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Industries culturelles en Algérie : limites et perspectives

par Dr Ammar Kessab

En Algérie, il n'existe aucune étude qui fait un état des lieux précis des industries culturelles ou qui mesure leurs impacts sur le développement du pays.

Ce manque d'intérêt pour les industries culturelles -que ça soit de la part des chercheurs ou de la part des autorités- résulte de la faiblesse de ce secteur en Algérie qui est encore à l'état embryonnaire. Cette situation est la conséquence d'un ensemble d'obstacles d'ordre systémique mais aussi structurel qui empêchent leur émergence.

Nous allons mettre la lumière sur deux obstacles majeurs qui constituent, à notre sens, un frein au développement des industries culturelles et une pierre d'achoppement notamment pour les entrepreneurs qui souhaitent produire d'une façon industrielle des biens dont la valeur tient dans leur contenu symbolique, comme le livre, le disque, le cinéma, etc. :

1) Un facteur économique :  l'économie de rente

2) Un facteur politique : restriction  de la liberté d'entreprenariat culturel

1. LE FACTEUR ECONOMIQUE «L'ECONOMIE DE RENTE»

Depuis plusieurs décennies, l'Algérie fonctionne selon un système économique à base de rente (revenus des ressources naturelles). L'accumulation de la rente et sa distribution constitue de ce fait l'activité économique principale -si on peut la considérer comme telle- ce qui rend l'objectif principal des économies de marché, à savoir produire un surplus accumulable par la production et le rapport salarial, complétement dérisoire. Ainsi, la rente est-elle un surplus d'origine extérieur au système productif qu'elle intoxique plutôt qu'elle ne dynamise de ses effets (re)distributifs .

De ce fait, sur le plan macroéconomique, le système à base de rente, de par son incapacité à maîtriser un principe fondamental de l'économie de marché qui est le profit, est en soi un frein à la production.

Comme l'ensemble des autres composantes des autres secteurs d'activité, les industries culturelles sont victimes de cette logique rentière. Leur développement, et par conséquent les surplus qu'elles peuvent générer, ne sont point une priorité.

Ainsi, la priorité aujourd'hui pour, par exemple, un éditeur (un secteur qui profite de subventions très importantes), n'est pas de publier des livres de qualité pour les vendre sur le marché et ainsi générer du profit. Sa priorité est d'avoir une subvention du ministère de la Culture qu'il considère comme un droit dans le cadre de cette logique de distribution de la rente. Une grande partie des livres édités jusqu'ici dans le cadre des grandes manifestations culturelles (Année de l'Algérie en France, Alger Capitale de la Culture Arabe, Festival Panafricain d'Alger ou encore Tlemcen Capitale de la Culture Islamique), sont souvent, pour l'anecdote, des mémoires de master que les éditeurs vont directement chercher dans les bibliothèques universitaires, pour les présenter ensuite au ministère selon les besoins en " thème " de la manifestation à venir.

Ces publications sont souvent détruites après leur publication sans qu'elles puissent arriver aux lecteurs -de toutes les façons il n'existe pas de circuit de distribution-. Les rares éditeurs qui font un travail de qualité ne reçoivent pas de subventions.

12. LE FACTEUR POLITIQUE «RESTRICTION DE LA LIBERTE D'ENTREPRENARIAT CULTUREL»

Depuis l'indépendance de l'Algérie, l'entreprenariat dans le secteur culturel a toujours constitué une vraie phobie pour les autorités qui l'ont toujours regardé d'un mauvais œil et ont tenté par tous les moyens de limiter son essor. Les secteurs culturels indépendant et privé sont de ce fait souvent montré du doigt en utilisant des arguments variés et divers, allant de la lutte contre le capitalisme aux dangers des productions qu'ils génèrent sur les composantes identitaires de la nation, etc.

Mais cette tendance s'est particulièrement accentuée depuis le début des années 2000. Doté du budget le plus important en Afrique et dans la région arabe (561 millions de dollars en 2012), le ministère de la Culture a opté pour une stratégie hégémonique qui ne laisse aucune place aux secteurs privé et/ou indépendant.

Plusieurs mécanismes ont été instaurés dans ce sens pour contrôler la production cinématographique, l'édition, ou encore le spectacle vivant. Ainsi, les livres et les scénarios sont soumis à des comités de lecture (dont on ignore les membres, le mode de fonctionnement, etc.), et les organisateurs de spectacle doivent avoir une " licence de promoteur de spectacle ". Seules 28 licences ont été octroyées jusqu'ici pour des personnes souvent très proches du ministère. On peut aussi citer l'exemple du sponsoring où, pour qu'elle puisse bénéficier des avantages fiscaux dans le cas d'un sponsoring, une entreprise doit faire au préalable une demande au ministère de la Culture qui lui, après vérification de l'activité que l'entreprise veut sponsoriser, donne (ou pas) son accord pour que cette entreprise puisse bénéficier de cet avantage fiscal.

LES PERSPECTIVES :

Si les limites du développement des industries culturelles en Algérie paraissent aujourd'hui insurmontables, en ce sens où l'économie de rente est devenue presque une fatalité -en attendant l'épuisement des ressources naturelles- et que les restrictions faites aux entrepreneurs culturels ont été consolidées par un cadre juridique solide et des mécanismes finement élaborés, il existe néanmoins un espoir et une première étape à engager avant de voir émerger concrètement les industries culturelles, dans les 10 ou 15 à venir. Cette première étape consiste en l'instauration d'une politique culturelle claire dans laquelle le soutien aux industries culturelles est explicitement évoqué. Cette politique culturelle doit permettre aussi de stopper la stigmatisation dont souffre les secteurs privé et indépendant, pour les laisser entreprendre en toute liberté dans le secteur des industries culturelles. A ce jour, l'Algérie n'est dotée pas d'une politique culturelle.

Le Groupe de Travail sur la Politique Culturelle en Algérie est un groupe de jeunes Algériens, indépendant, issus de divers domaines. Après plusieurs mois de rencontres et d'échanges avec plus d'une centaine d'acteurs du secteur culturel, ils ont élaboré une politique culturelle pour l'Algérie. Elle a été diffusée en février 2013. Ce projet de politique culturelle contient un chapitre consacré aux industries culturelles et créatives. On peut y lire, en plus des objectifs généraux pour lesquels les industries culturelles doivent être développées, des recommandations concrètes comme par exemple la création d'un Institut National des Industries Culturelles qui sera en charge de suivre l'évolution de ces industries, et d'attirer les investisseurs dans le secteur du film, de l'édition et du disque en vulgarisant, notamment l'Ordonnance n°01-03 du 20 août 2001 relative au développement de l'investissement qui à nos jours, n'a attiré aucun investisseur, malgré les divers avantages qu'elle accorde à cause de la bureaucratie.

N. B. : Cette communication a été présentée aux Journées d'étude "Entrepreneurs culturels et industries culturelles au Maghreb" à l'IHEC Carthage (Tunis) le 24 mai 2013.