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Les Africains sont-ils conscients de leur situation ?

par Reghis Rabah *

Selon un sondage repris sous la forme d'une étude menée par le réseau Gallup international sur 51 pays tous continents confondus, de nombreuse nations pauvres ou émergentes demeurent prédisposées à plus d'optimisme que les pays occidentaux et notamment ceux de l'Europe de l'Ouest. Huit interrogés sur dix s'attendent à une année 2013 économiquement difficile et ne voient pas le bout du tunnel pour sortir de la crise qui secoue leurs pays.

DE L'OPTIMISME DEMESURE

La France, à laquelle de nombreux pays africains et moyen orientaux aiment se comparer conserve le titre de champion du monde du pessimisme économique. Les inquiétudes des français se sont accrues puisqu'ils affichent un niveau en recul de plus de 20 points sur un an, si l'on se réfère aux études du même réseau en 2011.         

Il faut rappeler que le score moyen mondial est -3 alors que ce pays se situe à -79.

Ce niveau est le plus faible jamais enregistré en Europe depuis le début des enquêtes annuelles du réseau Gallup International en 1978. Ainsi l'étude affirme que «les européens n'ont jamais été aussi pessimistes qu'aujourd'hui, même en 1978, après le deuxième choc pétrolier lorsque l'ensemble du système économique avait été remis en question. Il faut souligner par ailleurs que même la classe moyenne, composée de foyers gagnants entre 3000 et 3500 euros nets par mois se montre moroses. L'Amérique du nord est au même niveau l'Irlande, l'Autriche ou la Belgique pour ne citer que ceux là. Le reste du monde, et aussi paradoxale que cela puisse paraitre, l'Afrique en tête, demeure globalement optimiste. Le Nigeria, troisième économie africaine et deuxième producteur du pétrole d'Afrique, se montre le pays le plus optimiste du monde, devant le Vietnam et le Ghana. La Tunisie, qui a connu en 2011 un soulèvement démocratique, est sixième, juste derrière le Soudan du Sud, pays indépendant depuis très peu. L'Irak, pays riche en pétrole mais meurtri par la guerre, est dixième.

Une étude de l'Asia Foundation l'affirme, la majorité (52%) des Afghans interrogés ont le sentiment que leur pays avance dans la bonne direction. Un chiffre qui cache de réelles inquiétudes, alors que le retrait des troupes internationales a commencé. Lorsqu'on sait ce qui se trame actuellement dans ce pays, le paradoxe devient flagrant. Heureusement que dans l'introduction de ce long rapport (281 pages), les auteurs tiennent à nuancer : « Certains endroits n'ont pas pu être visités en 2012 pour des raisons de sécurité. Les personnes qui vivent dans ces zones à risque (et qui sont certainement plus pessimistes sur la direction que prend le pays), sont largement sous représentées.»

Sur un échantillon de 32714 personnes interrogées réparties par lots de 1000 individus par pays et d'âge compris entre 16 à 29 ans, sondage au demeurant réalisé par la Fondation pour l'innovation politique, un Think Tank qui se définit comme «libéral, progressiste et européen», toute la jeunesse du monde interrogé considèrent la «globalisation » comme une chance alors que celle de la Turquie et du Maroc l'a prennent pour une menace sérieuse. Rappelons que ces deux pays ont fait des pieds et des mains pour « intégrer » le système globalisé européens. La jeunesse chinoise ne sort pas du lot des contradictions non plus. En effet, 85% se disent certains d'avoir un bon travail dans l'avenir (contre 76% des Américains). 57% sont fiers des riches de leur pays (31% des Américains) ; 64% veulent « gagner beaucoup d'argent » quand ils sont interrogés sur ce qu'ils souhaitent le plus accomplir dans les quinze prochaines années (53 % chez les Américains). 40% veulent créer une entreprise (contre 17% chez les Américains). Mais ils sont aussi les plus préoccupés par la pollution (51%, contre 29% des Américains) et les seuls avec les Canadiens à placer cette menace en tête de leurs inquiétudes. C'est la confirmation que les américains du nord maintiennent en dépit de la crise de vivre au dessus de leurs moyens.

DE L'AGRICULTURE ET DE LA FAIM EN AFRIQUE

Pourtant la réalité est toute autre : La population de la Terre vient de dépasser 7 milliards d'habitants et notre planète devrait en compter plus de 9 en 2050. Les famines vont-elles réguler la démographie, comme l'avait prédit Malthus dès le XVIIIe siècle, sachant qu'actuellement 1 milliard d'êtres humains ne mangent déjà pas à leur faim. Si elle était bien répartie, la production agricole mondiale pourrait fournir aujourd'hui, à chaque Terrien, un régime équilibré de 3000 kilocalories (kcal) par jour, dont 500 d'origine animale (viande, œufs, laitages, poisson). Or ce n'est pas le cas: les pays développés (PD) sont à 3400 kcal (dont 940 de denrées animales), les pays en transition (Chine, Inde?) à 2900 (670) et les pays en développement (PED) à 2700 (340) ; les extrêmes allant de moins de 2000 à plus de 4 000 kcal. Pour ne rien arranger, les habitudes alimentaires se modifient rapidement, en particulier dans les pays en transition, avec une augmentation de la part carnée. Or, pour produire 1 kcal de viande, il faut environ 3,5 kcals végétales, principalement sous forme de grains. L'humanité souffre aussi d'une «épidémie» d'obésité. En 2011, 1,7 milliard de personnes étaient en surpoids, dont 900 millions dans les PED ; au rythme actuel, elles seront 3,3 milliards en 2030, dont 80 % dans les PED, avec des conséquences sanitaires graves: diabète, maladies cardio-vasculaires? La cause en est connue: excès d'huiles végétales, de sucre, de produits carnés et de confiseries. Dernière donnée clé: environ 30 % de la nourriture produite sont gaspillés, que ce soit par les consommateurs dans les PD (assiettes trop pleines ou nourriture jetée car ayant dépassé la date de péremption) ou du fait des pertes à la récolte et des mauvaises conditions de stockage dans les PED. Ces chinois qui se sentent si bien chez eux vont pouvoir supporter d'ici une décennie plus de 150 millions d'obeses. Même si en part relative, les chinois ont toujours représenté 20% de la population mondiale, ils vont commencer leur régression démographique à partir de 2014 pour se faire remplacer par les africains qui sont eux aussi au comble de leur euphorie d'optimisme.

C'est les pessimistes qui connaissent parfaitement ce qu'ils leur arrivent et cherchent des solutions de sorties de crise. Partant du principe qu'un problème bien compris est à moitié résolu, ils finiront par la trouver. C'est ces pays qui ont identifié le météorite qui fonce droit sur la terre et pensent pouvoir le dévier pour nous tous avant 2029. Est-ce le cas de ces optimistes d'africains? connaissent-ils les problèmes de leur agricultures et même s'ils se rendent compte, savent-ils les régler? Même si le nombre de malnutris baisse dans le monde, l'Afrique subsaharienne voit ses populations de plus en plus exposées aux problèmes de malnutrition. Cette population a augmenté de 64 millions. Trois phénomènes peuvent expliquer cette situation qui préoccupe tout le monde sauf les africains eux même. Tout d'abord, l'Afrique a connu une croissance urbaine spectaculaire, la plus rapide dans l'histoire de l'humanité. Une partie de la population a quitté les campagnes pour aller chercher du travail dans les villes, ce qui explique aujourd'hui le problème de manque de main-d'œuvre qu'on observe sur les terres agricoles. Ensuite, les politiques agricoles ont largement échoué. Ainsi, l'agriculture africaine reste peu efficace: d'une part, son rendement est très faible et sa modernisation reste très limitée. Seules 3 à 4% des terres sont irriguées par exemple. D'autre part, il n'y a aucune politique agricole de la part des États. Tous ont toujours préféré s'occuper de l'industrie, des services et de l'administration. On observe la même chose chez les bailleurs de fonds, telle que la Banque mondiale. C'est seulement depuis cinq ans qu'ils se rendent compte que l'Afrique a un potentiel agricole. Il est clair que les événements extérieurs comme Les conflits ethniques et l'instabilité politique accentuent cette insécurité alimentaire et fragilisent la population car elles n'a plus accès à l'eau potable ni aux champs. Dans les zones de conflits, lors de crises humanitaires ou de catastrophes naturelles, on assiste aussi à des déplacements de populations qui se rendent dans des camps de réfugiés. Après de tels événements, il y a rarement un retour vers l'agriculture. L'impact du réchauffement climatique est en grande partie négatif puisqu'il provoque une désertification des territoires. Alors que le Sahara gagne du terrain, les territoires réservés à l'agriculture diminuent par exemple. Il faut aussi prendre en considération l'augmentation du niveau de la mer, qui peut être une menace pour l'agriculture si l'eau salée s'infiltre en grande quantité dans les nappes phréatiques. Les experts sont unanimes ; cette situation n'a rien avoir avec la crise économique mondiale. Seuls l'Afrique du Sud et le Kenya, deux pays très économiquement ouverts, ont ressenti cette crise. Les autres ont été beaucoup moins sensibles aux fluctuations du marché. En Afrique subsaharienne, l'insécurité alimentaire est avant tout un problème structurel et chronique. En revanche, une dizaine de pays, tels que le Sénégal, le Mali ou encore la Mauritanie, peuvent craindre l'augmentation du prix des produits énergétiques, comme le pétrole et tous ses dérivés car cela peut, en conséquence, faire augmenter le prix de leurs produits agricoles.

DE LA CORRUPTION EN AFRIQUE

En plus de ce désintérêt pour l'agriculture, D'après un rapport de Transparency International, les pays africains sont énormément touchés par la corruption. Nombreux sont ceux qui stagnent au fond du classement parmi eux, la Somalie, le Zimbabwe, Guinée, Angola, Tchad République Démocratique du Congo, Libye, Burundi Guinée Equatoriale, et Soudan.  En dépit que cette ONG mesure la perception de la corruption, l'Algérie vient de rejoindre cette année le club. Grace aux différentes formes de corruption, les pays africains financent les pays développés. Ainsi Le dernier rapport du think tank américain Global Financial Integrity, Illicit Financial Flows from Africa: Hidden Resource for Development, rendu public le 21 mai 2012, estime en effet que durant les quatre dernières décennies, 854 milliards de dollars ont été illégalement transférés d'Afrique vers le monde développé. Pour eux, «l'Afrique ne manque ni de ressources ni d'argent. Son véritable problème réside essentiellement dans le détournement et l'évasion de ses fonds hors du continent.» Ces transferts, qui pourraient même atteindre 1?800 milliards de dollars, selon certaines estimations, auraient pourtant pu contribuer à l'enrichissement de l'économie du continent africain et en faire une plate-forme dynamique et concurrentielle, à l'instar de l'Asie.

Au lieu de cela, l'Afrique continue d'être connue pour sa mauvaise gestion. Selon ce rapport, l'argent qui sort illégalement d'Afrique ne provient que pour une infime partie de la corruption (3?%).

Les revenus criminels issus du trafic de drogue, de la contrefaçon et du racket représentent environ 30 à 35?% du total.

La majorité des détournements (60 à 65?%) émane de revenus de l'économie formelle. En d'autres termes, par des malversations comptables qui consistent avant tout à surestimer la valeur des importations et à sous-estimer celle des exportations, des capitaux échappent aux économies africaines et sont placés dans des banques ou dans les économies européennes ou américaines. Cumulés sur les quarante dernières années, ces flux financiers illicites auraient pu servir à rembourser la dette extérieure de l'Afrique, évaluée fin 2012 à 300 milliards de dollars, à financer la lutte contre la pauvreté et à encourager le développement économique du continent pour un montant de 600 milliards de dollars. Les principales victimes de ce rapt généralisé sont donc les Africains. Le rapport cite le gouverneur de la Banque centrale du Kenya, qui déclarait : « Les coûts de cette hémorragie financière ont été significatifs pour les pays africains dans leur ensemble.

À court terme, des fuites de capitaux massives et le drainage de l'épargne nationale ont sapé la croissance en étouffant la formation du capital privé.

À moyen et long terme, les investissements publics ont été retardés à cause du ralentissement de la formation du capital et la baisse des recettes fiscales. » Sans grande surprise, les pays exportateurs de pétrole sont les principaux acteurs de ce trafic.

De 1970 à 2012, près de 455 milliards de dollars se sont évaporés des pays pétroliers d'Afrique, avant tout du Nigeria et d'Angola, contre « seulement » 120 milliards pour les pays ne disposant pas d'une telle ressource. Le phénomène s'est d'ailleurs accru avec la hausse des prix du brut à partir de la décennie 2000. Les principaux pays concernés se situent en Afrique centrale et de l'Ouest, régions qui représentent presque 50?% du total de la fuite des capitaux.

L'Afrique du Nord contribue à 25?% de l'argent sale qui s'écoule du continent. Les économies de ces États sont aussi celles qui ont connu la hausse la plus importante de leur PIB durant ces quatre dernières décennies, et ce, essentiellement grâce à l'or noir, multipliant par là même les transferts illégaux de capitaux qui restent difficilement contrôlables. Au contraire, les régions des Grands Lacs et de la Corne de l'Afrique ne concourent qu'à 5 ou 10?% du total. En tête du classement des États « fraudeurs » établi par le rapport trône le Nigeria, pays instable mais aussi l'un des plus riches en hydrocarbures, suivi de l'Angola, de la Côte d'Ivoire, de la République démocratique du Congo et du Cameroun. Ces pays, souvent fragiles politiquement, en guerre ou aux régimes autoritaires, atteignent des sommets dans l'économie parallèle.

Pourtant, même l'Afrique du Sud, aujourd'hui démocratique et première économie subsaharienne, est à la sixième place de la liste des pays concernés ayant le plus illégalement transféré des capitaux vers l'étranger. Reste que le problème de l'évaluation de ces flux financiers illicites, comme le souligne le rapport, est l'inégal accès à des données de bonne qualité dans bon nombre d'États africains ; ce qui conduit à sous-estimer les flux dans la région des Grands Lacs et de la Corne de l'Afrique et sans doute à surestimer le poids de l'Afrique de l'Ouest dans ces flux.

L'Afrique n'est toutefois pas la seule responsable de ces maux. Les pays occidentaux ont tendance à fermer les yeux sur ces transferts financiers illégaux car ils restent les premiers à en bénéficier. L'argent sale qui s'enfuit d'un côté a trouvé un hôte de choix pour se recycler dans la plus grande opacité, celle du système financier mondial.

Conclusion

Finalement sommes nous en face d'un pessimisme calculé et un optimisme dispositionnel formant ainsi un ordre établi où chacun trouve son compte ? Ces inégalités et contradictions vont ils mener droit vers une desinvolution ? Si tel est le cas, pourquoi chercher la fin du monde dans le calendrier Maya, nous y évoluons à une vitesse grand V.

* Consultant, Economiste Pétrolier