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Terrorisme: L'après-Tiguentourine

par Ghania Oukazi

La prise d'otages sur le site de Tiguentourine ne sera pas cette salle affaire qui imposera à l'Algérie un embargo comme ce fût le cas en 1994, année du détournement d'un Airbus d'Air France.

L'Algérie se rappelle toujours, durant ce détournement du 24 décembre 1994, de l'affront que la France lui a fait en exigeant le décollage de l'avion détourné (comme l'avaient demandé les terroristes) et son atterrissage à l'aéroport de Marseille où les forces spéciales françaises avaient décidé de sa prise d'assaut. Alger a aussi été très marqué par l'embargo décidé contre elle par Paris et dont les conséquences ont servi à l'enfermement des Algériens comme des pestiférés. Bien que la terrible prise d'otages d'In Amenas continue de faire jaser des zélés, à travers le monde, ses conséquences ne seront jamais celles du détournement de l'Airbus français. Les temps ont bien changé. Des compagnies étrangères comme l'émiratie et l'espagnole, ont décidé d'inaugurer des dessertes reliant l'Algérie à leurs pays respectifs et à d'autres parties du monde. Des hommes d'affaires italiens et catalans, pour ne citer qu'eux, s'activent à rechercher des parts de marché dans divers secteurs nationaux d'activités. Pourtant, plusieurs ambassadeurs occidentaux, accrédités à Alger, pensent que le message des terroristes, à partir de Tiguentourine, était de faire peur aux étrangers et les pousser ainsi à quitter l'Algérie, «ce qui l'enfermerait, comme durant les années 90.» Il faut cependant reconnaître qu'en ces temps de crise économique mondiale aiguë, le pays regorge de potentialités et d'opportunités économiques et commerciales qui assurent, à un grand nombre de pays étrangers, des gains colossaux.

«LE PRESIDENT AVAIT PRIS, SEUL, LES DECISIONS LES PLUS IMPORTANTES»

 Les autorités britanniques et japonaises ont beau taper des pieds, dès l'annonce de la prise d'otages du 26 janvier dernier, pour exiger de l'Algérie qu'elle écoute leurs instructions et qu'elle agisse comme ils l'entendaient à ce moment, mais ils se sont vite ressaisis parce que leurs intérêts sont importants.

 Des sources proches du MDN, laissent échapper quelques bribes d'informations au sujet de la gestion des opérations, sur le site de Tiguentourine, au moment de la prise d'otages qui permettent véritablement de croire que les autorités algériennes ont agi, en leur âme et conscience, et sans aucune ingérence étrangère.

 L'on fait savoir que le président de la République avait pris, seul, les décisions les plus importantes mais aussi les plus dures pour dénouer la crise. Dès l'annonce de l'attaque du site, l'on souligne que ce sont les services du DRS qui se sont, en premier, saisi de l'affaire et tenté de la résoudre. «C'est d'ailleurs pour cela, que les forces spéciales de l'armée ne sont intervenues que 24h après,» nous dit-on. Le chef de l'Etat avait alors exigé, selon nos sources, que «c'est l'armée et seule l'armée avec ses éléments et ses moyens qui doit mener les opérations d'intervention.» Les ordres étaient donnés, est-il précisé, directement par Bouteflika, en tant que chef suprême des Armées. Les trois assauts qui ont été dirigés contre le site où les terroristes détenaient les otages, ont été, selon nos interlocuteurs, ordonnés, suivis et dirigés par ses soins. Il est le seul à avoir, selon nos sources, décidé d'en assumer toutes les conséquences aussi dramatiques, devaient-elles être. Et comme cela a été rapporté, aucun responsable étranger, aussi important soit-il, n'a pu, durant les moments de la crise, s'entretenir avec lui. «Il ne voulait pas se voir dicter ce qu'il devait lui-même décidé,» est-il dit. «Il voulait aussi comprendre ce qui se passait, pourquoi et comment ça s'est produit,» explique-t-on.

L'ALGERIE TENUE DE RENFORCER SES CAPACITES DE SURVEILLANCE

 L'on dit qu'«il s'était refusé à n'entendre aucune suggestion ou proposition étrangère sur le comment de la gestion de la prise d'otages.» Les pays étrangers se sont d'ailleurs, étonnés de son silence et reprochent grandement aux autorités algériennes «de n'avoir pas communiqué à temps et comme il se doit.» Les chancelleries occidentales accréditées en Algérie, pensent même que «la transparence dans la communication permet une plus grande coopération entre les pays.» Mais «c'est justement cette coopération qu'Alger s'était fait un point d'honneur de la refuser dans ces moments douloureux et très complexes,» affirment des sources proches de Bouteflika. «Jalouse de sa souveraineté et de son intégrité territoriale qu'elle est, elle ne pouvait se permettre de recevoir des instructions d'ailleurs pour libérer des territoires qui lui appartiennent,» nous lance un haut responsable. Les experts étrangers en matière de sécurité laissent entendre que désormais «il faut que les autorités algériennes communiquent pour mieux bénéficier de la coopération dans la lutte antiterroriste.» Ceci même si beaucoup de chancelleries étrangères se laissent avouer que «la gestion de la crise, les capacités des unités spéciales algériennes et la manière avec laquelle l'assaut a été mené, ont été d'un niveau très respectable.» La forme peut être revue «mais pas le fond,» reconnaissent-elles.

 Ceci étant dit, les Occidentaux avec à leur tête les Américains réclament depuis à Alger, un renforcement de ses capacités de surveillance de ses frontières. Le câble de l'ambassadeur américain à ses responsables sur la possibilité de survol des territoires nationaux par les drones, en contrepartie d'un échange de renseignements figure bien dans le nouvel agenda que Washington compte mettre en œuvre, depuis la détérioration de la sécurité dans la région. Agenda qui a été bien remanié depuis que le gouvernement algérien lui a confirmé que des menaces terroristes ont été proférées contre les intérêts américains, conséquemment à la prise d'otages d'In Amenas. L'installation d'une base de drones américains au Niger est considérée «comme l'alternative» pour que Washington s'assure le survol des frontières algériennes. Ce qui signifie que les Etats-Unis ne veulent pas vendre de drones à l'Algérie «encore moins ceux équipés de missiles,» affirment des experts dans les questions sécuritaires.

L'EFFET TIGUENTOURINE

 Le deal semble ainsi avoir été trouvé entre l'Algérie et les Etats-Unis, à savoir un survol de drones «même venus d'ailleurs» contre un échange de renseignements. Ce qui ne doit pas déplaire aux autorités algériennes, tant elles mettent en avant les difficultés de surveiller des frontières aussi longues et aussi vastes. Il est clair aussi qu'Américains, Britanniques et Français notamment, ne peuvent se passer de la coopération algérienne, en matière de lutte contre le terroriste, en raison de l'importance du lourd fichier que les services nationaux détiennent en la matière. Paris a avoué d'ailleurs que la mort présumée d'Abou Zeid ou de Mokhtar Belmokhtar ne pouvait être confirmée que sur la base des analyses d'ADN effectuées par Alger. Ceci, si on oublie que l'ancienne diplomate américaine à Bamako avait écrit dans son rapport que la CIA pistait Belmokhtar depuis 10 longues années et que les Américains pouvaient, par conséquent, être au courant de tout ce qu'il entreprenait de faire. Une remarque qu'ils n'aiment pas d'ailleurs entendre sous prétexte que dans certaines situations «Washington ne peut pas tout savoir parce ses capacités du renseignement sont peut-être uniques mais pas illimitées et donc, ne peuvent, toujours, avoir la même efficience qu'on leur attribue.»

 Mieux encore, l'ancienne diplomate a dû se faire taper sur les doigts parce que Washington lui dénie l'aptitude de comprendre les langues parlées des différentes tribus maliennes, «d'où ses difficultés de pouvoir saisir ce qui se passe dans ce pays et surtout qui est qui et qui fait quoi.»

 Pour l'instant, l'Algérie est placée en point de mire pour assurer la sécurité aux frontières et contribuer grandement au rétablissement de la sécurité dans le Sahara et la bande du Sahel. Des ambassadeurs se mettent d'ailleurs à soutenir que la sécurité et la stabilité dans le pays et dans la région relèvent des seules décisions et capacités de gestion du président de la République. «La stabilité pour nous, c'est Bouteflika qui peut la garantir,» nous disait dernièrement, un ambassadeur européen. Mais l'effet Tiguentourine ne se limite pas à assurer la stabilité. Il sert aussi, d'ores et déjà, à recadrer les pouvoirs, au plus haut niveau, et à redéfinir les périmètres d'intervention, notamment en cas de crise. Le pays en a plusieurs à résoudre.