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La «centralité», c'est quoi au juste ?

par El Yazid Dib

Les concepts sont visqueux quand il s'agit de discours politiques. Ils le sont moins quand ils passent à la réalité. Chaque responsable tient à avoir dans son discours un propos axial sur lequel va se reposer tout un programme. Nous sommes à l'ère de la centralité. C'en est quoi au juste ?

« La centralité est la propriété conférée à une ville d'offrir des biens et des services à une population extérieure, résidant dans la région complémentaire de la ville ». La « centralité urbaine » a été proposée par le géographe allemand Walter Christaller en 1933. Elle consiste, cette théorie spatiale en l'établissement d'un « modèle de hiérarchisation des réseaux urbains en fonction des services et des commerces qui s'y trouvent » durant des années des années et des années des villes et des cités se sont construites, sans avoir à crier à cette « centralité » qui fait maintenant des siennes. Le salut d'une belle vie au sein d'incandescents milieux terrestres ne tombe pas du ciel. On pond des normes, on trace des contours, on signale des médiocrités et le tour bienfaiteur écrit et consigné est fait. On suit, on construit, on contrôle et l'on vit en douceur.

Le cahier des charges que s'est fixé le gouvernement Sellal contenait certes plus de flexibilité, de choses faisables et des mesures fortement ambitieuses, mais aussi une contrainte majeure. Le temps. Maintenant que les débats se sont achevés, les réponses du chef du gouvernement assurées, peu importerait cette phase d'examen parlementaire. Le projet a été adopté sans surprises. Là, aussi n'est pas le problème, quand celui-ci se situe dans le facteur temps. C'est un staff gouvernemental qui entreprend dans une durée politiquement déterminée. Consommant déjà quelques gros mois, Il a une année pour pouvoir non seulement lancer ses propres actions innovantes et de redressement mais également parachever le reliquat des œuvres en cours de réalisation ou en voie d'achèvement. C'est ce qui, semble-t-il a amené Sellal à prendre son bâton de pèlerin et circuler de long en large le territoire. Certains ministres gardant leurs fonctions sont eux-mêmes les initiateurs de ce reste à réaliser, ils en seront en conséquence les hypothétiques finisseurs. Pour les autres, la feuille de route est toute tracée.

C'est « le quotidien de l'algérien » qui constitue en fait la trame de fond du document de septembre 2012 venant sous forme d'un ensemble d'objectifs socio-économiques. Le « climat des affaires » selon Sellal devra être aéré par des dispositifs amélioratifs pour stimuler la compétitivité et partant assurer une production nationale apte « à booster l'investissement ». Pourvu que le programme en question ne s'aligne par en toute exclusivité, comme les précédents sur la seule dépense publique. Le trésor n'engendra pas la richesse, il l'accompagne. Là ; récemment le premier ministre à lancé un holà face aux grandes entreprises nationales, les exhortant à créer plus de richesse nationale. L'Etat n'est plus, ou ne le sera plus, apte à hisser encore des structures essoufflées peinant à se valoriser.

Le programme de Sellal, en fait un plan narratif est décliné en actions phraséologiques à même de vulgariser la contenance pragmatique du programme présidentiel. Contrairement à Ouyahia, véritable tribun et grand orateur, le chiffre ne semble pas être dans le cœur de Sellal. La statistique, les ratios et autres indicateurs de performance ne sont chez lui, que des figurations pour cacher le vrai désarroi populaire. A quoi aurait servi, en fait pour le commun des mortels citoyens ces tangentes, ces courbes, ces camemberts, ces graphiques ?

Il y est pourtant dit dans ce plan d'action qui d'ailleurs ne reprend en aucun cas le terme de centralité que c'est « le Schéma National d'Aménagement du Territoire (SNAT) qui constitue le cadre référentiel de la politique nationale d'aménagement du territoire pour les deux prochaines décennies » ( ?) Il est l'instrument stratégique de planification spatiale et sa mise en œuvre permettra de corriger les déséquilibres entre territoires et permettra aussi d'atténuer les retards de développement est-il consigné. C'est ainsi que quand Sellal est en visite, il n'éclipse pas un moment où il se sent obligé d'appeler les acteurs locaux à veiller sur le respect des espaces. Mais en fait le dessin des cités ne se fait-il pas en amont d'une étude lue et approuvée par l'initiateur qui n'est autre que l'autorité publique, avec ses démembrements d'entre Dlep, urbanisme et autre services de suivi et de contrôle ? A Aflou dans la wilaya de Laghouat il lançait sur un air de boutade «Révisez votre schéma, corrigez la centralité des espaces, il faut construire une place publique, comme ça les jeunes pourront faire des manifestations, vous connaissez bien les Algériens » Pour assener la finale estocade à son interlocuteur «vous maîtrisez mal l'utilisation de votre assiette de terrains, vous les avez remplis d'habitations, vous savez ce que c'est la centralité ? » Malmené le chef du projet aurait du répondre par l'affirmative, sinon expliquer au premier ministre sa version de la centralité. La réponse est vite contenue au sein même de l'interpellation de Sellal lorsqu'il continue son apostrophe « Où vont aller les jeunes ? Où est le jardin, les espaces verts, où est la mosquée?» ainsi on aurait compris et bien compris le sens centraliste voulu par le premier ministre. Faire en sorte qu'il y ait un vrai centre-ville. Comme dans le temps. La place publique, la fontaine, la poste, l'église (la mosquée), la mairie, la boulangère et son épicerie et une esplanade pour le marché hebdomadaire. C'est très simple de le dire de cette façon. Soit revenir à l'ancien tissu urbain non seulement de type colonial, mais typiquement au sens de la Medina. Un modèle universel de ville. Le noyau central autour duquel pivotent l'activité et la vie de la cité.

Si la centralité vise à réhabiliter la vie en milieu urbain il faudrait d'abord clamer que nous construisons très mal. L'euphorie vers la convoitise du foncier n'a pas eu de limites. Les règles les plus élémentaires en termes de beauté et de viabilité sont totalement absentes. Les ruelles ont remplacé les boulevards. Le carrelage supplante le pavé. La bordure du trottoir n'est plus en pierre taillée. L'agencement des rues ne répond plus aux besoins de l'esthétique urbaine. Le béton dévore l'espace avec l'appétit d'une nécrose jamais rassasiée. Ni les délais de réalisation, ni le plan d'occupation au sol, ni les dégagements ou les traitements de façades ne sont objet à un respect rigoureux ou approximatif encore moins à un contrôle pour forcer légalement ce respect. Cette façon de gérer à la va-vite va garder à jamais des séquelles indélébiles. Un décor brut de briques, de dalles et de parpaings. Des constructions jamais faites, inachevées ou grossièrement entamées témoignent toujours de cette ruée vers l'auto-construction incontrôlée, libre et sauvage. Sans le savoir l'on a pu quand même faire naître des monstruosités. A l'exception de quelques rares grands centres urbains, toutes les cités ne reproduisent que des modèles déplorables. Une forte densité, un sentiment impersonnel, un cadre inhospitalier tels sont les principaux traits qui semblent les caractériser. Une non-gestion y est vite installée. En plus de cet aspect maussade de l'individuel, l'autre mode de construction en collectif est venu ternir davantage et à grande échelle l'image que l'on devait voir en réalité surgir des maquettes exposées et des plans étalés à chaque visite ministérielle ou lors d'inspection de chantiers.

Ces centaines de bâtiments, ces milliers de logements, n'arrivent à faire le bonheur que de leurs initiateurs d'entre walis et promoteurs. Ils n'y habiteront certainement pas, mais sont tout de même heureux de les avoir réalisés. Ces lots d'appartements formalisés sous divers intitulés du logement, social, évolutif, participatif, promotionnel ou combiné l'un à l'autre ne sont que des unités statistiques pour atteindre un objectif numérique. Dépourvus dans leur majorité du besoin qualitatif, ils n'offrent pas, peut-être devant la pression accentuée de la demande, une sensation agréable à la vue dehors ou à la vie dedans.

Mais à vrai dire, qui peut être derrière tout ce marasme de mal-vie intra-muros ? L'auto-constructeur, le gouverneur ou le concepteur ? L'ensemble, diront les uns. Le dernier plus que les autres dira les autres. Finalement, l'on s'aperçoit que gérer une ville demeure plus laborieux que de diriger un peuple. La ville est une idée. Le peuple, un ensemble de besoins. Le satisfaire resterait une question de bons de commande tout simplement. Alors qu'avoir une idée, la bonne, la plus utile, la nécessaire et la moins encombrante ce n'est pas un petit jeu. Dessiner la ville dans son ensemble naturel n'est pas de surcroît un simple coup de crayon et un va-et-vient rapide d'une gomme. Elle n'est non plus un avis personnel ou objet à relent d'un phantasme lointain à imposer par un quelconque décideur. La ville comme ses périphéries doivent obéir à des normes reconnues et validés, imposables à tous. L'envie intuitu-personae est à faire chez soi.

C'est maintenant que Sellal commence à secouer un peu le manque d'innovation. De grands boulevards spacieux, fortement linéaires et aérés, plantés de grands palmiers aux trottoirs ordonnancés vont sinon doivent dorénavant refléter à merveille qu'il va faire bon de vivre dans ces nouvelles agglomérations. Tout y sera. La place publique, la poste, la mairie, la polyclinique, le terrain de sport, les magasins, l'école mais aussi de l'ombre, de la lumière et du souffle. On y verra au moins le ciel et ses nuages. Mais l'essentiel restera après les inaugurations et les festivités, tout de même ce grand souci lié à l'entretien et la conservation des lieux. La cité ne doit pas reproduire une misère malgré l'effort budgétaire y injecté. C'est à l'Etat de finir cette mauvaise communication tendant à endosser la responsabilité de la propreté à tous. La propreté n'est justement pas l'affaire de tous. Elle est l'affaire de tout un chacun. Elle est civilisationnelle, éducative et familiale.

En somme, il apparaît que le progrès urbain ne peut être le produit d'une fantaisie ou d'un acte entêté d'autoritarisme. Le type d'hébergement ou le mode de vie citadine, outre qu'il tend à combler un besoin vital et naturel, semble s'astreindre à des options personnalisées. La ville est ainsi le résultat de tant d'efforts éparpillés et distanciés par le temps. La ville n'est-elle pas définie comme un ensemble d'abris habités et de structures qui assument les trois fonctions suivantes : travail, repos et loisir, dans les lieux qui leur ont été impartis, reliés par des réseaux de communication variés, en surface, dans les airs ou en sous-sols ? Est-ce encore cela « la centralité » ? L'on voit donc que la ville a une fonction et vise un but. Réussir la vie de ceux qui à la fois la servent sans être asservis par elle et se servent d'elle sans l'asservir. Telle devait être la philosophie présidant à la pensée, la création, la gestion et la réhabilitation des ensembles urbains.