut dire que ce document est une critique, sans appel, de l’intervention conjointe de la «Troïka» (FMI, Commission européenne et Banque centrale européenne) pour sauver la Grèce de la faillite, en 2010. Pour mémoire, ce sauvetage a coûté près de 260 milliards de dollars en prêts auxquels s’ajoutent plus de 100 milliards de dollars d’effacement de dettes. Une aide colossale, donc, en échange d’un plan drastique de rigueur imposé à la Grèce.

L’AUSTERITE ? UN ECHEC NOTABLE

Or, le FMI reconnaît, aujourd’hui, avoir trop cru dans les vertus de l’austérité. L’institution qui, à son niveau, a déboursé 47 milliards de dollars pour sauver la Grèce, s’est basée sur des «scénarios trop optimistes» tout en admettant avoir «sous-estimé» les conséquences des sacrifices imposés à ce pays et à sa population. De fait, et contrairement à ce qu’espérait le Fonds, la Grèce n’est pas sortie de la récession, en 2012, et le chômage continue d’y augmenter, atteignant un taux de 25% en 2012, quand l’institution tablait sur un niveau maîtrisé de 15%. Résultat, le FMI parle «d’échecs notables» dans le dossier grec. Bien entendu, le grand argentier mondial fait mine d’oublier que de nombreux experts l’avaient mis en garde contre cette approche. Depuis la crise de 2008, des économistes renommés comme Paul Krugman et Joseph Stiglitz avaient averti que l’austérité ne marcherait pas pour résoudre les problèmes de la Grèce, en particulier, et de l’Europe en général. Même l’administration Obama a fait savoir, à plusieurs reprises, qu’elle s’inquiétait de la méthode employée en Grèce, craignant que cela ne débouche sur une crise majeure en Europe et, au final, sur un ralentissement de l’économie mondiale. Et ne parlons pas des Grecs eux-mêmes qui n’ont eu de cesse de protester contre les gigantesques économies et baisses de salaires qui leur ont été imposées. Par ailleurs, le document du FMI présente un autre intérêt car il met directement en cause l’Europe et sa Commission. Pour le Fonds, les tergiversations et l’attentisme des Européens qui n’ont accepté de restructurer la dette grecque qu’au printemps 2012, seraient largement responsables de l’aggravation de la situation. Plus important encore, le rapport estime que la Commission européenne «n’avait aucune expérience en matière de gestion de crise». En clair, l’institution de Washington ne craint pas d’avancer l’argument de l’incompétence européenne pour se dédouaner, du moins en partie. Une manière de faire qui n’a guère été du goût de Bruxelles. Olli Rehn, Commissaire aux Affaires européennes, a ainsi estimé que le FMI n’était guère «équitable» et qu’il contrevenait à la nécessaire solidarité entre membres de la Troïka. Dans la foulée, le responsable européen a estimé que l’échec actuel du sauvetage de la Grèce est à imputer aux Grecs eux-mêmes en raison, notamment de leur «corporatisme» et des résistances politiques aux réformes.

L’EUROPE N’EN DEMORD PAS

Le propos d’Olli Rehn n’est guère étonnant. Alors qu’on peut concéder au FMI qu’il a, au moins, accepté de faire son mea-culpa, l’Europe, elle, continue d’avancer avec ses œillères façonnées par la pensée unique. Tandis que le monde entier s’interroge sur les limites des politiques libérales, tandis que les Etats-Unis n’ont pas hésité à faire de la relance budgétaire l’arme de sortie de crise et tandis que les pays émergents louvoient en matière de protectionnisme, l’Europe continue d’être le dindon de la farce, en raison de l’incapacité de ses dirigeants à se sortir du carcan néo-libéral. Ainsi, même quand le FMI reconnaît que l’austérité ne marche pas, la Commission de Bruxelles continue d’y croire dur comme fer, à l’image d’une tribu païenne vénérant une statue de pierre.