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Les 100 jours avant le bac

par Abdelkader Leklek

On croyait certains usages disparus, avec la déferlante école fondamentale qui non satisfaite des dégâts irréversibles causés à des générations d'algériens, réduits à suivre durant une période de scolarisation obligatoire de 16 ans, des programmes dont l'objectif était formulé par l'ordonnance 76/35, heureusement abrogée, en2008,selon cette abscondité: «le système éducatif a pour mission dans le cadre des valeurs arabo-islamiques et de la conscience socialiste de développer la personnalité des enfants et des citoyens et leur préparation à la vie active».

C'est-à-dire un projet qui ambitionnait de faire se rencontrer   les deux pôles, sinon, que du mariage de la carpe et du lapin, naisse un être humain éclairé ! Et qui avait dans ses débordements, emporté tout le pan ludo scolaire, et désertifié tous les espaces para scolaires, qu'offraient l'école, le collège et le lycée.

 Le chant en fin de classe primaire, les jeux à la récréation, sous la surveillance d'un ou d'une enseignante. La fête des écoles, en fin d'année scolaire, la remise des prix aux meilleurs et sa cérémoniale grande pompe. Toute la ville ou le village, avec le seul support publicitaire existant en ce temps là, qu'était le bouche à oreille, était au courant de qui avait reçu le prix de quelle matière. Et cela donnait à l'anonyme récipiendaire, lauréat de quelques minutes, des égards par tous, et lui procurait de l'estime, jusqu'à la cérémonie suivante. La pratique compétitive du sport au collège, sous l'égide de la fédération algérienne des sports scolaires. Les déplacements dans ce cadre, la rencontre des autres, l'émulation, et les amitiés, qui se nouent. La découverte de la philosophie au lycée et la solennité de la première séance, vraie ou bien supposée, qu'importe, mais le rituel était bien là. Et cela donnait de la matière à discussion, dans les groupes de lycéens. Le lycée c'est aussi la période du rêve et de l'espoir, c'est le moment de la rencontre avec les autres, garçons et filles, avec le flot de fièvres rebelles envahissantes. C'est le temps des questionnements, de l'extraversion et de la révélation des talents. C'est le début de la compréhension interculturelle, enfin c'est le lieu où s'ébauche même imparfaitement l'intellection de la cohésion sociale nationale. Sauf qu'en réalité, toutes ces périodes d'exaltation, ont été depuis longtemps refroidies dans nos villes, dans nos campagnes, et dans toutes nos autres contrées. Il y a de cela, une semaine à travers les lycées d'Alger, et je suppose qu'ailleurs aussi, le calendrier lycéen affichait, plus ou moins cents jours avant l'examen du baccalauréat 2013. Et pour marquer cet évènement comme ils conçoivent, les lycéens et les lycéennes se sont accoutrés autrement qu'à leurs habitudes.

Plus de jeans, ni training, ni casquettes, et encore moins de sacs à dos. Ils et elles se sont élégamment habillés. Toutes et tous se mirent sur leur trente- et -un, se sont bien sapés, et sont allés aux lycées tirés à quatre épingles. Chemises claires, pantalons bien repassés, souliers en cuir brillement cirés et cartables classiques. Les filles alors, elles furent merveilleuses, dans leurs tailleurs, droits ou croisés, et autres robes habillées, sûrement empruntés, l'espace d'une journée à leurs mamans. A les voir, ces grandes dames qu'elles voulaient paraître. Elles se sont bien servies dans les garde-robes et les portes chaussures de leurs maternelles. Les talents aiguilles et autres escarpins avaient, publiquement trépigné, ce jour là, sur les trottoirs alentours des lycées.

 Les chefs des établissements, me rapportent-on, avaient dans une ambiance bonne enfant, joué le jeu. Après les parades à l'intérieur des lycées, sous les yeux surpris et amusés des premières et deuxièmes années,scrutant les unes et inspectant les uns pour reconnaître sous ces déguisements, tel ou bien telle,et s'offrir un gai commentaire sur cette insolite actualité du jour. Certains d'entres ces autrement fagotés, sont passés à la moulinette, et au taillage de costumes, où cette expression, avait épousé, en cette occasion, sa meilleure acception. Ça rigolait jovialement. Les uns fouillant les harnachements des uns, et fouinant à la recherche de la fausse note de goût, des autres. Ça mesurait de la tête aux pieds, ça jaugeait en zyeutant malicieusement, avec fixette sur certaines excentricités.  Cela s'esclaffait et ça gloussait sec, dans les coursives. Les terminales, fringués comme des adultes, et presque à la mode vintage, pour clôturer cette manif en apothéose, et comme des grands, avaient organisé un déjeuner ensemble. Ils se sont à petits dinars cotisés, pour alimenter la caisse. Les plus entreprenants des garçons, sous les ordres, mais donnés sous la forme de conseils avisés par les filles, avaient procédé au choix et à la réservation, à la pizzeria en face du bahut. Et à midi, avec la complicité passive du staff du lycée, tous ceux de terminale sont allés manger, en occupant tout l'espace du fast food, dans un mémorable boucan. La sortie de ce banquet amusement, selon la chronologie des potaches, annonçait qu'il ne resterait que cents jours avant les épreuves du baccalauréat, prévues pour la session 2013, au dimanche 2 juin. Et pour donner le top départ de cette phase, ils avaient pris la pose pour la photo souvenir.

Ces cents jours d'avant, c'est la période qu'ils se réservent pour bachoter, potasser et bûcher, sans la contrainte des horaires scolaires, pour réussir. Laissons les faire. Mais d'où viendrait cet usage ? En fait cette manifestation est d'origine lycéenne française, mais elle se pratique dans quasiment tous les pays d'Europe occidentale. Elle est festive et démonstrative, elle marque la fin d'un enfermement, dit-on. C'est ce qui s'applique bien aux lycéens de terminale. Mais il est à se demander aussi, pourquoi ces derniers, qui n'ont pas connu la période, où ce qui se faisait dans les lycées de métropole, était automatiquement reproduit en Algérie ont-ils, sans crier gare, ressuscité cette pratique ? S'agirait-il d'un message crypté à l'intention des adultes, à déchiffrer ? Sinon, serait-ce simplement un convivial et joyeux moment pour marquer la fin d'une étape de leur vie ? Ou bien, ce qui serait interpellant, une action guillerette mais espiègle de protestation, contre des règles et contre une discipline, qui remet en cause une conformité et toutes ses exigences, dont ils récusent les contingences. Alors messieurs dames, qui vous vous occupez de cette population, soyez à l'écoute.

En tout état de cause ça ne saurait être un chahut de gamins. Encore que ces enfants ont toujours montré une répugnance, faute d'apprentissages et de formations qu'ils n'ont hélas par reçu, en direction de tout ce qui institutionnel, et de tous les évènements politiques. Cependant, cela est un autre problème, que cette chronique, ne traite pas. Le lycée c'est le palier de l'indocilité, de la rétivité, de la rébellion et la révolte. Ailleurs cette délicate période est encadrée par des personnels de l'éducation nationale, qui possèdent des compétences appropriées à répondre à chaque manifestation de crises, seraient-elles collectives ou bien individuelles. Ce sont des psychologues et des pédo psychologues, qui vivent leur siècle. C'est-à-dire quand ils rencontrent cette catégorie en phase vulnérable, ils ne lui présentent, ni ne lui renvoient, une image décalée de son problème. Les représentations de leur propre vie, de leur pays et même du monde, par ces adolescents, nous échappent, faute aussi pour nous autres adultes d'une réadaptation appropriée à notre siècle qui a connu tant de rapides et profondes mutations. Et nous ne faisons rien, pour réduire cet écart, si ce ne sont quelques tentatives réduites aux sphères familiales, qui souvent accentuent les gaps, qu'elles ne le réduisent. Les représentations domestiques de la vie et du monde, sont contrariées par l'environnement réel, dans lequel évoluent les lycéens. Il y a tellement de contradictions entre l'acquit à la maison, et l'existant à l'extérieur, dans la rue, le quartier et au lycée, que le déphasage est accentué et renforcé. Ce qui désoriente cette population juvénile, car il n'y a pas ou presque de porosité, ni de perméabilité entre les deux espaces de vie.

 Ce contresens corrompt un vécu, et stresse les acteurs, qui se mettent à la recherche d'une expression défouloir. Et souvent, dans la précipitation et l'urgence, ils prennent ce qui est prêt à servir. A ce propos, et pour preuve, faute d'entreprendre des actions révolutionnaires, dans le sens, changer les choses pour être en harmonie avec leurs représentations de leur environnement, par la revendication pacifique. Nos lycéens se contentent pour nous signifier qu'ils sont là et qu'on ne les voient pas, et de se réapproprier un usage culturellement né ailleurs pour s'exprimer, ce qui en soi, n'est pas pervers à ce stade. Les lycéens, ce faisant, se sont adjugés le concept, sans plus. Néanmoins, au lieu de créer, ils imitent. Oui mais leur -a-t-on laissé, nous autres adultes et tout notre système scolaire l'occasion, et les espaces pour révéler leurs talents, leurs capacités et leurs aptitudes ? Cet évènement commémorant un compte à rebours, contient-il un message, ou bien ne serait-il, qu'un éphémère moment festif ? Sinon ce serait un rite de passage marquant le changement de statut social, ou bien un rite initiatique, qui confirme l'acceptation d'un individu dans un groupe d'individus qui partagent entre eux,un statut, une obédience, ou une philosophie. A notre avis ce n'est ni l'un, ni l'autre. Ces lycées n'ont sollicité aucune licence pour ce faire. Ils ont décidé d'eux-mêmes de ce rituel. Sauf si le fait de s'habiller comme des adultes, et sans faire ici de la psychanalyse freudienne de supermarché, en reprenant le thème du totem, du tabou, et de la horde primitive, ces gosses ont voulu signifier au moins, s'affranchir de cette tutelle paternelle et maternelle,et de toutes sujétions. Car chaque évènement possède en lui-même, ses causes, voire ses nécessités et ses besoins de naissance. Il doit répondre à une utilité, présente, ou bien future mais souhaité et attendue. Son expression, combien même significative, n'est au final qu'un support de cette exigence. Face à la kyrielle de dysfonctionnements, qui asphyxient chaque jour un peu plus la vie des lycées, les parents dans un geste protecteur de leurs enfants, qu'ils imaginent salvateur, ont créé un marché.

L'érection et l'existence, hors de tout contrôle, de ce souk, dont le seul produit est appelé cours de rattrapage, ou bien cours de soutient, dispensés dans des lieux et des conditions qui négligent tout de la sécurité de ceux fréquentent ces classes de fortune. Dénote pour le moins l'incapacité de la fonction du lycée à préparer convenablement des gosses à répondre aux questions du baccalauréat. Dans une même réaction anxieuse, les élèves également répliquent dans le même sens, en exigeant, depuis quelques années, que ces questions de l'examen ne portent que sur quelques uns des sujets du programme et non sur tout le programme de la classe de terminale. Cette litanie qui comporte, le compte à rebours des cents jours avant le bac, et les dysfonctionnements dans les lycées, qui font que des élèves échouent à l'examen. Qui font que des élèves exigent et obtiennent que l'on leur limite les cours sur lesquels porteront les questions.

 Qui favorisent l'éclosion de cours particuliers payés à prix forts par des parents pour se déculpabiliser. Ces mêmes parents, qui à leur tour accusent le lycée d'avoir failli, eux dont la plupart n'ont jamais mis les pieds dans le bahut de leurs rejetons fréquentent. Tous ces éléments là ne font pas une politique nationale de l'éducation, elles font exactement son opposé.

 Car ce ne sont là uniquement que les manifestations, des marasmes de ce qui se fait en la matière. La démonstration de la détresse des parents, et enfin l'expression de l'angoisse des lycéens. Alors y aurait-il quelqu'un ou quelque institution dans mon pays, pour décoder l'évènement de l'interrogation de présentation, afin de donner un peu d'espoir à ces gosses, et beaucoup de rêves, ainsi qu'à leurs parents. Mais aussi de la vie et de la vitalité à la communauté nationale ?