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Guerre contre l'iran : un scénario vers le chaos ou le renouveau de l'Occident et du Monde arabo-musulman ?

par Medjdoub Hamed *



Aujourd'hui, avec la crise économique mondiale, l'émergence de grands pôles économiques, le " Printemps arabe " et surtout les formidables avancées technologiques, le monde est en train de subir de profonds changements. Et une guerre que l'on annonce régulièrement contre l'Iran sans que l'on ne prenne en compte les risques qu'elle déborde et provoque un embrasement généralisé de la situation au Proche et Moyen-Orient, dont les conséquences seraient incalculables.

1ère partie

Depuis 67 ans, l'arme nucléaire, par sa démesure, a empêché l'affrontement majeur entre les grandes puissances. Au point qu'elles sont devenues ce que Raymond Aron appelait des " adversaires-partenaires ". En cas d'emploi, la précision ayant relayé la puissance, aucune puissance nucléaire quel que soit son dispositif antimissile ne pourrait échapper à la saturation de sa défense par le feu nucléaire de la puissance adverse. Mais, aujourd'hui, la situation a changé. L'Inde et le Pakistan sont devenus depuis 1998 des puissances nucléaires. La Corée du Nord aussi depuis 2006. Ces puissances moyennes sont-elles pour autant des " adversaires-partenaires ". Si on peut le considérer pour l'Inde et le Pakistan, pour la Corée du Nord, la situation reste posée. Il est évident que, dotée d'un armement nucléaire quantitativement limité, mais d'une stratégie telle que la Corée du Nord peut appliquer une stratégie du faible au fort menaçant ainsi un agresseur éventuel d'une sanction exorbitante par rapport à l'enjeu. Mais qu'en est-il pour l'Iran qui n'a pas dépassé le seuil du feu nucléaire. Si celui-ci s'avérait acquis, il placerait l'Iran dans le rang de la Corée du Nord. Pour comprendre, il faut remonter à la révolution islamiste d'Iran.

1. Le sens de l'avènement de la République islamiste d'Iran dans l'Histoire

Les Américains et les Anglais ont déjà été en 1953 l'artisan d'un coup d'Etat contre le Dr Mossadegh. Premier ministre iranien à l'époque, il a cherché à mettre à exécution une loi votée sur la nationalisation des puits de pétrole. Vingt cinq plus tard, c'est le tour du chah d'Iran qui est déchu, il prend le chemin de l'exil en janvier 1979. Le motif, il a cherché à briser un tabou : doter l'Iran de centrales nucléaires et de centres de recherche nucléaire pour une utilisation pacifique de l'atome. Dans les années 1970, l'Iran était considéré le gendarme du Moyen-Orient, et Israël, le gendarme du Proche-Orient, tous deux alliés des États-Unis.

 De nouveau, cette ambition du chah de doter l'Iran d'un programme nucléaire rebondit avec la République islamique. Ce que l'on croyait résolu n'a été différé dans le temps. Force de constater que l'ambition de l'Iran pour le nucléaire est restée intacte.

Cependant, au-delà de la chute du chah et de l'ambition nucléaire de l'Iran, on est en droit de chercher le sens de la révolution islamique dans l'Histoire. L'utilisation de l'Islam à des fins politiques n'est pas nouvelle. Les États-Unis et leurs alliés, les riches pays du Golfe persique (Arabie saoudite, Qatar, Bahrein?) l'ont utilisé contre les pays arabes dits progressistes pour endiguer l'influence soviétique sur la région (où se trouvent les plus grands gisements de pétrole du monde). On est en droit de se poser une question. Si la révolution islamiste en Iran ne s'était pas opposée à la superpuissance américaine dès l'arrivée de l'ayatollah Khomeiny au pouvoir, quelle aurait été l'évolution des principaux conflits à l'époque (guerre civile au Liban, conflit israélo-palestinien) ? Il faut rappeler que l'Egypte pour récupérer le Sinaï avait fait défection à la cause palestinienne. En s'engageant à normaliser ses relations avec Israël, il a reçu une aide financière annuelle des États-Unis. Pour s'opposer au nouvel ordre israélo-américain dans le monde arabe, un " front de fermeté " (Algérie, Irak, Syrie, Libye, Yémen, et OLP) s'est constitué. Et c'est là où la République islamiste d'Iran a joué un rôle historique important. En s'opposant à l'Amérique, elle a mis en échec la stratégie américaine dite la " ceinture verte ". Si l'Iran s'était alignée à la puissance américaine, d'autant plus que la République islamique doit sa naissance à l'action discrète des États-Unis sur l'armée impériale du chah qui est restée pratiquement neutre, la " ceinture islamique " du stratège Brezinski autour de l'Union soviétique aurait doublement fonctionné. A la fois sur l'URSS et les pays arabes socialistes.

Que représenterait le " front de fermeté " devenu " front du refus " face au États-Unis et ses alliés monarchiques et iranien ? Le premier maillon du front du refus, c'est-à-dire l'Irak, serait emporté. La guerre Irak-Iran aurait tourné certainement à l'avantage de la République islamiste d'Iran. Le régime pro-soviétique d'Irak disparu laissera place à un régime islamiste. Par effet de domino, le régime syrien sera remplacé par un régime islamiste. Du front du refus, il ne restera que la Libye et l'Algérie. A voir ce qui est advenu au régime de Mu'ammar al-Kadhafi en 2011. Il est évident que la Libye comme l'Algérie n'échapperont pas à la vague islamiste. Au final, le monde arabo-musulman sera entièrement islamiste, du Maroc au Pakistan.

 Le problème qui va se poser avec l'islamisme, ce sont les peuples qui, bien que fervents croyants, vont prendre progressivement conscience que les régimes islamiques seraient incapables de résoudre leurs problèmes économiques. Dans l'incapacité de répondre aux besoins des peuples, ces régimes procèderont de la même façon que les régimes autoritaires précédents. C'est-à-dire, ils seront prêts à toutes les démesures et compromissions avec la superpuissance américaine pour se maintenir au pouvoir. Plus grave, l'URSS évincé de la région, les Occidentaux, face aux désordres qui vont certainement apparaître au sein de ces pays (liés au chômage et à la mal-vie des populations), seraient tentés de procéder à un remodelage du monde arabo-musulman sur des bases ethniques, religieuses et communautaires.

La création de petites entités nationales musulmanes permettra à la superpuissance la sécurisation de la région convoitée par les autres puissances et en même temps une mainmise totale sur les gisements de pétrole. De plus, le monde musulman muselé, elle permettra aux sionistes, de réaliser leur rêve du " Grand Israël ", qui se fera au détriment des territoires des pays voisins. Ainsi apparaît que l'avènement de la République islamiste en 1979 n'est pas fortuit en Histoire, mais constitue un " frein " à l'hégémonie américaine sur le monde musulman.

2. Une situation de pré-guerre existe au Moyen-Orient

Soixante ans de violence ininterrompue dans un monde arabe divisé ont fini par épuiser l'élan nationaliste des régimes politiques en place.

 Précisément l'attaque terroriste du 11 septembre 2001 et les guerres qui ont suivi en Afghanistan et en Irak sont venus remettre en question le statu quo imposé par les États-Unis et Israël. Le court temps d'euphorie dû à la victoire américaine en Irak en 2003 et l'annonce du remodelage du monde arabe (Grand Moyen-Orient) se transformant ensuite en véritable cauchemar pour la superpuissance, ont changé complètement l'équilibre géostratégique de la région. Dans le GMO, tous les pays réfractaires à la puissance américaine était visé, et en premier chef, l'Iran.

Mais l'influence grandissante de l'Iran sur le théâtre irakien et la volonté du peuple irakien de rejeter hors de leur territoire les forces étrangères ont changé les donnes. Précisément, cette guerre menée au Moyen-Orient et en Asie centrale et les débâcles qui ont suivi pour les forces occidentales ont eu un impact considérable dans le réveil des masses arabes. Au point que les États-Unis dont les forces américaines enlisées en Afghanistan et surtout en Irak, virent dans la République islamique d'Iran, l'ennemi N°1. Dès 2005, les États-Unis, prenant prétexte sur le programme d'enrichissement nucléaire, menaçait l'Iran de frappes préventives.

 En 2006, les préparatifs de guerre achevés avec d'énormes effectifs militaires se dirigeant dans le Golfe arabo-persique, le déclenchement d'une guerre totale n'attendait qu'un assentiment du Président américain. Si le suspense a longtemps duré et, malgré la rhétorique des responsables néoconservateurs de plus en plus belliqueuse, le passage à l'acte ne s'est pas produit, c'est que déclencher une guerre requiert avant même l'assentiment du Président l'accord des chefs militaires. En termes d'analyse de la situation et des conséquences qui peuvent résulter d'une guerre étendue à l'Iran.

 Précisément, embourbés en Irak, les responsables du Pentagone doutaient sérieusement quant à l'efficacité d'une attaque militaire US contre l'Iran. Une attaque contre l'Iran pouvait non seulement d'embraser la région mais risquait d'être improductive voire dévoiler la faiblesse des forces américaines dans une guerre à la fois conventionnelle et asymétrique. Des précédents existent déjà. La guerre du Vietnam et la débâcle soviétique en Afghanistan en témoignent si besoin est.

 Dans une analyse en 2007, Zbigniew Brzezinski l'exprimait de manière abrupte : " Nous faisons face à une crise très sérieuse concernant l'avenir. Les vingt mois qui viennent vont être absolument décisifs. Si nous les surmontons sans que la guerre en Irak empire et s'étende à une guerre avec l'Iran, je pense qu'il y a de fortes chances que nous récupérions [...] Mais si nous entrons dans ce conflit plus grand, alors j'ai peur que l'ère de la suprématie mondiale américaine s'avérera avoir été historiquement très, très courte. "

 Échec sur échec, en Afghanistan et en Irak, les Américains ont encore été fortement affectés par la crise financière de 2008. Pour ce qui concerne le dossier nucléaire iranien, les États-Unis privilégient les négociations internationales, tout en mettant en garde qu'ils n'accepteront jamais le statu quo. Quant aux menaces israéliennes de bombarder les installations nucléaires d'Iran, elles expriment simplement une connivence avec les États-Unis, pour maintenir la pression que " toutes les options sont sur la table ".

 Une situation de pré-guerre existe réellement dans le Golfe persique tant les positions des parties sont éloignées les unes des autres. Qu'en sera-t-il de ce bras de fer sur le programme nucléaire iranien et d'une guerre annoncée contre l'Iran?

3. La stratégie de contre-insurrection en Irak de l'ex-chef de la CIA

David Petraeus, annonciatrice du «Printemps arabe»

Bien qu'initialement couronnée de succès avec la chute rapide du régime irakien et le changement opéré au profit d'un gouvernement allié chiite, l'intervention américaine trouva rapidement ses limites face à la violence inattendue des situations alors improprement qualifiées de " post-conflit ". L'incapacité même des autorités américaines à parler d'insurrection avant 2005 montre au demeurant leur impréparation en la matière. Le modèle appliqué dit de haute intensité appliqué initialement, c'est-à-dire l'utilisation massive de la puissance de feu qui n'entre normalement que dans le cadre de guerre dite conventionnelle, s'est épuisé à déloger en vain des insurgés qui se dérobent au combat et dématérialisent les réseaux de commandement américain, les rendant ainsi invulnérables. D'autant plus que l'adversaire était agressif et aguerri par plusieurs guerres (contre l'Iran, la coalition en 1991 et les frappes aériennes durant l'embargo).

 En réalité, cela ne devrait pas surprendre, les Américains ne faisaient que l'expérience que les Soviétiques ont déjà faite avant eux en Afghanistan. Dans une guerre asymétrique, les armées étrangères ne peuvent rien contre une insurrection armée intérieure (méconnaissance du terrain, ennemi diffus, pratiquement insaisissable, se fondant dans la population) sinon à procéder à des représailles qui ne feront que les enliser dans un conflit sans fin.

 Précisément, dans cet échec de la stratégie américaine que le général David Petraeus qui a été dans les premières lignes dans la chute de Bagdad et ensuite dans l'occupation de Mossoul qu'il va tenter de comprendre les " erreurs " de l'armée américaine face à l'insurrection irakienne. Rentré aux États-Unis, il reprend les travaux de R. Trinquier et D. Galula qu'il fait rééditer et se passionne pour M. Bigeard et ses expériences en Indochine et en Algérie. Docteur en sciences politiques à l'université de Princeton et théoricien de nouvelles méthodes anti-insurrectionnelles de l'US Army, il réécrit un manuel de contre-insurrection (2004-2005).

 En janvier 2007, alors que les forces américaines sont de plus en plus embourbées dans un conflit qui se double d'une guerre confessionnelle, il est rappelé en Irak. Le Surge (Sursaut) qu'il a mené contre l'insurrection irakienne à partir de cette date a permis de sauver in extremis l'administration Georges W. Bush du fiasco que beaucoup prédisaient à l'époque. Le plan reposait sur trois points. Un renfort de 30 000 soldats américains auquel il faut ajouter les 120 000 hommes des sociétés militaires privées (des sous-traitants avec l'US Army) déjà présents. Le deuxième point a porté sur l'achat des chefs de tribus sunnites dans la province d'el Anbar et leur ralliement à soutenir les forces américaines contre les insurgés. Financement et armement des milices sunnites ont joué, comme le souligne le général Petraeus, " l'argent est une munition ". Enfin, le troisième point a été le rapprochement des États-Unis avec l'Iran. Une série de rencontres officielles ont eu lieu à Bagdad. Ce qu'on croyait impossible à réaliser en 2006 en Irak s'est concrétisé en 2008. Grâce au tournant qu'a pris la politique des États-Unis en Irak, les attaques contre les troupes américaines ont diminué de 80% en deux ans. Bien que la contribution iranienne dans cette diminution du regain de la violence soit peu reconnue par les États-Unis, ces succès placent désormais l'Iran comme un interlocuteur incontournable sur la scène irakienne

 En juin 2010, après un court passage au CENTCOM (Commandement central en Floride qui supervise les opérations au Moyen-Orient et en Asie centrale), David Petraeus est nommé par le président Barack Obama chef des troupes de l'OTAN et commandant de la Force internationale d'assistance et de sécurité (ISAF) en Afghanistan remplaçant le général Stanley McChrystal relevé de ses fonctions. Mais la stratégie de ce général intellectuel dans ce nouveau théâtre de combat n'a pas donné les résultats escomptés comme en Irak. Plusieurs raisons sont évoquées. On invoque que le général McChrystral n'a pas obtenu les troupes suffisantes pour rééditer le Surge en 2009, d'où ses relations crispées avec Obama. Il a reçu un renfort de 30 000 au lieu des 40 000 hommes qu'il a demandé. Alors que ce " Surge " n'était pas négligeable, puisqu'il ajoute 30 000 soldats aux renforts déjà envoyés par le président Obama après son entrée en fonction : en un an le contingent américain a triplé passant de 32 000 à quelque 100 000 hommes. Que pourrait faire son remplaçant, le général quatre étoiles David Petraeus, l'auteur de la stratégie, en 2010 ?

A suivre...