Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Ouverture syndicale en Chine

par Akram Belkaid, Paris

Ce n’est pas une révolution mais presque… Foxconn, le groupe taïwanais installé en Chine, vient de décider de modifier ses règles en matière de représentation syndicale. Le principal sous-traitant des grandes marques de high-tech (Apple, HP, Lenovo, Microsoft, Nokia,…) va désormais autoriser les élections syndicales libres. Tous les cinq ans, ses 1,2 million de salariés éliront vingt représentants ainsi qu’un président. Jusqu’à présent, le processus de désignation des délégués syndicaux était peu transparent, la direction de Foxconn allant même jusqu’à en nommer elle-même la moitié.
 
PRESSION DES ONG
 
Pour bien comprendre l’importance de cette décision, il faut savoir que l’activité syndicale en Chine est totalement encadrée et que les travailleurs ne sont pas libres de désigner leurs représentants. Dans le même temps, pas question pour les syndicats officiels de relayer des revendications sociales ou salariales. Pas question non plus d’appeler à l’arrêt du travail, à tel point que nombre de Chinois considèrent la Confédération des centrales syndicales chinoises (All China Confederation of Trade Unions) comme un repaire de briseurs de grèves. En autorisant des élections syndicales libres, Foxconn vient donc d’ouvrir une brèche en matière de défense des travailleurs chinois. Il ne fait nul doute que le résultat du scrutin conduira à l’émergence d’un syndicat qui ne sera plus aux ordres, comme ce fut le cas au cours des deux dernières décennies. Il faut dire que cela fait plusieurs mois que ce sous-traitant est sous le feu des critiques. Plusieurs reportages ont mis en évidence des conditions de travail calamiteuses ainsi que le recours systématique à des stagiaires de moins de seize ans. En 2011 et 2012, une vague de suicides de travailleurs a attiré l’attention des médias internationaux au point que Foxconn a été obligé d’ouvrir ses portes à des ONG spécialisées dans la défense des droits des travailleurs. Le constat sévère de ces dernières a finalement obligé Foxconn a lâcher du lest. Il reste maintenant à savoir si ce groupe fera des efforts en matière d’amélioration de la sécurité de ses installations et s’il modifiera sa politique de rémunération. Par ailleurs, il est évident que la décision de Foxconn a été prise avec l’aval des autorités chinoises. Qu’il s’agisse d’un vote libre (dans un pays où le suffrage universel n’existe pas) ou de la facilitation de l’action syndicale, les enjeux concernent tous les acteurs économiques chinois. Décidés à rééquilibrer leur économie vers le marché intérieur, les nouveaux dirigeants de Pékin savent que cela passe notamment par une hausse de la part des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises - cette dernière étant dérisoire face aux profits des actionnaires qu’ils soient chinois ou étrangers. Or, quoi de mieux qu’un syndicat actif et légitime pour aider à une telle mutation ? Reste à savoir jusqu’où ira cette liberté syndicale et quel sera son impact sur la mainmise du PC chinois sur la société. Et, il faut aussi se demander comment les autres grands groupes chinois vont se positionner par rapport au précédent que vient de créer Foxconn.
 
LA MENACE INEGALITAIRE
 
En tout état de cause, la Chine demeure un pays profondément inégalitaire. Salaires dérisoires, parfois payés avec retard ou même jamais, licenciements abusifs, chantages, harcèlement, emploi de prisonniers ou de mineurs, absence de politique cohérente en matière de protection sociale, heures supplémentaires non payées, contrats précaires: les problèmes des salariés chinois sont nombreux et alimentent un ressentiment croissant. Décidée à devenir la première puissance mondiale d’ici 2030, la Chine ne peut se permettre une telle situation explosive à bien des égards.