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Du «modèle» allemand

par Akram Belkaïd, Paris

Pour la droite française comme pour bon nombre d’économistes européens, l’affaire est entendue. L’Allemagne est « le» modèle à suivre par une Europe en bien piteux état sur le plan économique, voire politique, avec la montée en puissance des mouvements populistes. Alors que l’Espagne, l’Italie et même la France font face au spectre de la récession durable et à l’explosion du chômage, l’Allemagne fait figure de champion à part du fait du dynamisme de ses exportations et d’un maintien de la croissance de son Produit intérieur brut ( 0,8% prévus en 2013).

UN LIVRE QUI REMET LES PENDULES A L’HEURE

Ainsi, le « modèle allemand» est-il porté aux nues et fait figure de feuille de route que certains pays, dont la France, feraient mieux de suivre. De quoi s’agit-il ? A parcourir la presse économique anglo-saxonne, on se rend compte qu’il est demandé à ces pays européens d’imiter l’Allemagne dans ce qu’elle a accompli en matière de réformes du droit du travail sous les mandats de Gerhard Schröder. Flexibilité, diminution des allocations chômage, limitation des exigences syndicales, austérité budgétaire, ce « downsizing» social ne cesse d’être réclamé par de nombreux patronats européens qui y voient l’unique possibilité de renouer avec la croissance.
Il est vrai que l’Allemagne s’en sort mieux mais il faut tout de même être prudent sur cette notion de modèle. Pour bien le comprendre, il faut lire l’ouvrage du journaliste Guillaume Duval sur ce sujet (*). Oui, ce pays est différent des autres et réussit à tirer son épingle du jeu, reconnaît le rédacteur en chef du mensuel Alternatives économiques. Mais, juge-t-il dans le même temps, il est nécessaire de bien cerner les raisons de cette réussite mais aussi de relativiser cette dernière. En effet, tout n’est pas rose en Allemagne, loin de là. Si les métiers de l’industrie résistent à l’érosion des droits sociaux que connaît le reste de l’Europe, ce n’est pas le cas dans les services où il n’existe pas de salaire minimum et où la flexibilité du travail est la norme.
Une flexibilité qui, d’ailleurs, pénalise principalement les femmes. A ce sujet, il est étonnant de voir que la presse occidentale ne se soucie guère du caractère archaïque du statut des Allemandes dans le monde professionnel.
Pour Guillaume Duval, le succès, aussi relatif qu’il soit, de l’Allemagne relève plus de la société allemande, de ses mécanismes de solidarité, de ses mentalités – à l’image de ses exportateurs qui n’attendent rien de l’Etat fédéral pour aller à la conquête des marchés étrangers – et de ses structures de dialogue et de conciliation entre patronats et syndicats. En clair, c’est une imposture que d’affirmer que l’Allemagne résiste à la crise grâce aux réformes imposées par Schröder, un dirigeant aujourd’hui adulé par la presse libérale européenne alors que The Economist s’était interrogé un jour à son sujet en demandant à ses lecteurs s’ils se sentaient capables de lui acheter une voiture d’occasion…

QUE SERA L’ALLEMAGNE SANS L’EUROPE ?

Mais il est une autre question qu’il faut aussi poser. Que sera le « modèle» allemand si le reste de l’Europe continue de plonger ? Comme le rappelle Guillaume Duval, c’est l’Allemagne qui prête de l’argent à ses voisins « cigales» pour qu’ils achètent ses produits. Que se passera-t-il si ces pays s’avèrent incapables de rembourser leurs dettes et qu’ils s’effondrent sur le plan social ? La réponse est claire et Berlin fait mine de l’ignorer. Ce sera la fin de l’Union européenne et le retour à une période que l’on croyait révolue : celle de la fragmentation politique d’un continent avec ce que cela fera peser comme risques pour la paix.

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(*)Made in Germany. Le modèle allemand au-delà des mythes, Paris, Seuil, 2013, 230 pages.