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In Amenas : Après les clarifications, les interrogations

par Ghania Oukazi

Les clarifications apportées par le Premier ministre sur la prise d'otages du site gazier de Tiguentourine suscitent davantage d'interrogations qu'avant qu'elles n'aient été faites.

Abdelmalek Sellal a donné, lors de la conférence de presse qu'il a animée, lundi dernier, à la résidence d'Etat « El Mithak » une information importante qui, selon des spécialistes a été à l'origine de la scabreuse affaire de prise d'otages. Il a noté que le bus qui a été arrêté par les terroristes avait à son bord, entre autres travailleurs étrangers, le directeur général de British Petroleum (BP). L'on soutient au niveau de milieux sécuritaires que toute l'opération visait la prise de ce DG comme otage pour effrayer le groupe pétrolier et en faire une lourde monnaie de négociation avec Londres. Il paraît que le bus était d'habitude protégé par des vigiles de la compagnie britannique « mais c'est parce qu'il y a avait à l'intérieur ce responsable que les gendarmes algériens avaient décidé de l'escorter jusqu'à l'aéroport d'In Amenas, estime un responsable.

Depuis la diffusion de la conférence de presse du Premier ministre, les interrogations deviennent plus insistantes à propos du système de sécurité de la zone. Les stratèges rappellent que la zone en question était à l'origine un site pétrolifère dont les gisements ont été découverts par les Français, au temps de la colonisation. Elle est devenue, plus tard, une région où gaz et pétrole sont exploités, en même temps, en plus des systèmes de liquéfaction et de raffinage. C'est dire l'importance du site, aux yeux des stratèges français, qui ont bien pesé l'importance des intérêts de leur pays, à peine à quelques kilomètres de Tiguentourine, pour avoir décidé d'une intervention militaire bien organisée. Ceci étant dit, il n'est pas évident que les Britanniques pensent à quitter aussi facilement un site pétrolier et gazier comme celui d'In Amenas, alors qu'ils ont un contrat de partenariat avec Sonatrach et la société norvégienne qui leur assure une partie importante de leurs approvisionnements en hydrocarbures.

LES BRITANNIQUES EN POINT DE MIRE

Quand bien même ont-ils perdu des ressortissants et ont failli perdre un de leurs responsables, dans la prise d'otages de mercredi dernier, ils ne céderaient pas aussi facilement sur ce qu'ils considèrent comme acquis dans ce désert fascinant.

 D'autres interrogations qui continuent à enfler depuis l'intervention militaire française dans le Mali, notamment celle du moment choisi pour qu'elle soit décidée par Paris. Une fois les éléments d'Ancer Eddine partis d'Alger « avec des garanties et des aides financières importantes », dit-on, la prise de Konna par les islamistes a été annoncée et les menaces d'occuper Bamako devenaient stridentes. Paris a ainsi bénéficié d'une brèche bien ouverte, qu'elle cherchait, d'ailleurs, depuis longtemps, pour s'engouffrer et déclarer la guerre aux islamistes, à l'intérieur des territoires maliens. La décision française de rentrer dans le Mali, avec armes et bagages, avait précédé d'à peine quelques jours le fameux tête-à-tête Bouteflika-Hollande, lorsque ce dernier était venu en visite d'Etat à Alger. L'affaire d'In Amenas est venue s'ajouter au puzzle combien complexe d'une telle conjoncture alors que les terroristes qui l'ont exécutée savent pertinemment que l'Algérie était contre l'intervention militaire française. L'affaire en question est-elle venue pousser l'Algérie à rentrer en guerre ou de continuer à la refuser ? A-t-elle une relation de cause à effet avec l'intervention française ? Avions-nous demandé, lundi, au Premier ministre.

LES FAUX-FUYANTS DU PREMIER MINISTRE

Sellal préférera survoler la question, aller vers des faux- fuyants, en rappelant la position classique de l'Algérie qui «privilégie le dialogue entre les factions en conflit. » Il n'aura de cesse de répéter que l'Algérie continuera sa lutte contre le terrorisme, avec tous les moyens qu'il faut. Il a reconnu, en même temps, que le groupe terroriste qui a exécuté la prise d'otages est de multiples nationalités mais son 1er responsable ainsi que son second sur le terrain sont des Algériens. La lutte contre le terrorisme impose alors aujourd'hui à l'Algérie de pourchasser ses détracteurs jusque dans leurs zones de repli. L'opération d'In Amenas est venue, encore une fois, lui rappeler que les groupes qui agissent sur ses territoires coulent des jours heureux en dehors de ses frontières. C'est comme s'ils la narguaient. Ils le font surtout ces dernières années où ils ont pris des étrangers comme otages ou commis des actes criminels à partir de Tamanrasset, Ouargla, Laghouat et autres régions que les terroristes quittent pour s'évaporer dans la nature sans trop de difficultés. Paris risque, dans ce cas, de faire porter à Alger, le chapeau de la guerre au Mali sous prétexte que ce sont des terroristes algériens qui alimentent les foyers des crimes organisés mais aussi qui rentrent et sortent du Sahara algérien, sans crainte d'être pris. Savaient-ils qu'ils allaient tous périr dans la prise d'otages de Tiguentourine ? Demandions-nous, hier, à un responsable de la sécurité. «Certainement pas, un terroriste veut gagner la bataille qu'il mène, mais pour cette fois, non seulement ils n'avaient pas atteint leur objectif premier qui était celui de prendre le DG de BP et faire sauter le site gazier mais ils sont tous morts après qu'ils aient liquidés froidement les otages étrangers, » nous dit-il.

Pour rappel, cette opération macabre s'est soldée, selon le Premier ministre, par la mort de 37 étrangers parmi eux un Français et dont 7 n'ont pas encore été identifiés. L'Algérie a perdu un agent de sécurité et enregistré quelques militaires blessés. L'assaut des élites spécialisées de l'ANP a permis l'élimination de 29 terroristes et la capture de trois autres vivants. Bien que le Premier ministre ne le dit pas, l'intervention française dans le Mali et l'affaire d'In Amenas sont étroitement liées, selon les stratèges sécuritaires.

«C'EST COMME SI TOUT LE MONDE A TROUVE SON COMPTE»

Qualifié d'exploit et d'opération « de la dignité et de la fierté », ce qui s'est passé, entre mercredi et samedi derniers, à In Amenas, a mis au-devant de la scène nationale et internationale, la réputation de l'armée dans toute son ampleur. Adoptant une discrétion absolue depuis pratiquement le 2ème mandat de Bouteflika, l'institution militaire refait aujourd'hui surface sous les applaudissements de l'ensemble du peuple algérien, jeunes et moins jeunes, hommes et femmes. Les médias du monde entier en parlent aussi inlassablement depuis plusieurs jours, que ce soit en bien ou en mal mais en parle quand même. Le chef suprême des Armées et premier magistrat du pays, lui, garde le silence même s'il est interpellé par tous. « C'est comme si tout le monde a trouvé son compte dans ce qui devait se passer au Mali et plus tard à In Amenas, » relevait hier un politique, quelque peu désabusé.

Ce qui se passe aux frontières du pays et en dehors, sous les auspices de Paris, semble placer le président algérien au-dessus de toute la mêlée qui, elle, se bouscule pour tenter de comprendre ce qui se trame derrière ce tableau inédit. Tableau qui doit certainement tirer ses fondements de l'histoire coloniale de la région et même de l'Afrique globalement. Bouteflika se retrouve ainsi projeté à un niveau élevé où il a toujours choisi d'être. Il a, aujourd'hui, les hommages et les encouragements des puissants de ce monde. Même le Premier ministre britannique qui avait, un moment, sombré dans une crise de nerfs, semble reprendre ses esprits et se (re)chercher une place parmi les soutiens « indéfectibles » de l'Algérie dans sa lutte contre le terrorisme. Personne ne lui reproche, aujourd'hui, pourquoi ne s'investit-elle pas dans cette lutte, en dehors de ses frontières, alors que Paris ou Washington ne s'encombrent d'aucuns principes pour le faire, en Afrique, en Asie et même en Europe, sous couvert de l'OTAN. Le président algérien se retrouve pourtant conforté, dans cette attitude, qui pourrait même l'assurer d'un maintien encore plus longtemps à son poste et de l'acceptation, sans ambages, des choix qui lui conviendrait d'en faire.