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La symbolique de Kaïraouane et le salafisme tunisien

par Abdelkader Leklek

L'exercice que je vous propose se veut comme un démenti au préjugé porté à l'encontre des jeunes Algériens qualifiés tantôt de violents,

souvent d'indolents voire même de fainéants par tous ceux qui, faute de pouvoir les dominer ou les utiliser à des fins partisanes ou politiciennes, les accablent de tous les maux.

On les avait annoncé 40 000 salafistes qui débarqueraient sur la cité des Aghlabites, Kaïraouane, qui compte 120 000 habitants, pour participer au 3èm congrès des Ansar Ach- Charia. Soit un tiers de sa population en plus, de barbus islamistes déferlant sur l'historique cité, classée au patrimoine mondial de l'Unesco. Et depuis lors la Tunisie officielle retenait son souffle. Et silence radio au palais de carthage. Ailleurs remue ménage, branle bas de combat, ordres, contre ordres et énormément d'hésitation. Oui et pour cause, au pays du jasmin et de la révolte du ?'dégage'' du 14 janvier 2011, tout cela c'est du jamais vu, de l'inusité qui draine de multiples inconnues, auxquelles les services de sécurité tunisiens doivent faire face. D'aucuns des spécialistes du domaines affirment que ces forces, ne sont ni formées, ni outillées pour ce faire. D'ailleurs la rumeur n'avait pas tardé à envahir la rue tunisienne, disant que des dizaines de policiers dans le but de se soustraire à l'affrontement quasi certain avec les islamistes de Ansar Ach-Charia, avaient présenté des certificats médicaux prescrivant des arrêts de travail, pour cause de maladie. Ce qui obligea le ministère de l'intérieur de démentir. S'agissait-il d'opération intox, orchestrée par les islamistes ? La tension entre les deux camps est à son paroxysme, elle est à son point de rupture. Le ministère a décidé le 18 mai d'interdire le rassemblement de Kaïraouane. Et avant cela, Rached Ghannouchi, déclarait le mercredi 15 mai, lors d'une conférence de presse au siège de son parti. Que ce congrès :''n'a pas été autorisé et n'aura donc pas lieu''. Et jusqu'au vendredi 17, le gouverneur de Kaïraouane, Abdelmajid Laghouen hésitant et tergiversant, se défaussait sur les services du ministère de l'intérieur.

Et par ailleurs annonçait une démarche en cours engagée en collaboration avec une association, afin de trouver une sortie pacifique à cette situation de crise, entretenue par des communiqués à teneur belliqueuse d'un coté et martiale de l'autre. Frère musulman lui-même, ce gouverneur candidat malheureux aux élections à l'assemblée nationale constituante sur la liste du parti En-Nahdha à Médnine, dans le sud tunisien, avait été repêché et nommé par l'ex premier ministre Hamadi Djébali, et l'actuel titulaire du poste, Ali Laarayedh, alors ministre de l'intérieur, comme 7 autres militants du parti, à la tête de gouvernorats, en 2012. Comme argumentaire ,le wali de Kaïraouane, convoque en justificatif disculpant, la personnalité du président de l'association ''Al Ansar Oua Souna'', Mohamed Khélif, qui dit-il est le digne fils de l'ancien imam de la première mosquée de Tunisie et de tout le Maghreb al Arabi ,le cheikh Abderahmane Khélif ?' Nous prendrons toutes les dispositions pour assurer le bon déroulement de ce forum ; une fois cette autorisation accordée, a-t-il indiqué, avant d'ajouter que :'' Des mesures sécuritaires seront prises pour effectuer des contrôles rigoureux au niveau des rentrées principales de la ville ?'. Ceci dénote soit la sympathie du gouverneur, gardien de l'ordre public, pour le courant islamiste, dont son mentor Ghanouchi gratifiait il y a peu, les animateurs de ?'ses enfants''. Sinon, c'est un indicateur d'absence de stratégie face à pareils évènements. Ce qui s'assimile dans ce cas, à l'instinct de conservation, qui refait surface chez l'être humain dès qu'il est en danger. Car l'illustre père du médiateur entre l'administration et Ansar ach-Charia, fut véritablement l'imam principal de la grande mosquée de Kaïraouane, mais il était du courant salafiste zeïtounien conservateur, qui souvent eut maille à partir avec les néo-destouriens modernistes conduit par le Zaïm Habib Bourguiba. Le sociologue tunisien, Mohamed Kerrou dresse, dans le n°125 de juillet 2009 de la revue des mondes musulmans et de la méditerranée, un portrait à partir de faits historiques, dont la quatrième ville sainte de l'Islam, après la Mecque, Médine et Al-Qods, Kaïraouane, fut le théâtre.

Il rapporte, entre autres que : ?' le cheikh khelif-1917/2006, diffusa dans les années 60, un livre vert, où il s'attaqua violemment à ceux qui rompent le jeûne de Ramadan au point que verser leur sang serait, à ses yeux, licite et la prière des morts non autorisée à leur égard''. Cette figure charismatique s'était opposée farouchement, au lendemain de l'indépendance nationale, au zaïm et président Habib Bourguiba, en critiquant ses réformes modernistes qui ont abouti à la liquidation de l'université islamique de la zeïtouna de Tunis, à l'émancipation de la femme et au rejet du jeûne, du sacrifice de l'Aïd et du pèlerinage à la Mecque. Après ces faits de guerre, ce cheikh sera une première fois récupéré par le parti socialiste destourien, qui vota la présidence à vie à Bourguiba. Rentré dans les rangs, le cheikh rejoindra également le régime de Ben Ali. A ce sujet Kerrou rapporte ceci : ?'après avoir réintégré sa fonction d'imam de la grande mosquée , Khélif fut désigné membre au conseil supérieur islamique en 1988,et une année plus tard, il fut élu membre de la chambre des députés à la suite d'élections où il fut tête de liste du parti gouvernemental, le RCD, à Kairouan, en compétition avec une liste ''indépendante ?',conduite par monsieur Kéfi, professeur de sciences naturelles et militant de la Nahdha, ex- Mouvement de la Tendance Islamique''. Et comme dans de pareilles postures de militantisme de conviction, les vieux démons ne meurent jamais. L'honorable cheikh Khélif, mu par la concrétisation des objectifs de son combat islamiste conservateur, fit feu, à l'occasion de son mandat de député, de tout bois et s'attaqua à un autre illustre tunisien, le professeur émérite à la faculté des sciences juridiques de Tunis, ancien président de la ligue tunisienne des droits de l'hommes et ministre de l'éducation et des sciences de 1989 à 1994, Mohamed Charfi. Cet intellectuel avait été nommé à ce poste dans le cadre de la politique d'ouverture à la société civile prônée par le premier, premier ministre de Ben Ali, Hédi Bakouche, qui avant le coup d'état médical exécuté par le général Ben Ali, était l'ambassadeur de Tunisie en Algérie. La levée de boucliers était la contestation du chantier de modernisation de l'enseignement entrepris par le nouveau ministre de l'éducation, qui envisageait de secouer le secteur et le faire entrer dans la modernité voulu par les impératifs de la vie au 21èm siècle. Dans son livre : Islam et liberté, le malentendu historique, Albin Michel 1998, Mohamed Charfi présente son projet, intitulé : pour la réforme de l'éducation comme suit : en même temps qu'il prépare le jeune à accéder plus tard à l'université ou à l'enseignement professionnel pour l'apprentissage d'un métier, le système éducatif a pour objet d'assurer la ?'formation du citoyen''. Pour cela, il est indispensable que les idées soient précisées et les choix politiques soient clairement affirmés sur les questions essentielles est épineuses de l'identité, de la langue et de la religion, afin qu'il ait plus d'ambiguïté sur l'esprit de l'enseignement''. Le vénérable cheikh répondit par l'anathème à cette façon de conceptualiser la fonction de l'éducation. Il formua sa réprobation dans le style en usage dans son milieu de pensées.

Il dit : ?'nous ne l'insultons pas et nous ne le maudirons pas, nous n'appelons pas à son meurtre comme avait fait Khomeiyni avec Salman Rushdie. Toi, Tu as dit et Ton jugement est véridique : O Dieu, Tu es notre tuteur ; nous nous plaignons de lui auprès de Toi. Si Tu veux, Tu peux accélérer sa punition en ce monde ; si Tu veux, Tu renvoies sa punition au Jour du Jugement Dernier ; et si Tu veux, le punir à la fois ici-bas et dans l'au-delà''. Ce serait-ce la recherche de cet esprit là, que Ansar Ach-Charia, sont venus à travers la tenue de leur troisième congrès à Kaïraouane ? La réponse serait par oui, si l'on prend en compte les capacités manœuvrières et les aptitudes manipulatrices de ce courant de pensée, qui sollicite la religion pour les besoins de son projet politique. La symbolique de ville de Kaïraouane dans l'imaginaire collectif et culturel tunisien, le cultuel, le rituel, le mystique, le territoire, les ancêtres, les hommes leurs héroïsme et leurs victoires, est un support efficace dans une pareille opération de communication. C'est la première ville de l'islam au Maghreb, qui aura permis son rayonnement. Ceux sont Okba Ibn Nafaa' et Hassen Ibn Anou'man Al Ghassani, qui auront permis aux musulmans et à l'islam maghrébins de conquérir l'Espagne et d'arriver jusqu'à Poitiers en France. Et ce n'est pas par pur hasard que les djihadistes qui campent dans les monts Chambi, point culminant de Tunisie 1554 mètres d'altitude, qui domine la ville de Kasserine, pour imposer leur futur état théocratique à tous les tunisiens, ont baptisé leurs troupes de Katibet Okba. Mais tout cela n'est que tripotage de l'opinion publique pour la conquérir, car concilier la symbolique de Kaïraouane, d'un coté et de l'autre la profanation de dizaines de mausolées à travers toute la Tunisie, et particulièrement, le plus emblématique d'entre eux, celui de Sidi Bou Saïd dans la cossue banlieue nord de tunis. Mais en définitive, et en dépit de tout le tapage médiatique, le congrès n'a pas eu lieu. La figure de proue du mouvement Ansar Ach-Charia, Abou Ayad, de son vrai nom Seif allah Ben Hassine, ce vétéran d'Afghan de 43 ans, disciple d'Abou Qatada, l'idéologue d'Al-Qaida avait dès l'année 2000 créé, le groupe des combattants tunisiens -GCT- une organisation classée terroriste par le Conseil de sécurité des Nations unies, a brillé par son absence. Son acolyte de porte parole du mouvement, Seif-Eddine Rais, avait lui était arrêté la veille du congrès le samedi 18 mai, à l'entrée de Kaïraouane par un barrage de police comme de la bleusaille d'activistes. Et fait, il faisait déjà l'objet d'une instruction judiciaire pour incitation au meurtre contre les journalistes et les agents de police. Les 11 000 policiers, gardes nationaux -gendarmes- et militaires et tous leurs matériels ne furent que relativement sollicités à travers les rues de l'historique ville. Bien au contraire, ce qui a été cocasse pour les services de sécurité, durant cette journée chaude, c'est la présence de Amina tayler, la Femen tunisienne venue narguer les islamistes et pas seulement. Elle avait tagué le mot Femen en noir sur un muret de la mosquée, c'est sur elle, que quelques passants pas plus de cinq avaient lancé le fameux ?'dégage''. Il y avait plus de policiers, que de manifestants de mécontents de sa présence. Elle fut conduite à un car de police dans le calme et ramenée chez elle. L'évènement est consultable sur la toile. Cependant ce qui n'était pas prévu, du moins sur le tableau de bord des policiers, c'est le choix du terrain de l'affrontement que leur imposeront les salafistes, puisqu'ils choisiront leur fief de Tunis pour en découdre. La bataille eut finalement lieu dans quartier illicite à l'origine qui avait, à partir de 1970 accueilli des migrations de tunisiens venus de l'intérieur du pays, rechercher du travail dans la capitale. Situé dans la banlieue noud ouest de Tunis, il a toujours représenté le creuset de la mouvance islamiste avec tous ses courants. Il y eut un mort par balles et six blessés plusieurs policiers diversement atteints. Si le premier ministre et son ministre de l'intérieur semblent en interdisant la tenue du 3èm congrès de Ansar Ach-Charia, avoir choisi, la ferme application de la loi, même par force et au prix de mort d'homme. Ils doivent pareillement avoir mesuré dans leur nouvelle stratégie, la contre réaction, qui ne peut désormais n'être que plus radicale. La première conséquence serait un appel d'air à gonfler les effectifs des djihadistes de Chambi, et ailleurs en Tunisie, où il y a risque de naissance d'autres maquis.

Car on est loin de la position wait and see, observée par Djébali premier ministre alors, et Ali Laarayedh ministre de l'intérieur lors de l'attaque et l'incendie de l'ambassade US de Tunis et de son école, où justement, le chef des salafistes Abou Yadh, était venu au plus près narguer les forces de l'ordre sans être inquiété. Et si la symbolique de Kaïraouane a bien fonctionné médiatiquement, Ansar Ach-Charia, ont désormais amorcé le bras de fer qui ne s'arrêtera pas de si peu, avec les forces de l'ordre, mais surtout avec les islamistes d'En-Nahdha aux commande du pays, auxquels ils reprochent la tiédeur dans la réalisation du projet de l'état islamique de tunisie. Mais le plus grand perdant et dorénavant déclassé par les évènements, c'est monsieur le président de la république par intérim, Moncef Marzouk, qui dit-on, cherche des soutiens à sa future candidature à l'élection présidentielle de Tunisie, dans les milieux islamistes. Pour un médecin neurologue reconverti en politique, la symbolique et l'emblématique stimulent le rêve et la représentation. Il n'y a pas que les islamistes qui représentent et figurent pour se vendre en politique. Car d'autres observateurs, sur la place de Tunis disent, que le pouvoir nahdhaoui en panne depuis quelques temps, avait en accord avec d'autres, organisé tout cela pour montré qu'il maîtrisait les choses, et que point de salut pour la Tunisie et les tunisiens, sans lui lors des prochaines échéances électorales, la présidentielle particulièrement.